Introduction

9 minutes de lecture

  Seram Creith reprenait doucement connaissance, une impression d’électrochoc parcourant ses terminaisons nerveuses. Alors qu’il était encore plongé dans une léthargie latente, des bruits confus lui parvenaient de tous côtés, de plus en plus tangibles à mesure qu’il retrouvait ses sensations.

  Déboussolé, il éprouvait l’humidité qui l’enveloppait tandis qu’un objet fixé sur son visage régulait sa respiration. Sa chair engourdie était allongée sur une chose moelleuse dans laquelle sa masse s’enfonçait.

  Sa mémoire lui revint lorsqu’il vit le plafond de la salle de stase à travers le verre trouble de son caisson et les souvenirs du vaisseau envahirent son esprit.

  Le sang afflua dans son organisme, lui prodiguant des picotements dans tout le corps, le liquide réfrigéré l’ayant maintenu en léthargie le quittât le long de tuyaux branchés sur son abdomen.

  Le module de survie détectant son réveil, ouvrit le cercueil de plexiglas, lui offrant enfin la possibilité de s’assoir. Sa carcasse douloureuse, encore ruisselante du fluide dans lequel il fut immergé, lui semblait soudée entre ses articulations.

  Seram retira maladroitement le masque et les câbles dégoutants de mucosités pour prendre un instant à observer les alentours. Ses yeux, non moins perturbés par sa résurrection algique, étaient agressés par une lueur rouge clignotant à intervalles réguliers.

  Il distinguait vaguement l’agencement rustique de la crypte aux murs métalliques, couverts de câblodistributions comme autant de serpents courants du plafond au sol pour s’enchevêtrer entre les six sarcophages placés contre les parois, dans lesquels reposaient des corps.

  À présent, il discernait plus nettement les visages solennels de son équipage, les caissons contenaient leurs occupants respectifs, au moins pour les trois devant à lui, les deux autres étaient disposés sur sa gauche dans un angle ne lui permettant pas d’apercevoir l’intérieur sans qu’il n’ut un torticolis.

  Toutefois, il pouvait constater que les cardiogrammes de ses compagnons de voyage étaient stables. C’était à ce moment qu’il prit conscience qu’une alarme accompagnait le signal rougeâtre. L’échine de Seram frissonna lorsqu’il comprit.

  L’alerte d’avaries, pensa-t-il.

  Quelque chose avait dû mal tourner durant le trajet. Mais pourquoi réveiller le capitaine pour une simple détérioration ?

  Il soutint son regard sur le caisson face à lui. L’ingénieure dormait, bien évidemment.

  L’intelligence artificielle du vaisseau avait dû l’estimer incompétente pour cette tâche, ce qui l’inquiétait davantage, car le commandant ne devait être appelé à la rescousse que si le problème se trouvait hors de portée de tous les autres membres d’équipage.

  Le sang se mit à battre dans ses tympans alors qu’il tentait de se lever pour atteindre son armoire à effets personnels. Oubliant la rigidité de son corps, il glissa précipitamment sur le liquide de stase, tombant face contre terre.

  Ne parvenant pas à se redresser, tenant son nez, visage crispé par la douleur, il rampa comme un serpent vers le fond de la crypte.

  Il attrapa la porte du cagibi à bout de bras, s’en servant de levier et se releva. Agrippant son uniforme d’une main, gardant la poignée de l’autre, il tenta de l’enfiler sans prendre le temps de se sécher.

  La moiteur du fluide ruisselant formait déjà une flaque à ses pieds, chacun de ses mouvements vains pour s’habiller risquait de le faire tomber à nouveau.

  On aurait dit un nouveau-né, se dressant pour la première fois.

  Lorsqu’il fut fin prêt, adossé au casier, il beugla d’une voix grave, le nom du Majordome artificiel, responsable du vaisseau :

  « K-HAYA, qu’est ce qui se passe ici bon sang ! Pourquoi tu m’as réveillé ?

  Le Majordome répondit presque aussitôt, le temps que les oreilles de l’architecture captent et convertissent en données chiffrées la question à laquelle l’intelligence artificielle s’empressa de répliquer poliment. Sa voix féminine numérique, terne, se réverbéra en écho :

  — Bonjour, Capitaine. Avez-vous eu un agréable repos ?

  — Pas le moment, dis-moi pourquoi l’alarme s’est déclenchée ?

  — Une avarie majeure dans le dispositif de navigation est survenue il y a exactement dix-neuf minutes et vingt secondes. Tous les systèmes de plan de vol sont hors services, je ne contrôle plus le vaisseau. Votre intervention est requise, capitaine.

  — Et merde, on dérive ?

  — Oui, notre trajectoire a dévié de vingt degrés.

  — Et pourquoi Dionae ne peut-elle pas s’en occuper, c’est son ressort non ?

  — L’ingénieure n’a pas les accréditations pour déverrouiller les appareils de pilotage, aucune défaillance technique ne s’est produite à son niveau de compétence. Ce sont les commandes de vol qui se sont arrêtées, ensuite les systèmes principaux se sont coupés. Le circuit électrique de la porte est désactivé, je ne peux contrôler l’accès au cockpit. Votre intervention est requise.

  — Ce serait un problème informatique alors, les commandes sont… bloquées en mode prioritaire ?

  — Oui, capitaine.

  — Cela n’arrive jamais, c’est invraisemblable. Je suis le seul à pouvoir faire ça, je ne vois pas pourquoi tout se serait mis en sécurité, ça n’a aucun sens !

L’intelligence artificielle resta muette.

  — Et cette coupure de courant, ça vient d’où ?

  — Source inconnue, Capitaine.

  Il se tourna et fixa les caissons.

  — Et tu n’as régénéré personne d’autre entre-temps ?

  — Vous êtes le premier réveillé selon les précédentes données d’archive, répondit-elle désincarnée.

  À présent qu’il était parfaitement dégourdi, l’alarme devenait non plus seulement inquiétante, mais également envahissante, ce qui lui arracha une grimace. Il finit néanmoins d’interroger la maitresse de la maison.

  — Que s’est-il passé avant mon éveil, K-haya ?

  — Information indisponible, les enregistrements vidéo et les archives sont vides.

  — Quoi ? Mais tu es censée surveiller le vaisseau en boucle.

  — Je remplis toujours cette fonction. Durant la mise en sécurité, un brouillage d’origine inconnue a corrompu les données des cinquante dernières minutes.

  — Ça ne sent vraiment pas bon ton histoire. Combien de temps, ai-je dormi ?

  — Deux mois, quatre jours, six heures, quarante-cinq minutes et tente deux secondes.

  — Donc nous sommes encore à trois semaines de Deimos…

  Il marqua une pause pour souffler, K-haya avait tendance à répondre aux questions de manière bien trop brute à son goût.

  … Retrouve-moi au poste de navigation, je vais devoir régler ça vite fait. »

  Une formule bien superflue puisque K-haya était LE vaisseau.

  Seram remonta d’un pas lourd et mécanique, le corps rigide, les nerfs bloqués, le long du couloir principal dont les murs de métal poli luisaient dans la lueur régulière de l’alarme. Il ouvrit le sas de la salle de séjour, quittant le tore de la crypte pour entrer dans un autre, tous soumis à la gravité artificielle.

  Celui-ci était l’axe central du pont, impossible de ne pas traverser pour passer de la proue à la poupe et inversement. Le seul accès au tore des habitations, qui l’entourait de son imposant disque.

  Il parcourut la pièce en manquant de percutant de son genou la coquerie de la cantine. Il venait de glisser d’un mètre, comme projeté.

  Non, c’est la pièce qui a glissé…

Le vaisseau est en train de se retourner, le tambour ne tourne pas assez vite pour compenser la traction.

  Son élan l’envoya bouler, au ralenti, contre la table de réunion, sa hanche gauche heurtant le montant, le freinant dans sa chute et lacéra sa chair au passage.

  Putain de merde, v’là que la grav nous lâche.

  Agrippant maladroitement une chaise magnétique, il se releva, titubant, la jambe meurtrie.

  Juste cinq mètres jusqu’à la porte.

  Allez !

  Il se cramponnait à ce qu’il trouvait, un pied devant l’autre, craignant de voir la gravité se couper à tout moment.

  Plus que trois pas…

  Enfin la barrière, s’ouvrant à son approche, dévoila-t-elle aussi un corridor tout autant lustré dénotant avec le style rétro du séjour.

  Au bout de ce long couloir, finit la pesanteur. Place à la passerelle d’observation et au poste de navigation situés tout au fond de la proue. Ici l’on ne pouvait que flotter pour se mouvoir.

  La grav bouffe tellement d’énergie que c’est presque une folie d’avoir quatre tores.

  Le cockpit était localisé à l’issue d’une interminable galerie plongée dans l’obscurité. Ou plutôt une navette de secours cousu à la tête de la nef. Avec assez de ressources pour tenir un mois dans l’espace en cas de naufrage.

  Le Criquet… N’avait-on jamais vu corvette aussi lugubre ?

  Seram ouvrit le sas de la passerelle et sentit les effets de l’apesanteur quelques mètres après l’avoir franchi. Il se laissa ainsi flotter, sa jambe blessée soudainement légère, se propulsant contre les parois pour atteindre l’autre extrémité. Le corridor du Criquet était protégé par une porte à double blindage. Au cas où.

  Les profondeurs ténébreuses l’enveloppèrent, alors qu’il se catapultait comme un poids mort dans l’interminable gouffre. Le double blindage se referma derrière lui, coupant la dernière source de lumière.

  Enfin, Seram vit la fin du tunnel, lorsque l’ombre opaque fut crevée par l’écriteau surplombant la porte d’accès du poste. Les lettres brillaient d’un vert cramoisi, néon terne indiquant : Accès réservé.

  L’entrée n’était possible que par l’utilisation d’une carte magnétique, qui générait un champ de modulation spécial, comme un mot de passe.

  Et il possédait l’unique exemplaire.

  Il la scanna et la lourde barrière carrée se scinda en quatre segments par les angles, disparaissant dans l’interstice du mur avec un grincement sourd.

  Le poste de navigation était un espace oblong et exigu. Parois de couleur pyrite au style archaïque ; que l’on aurait pu penser conçut par des architectes de l’antique Kemet. Des blocs monolithiques irréguliers émergeaient des flancs. Orange clignotants, projetant en holo les signes vitaux du navire.

  Au fond, surplombé d’une verrière donnant sur les étoiles, le panneau de supervision en demi-cercle était couvert de nombreuses commandes.

  Réparties en quadrillages, les manettes et diodes agencées en fresque de hiéroglyphes de multiples teintes. L’écran de contrôle se tenait bien au centre.

  À gauche, un grand orbe vitreux laissait miroiter une carte quadri-dimensionnelle de l’espace. À droite, un panneau était destiné aux communications interplanétaires.

  La structure générale était parcourue de veines fluo, visqueuses et organiques. Fourmillant parmi les ignitrons et les boutons, le blob palpitant comme un cœur reliait tous les composants entre eux.

  Le circuit Physaromique a le mérite de ne jamais tomber en panne, lui.

  Au milieu de la salle trônait le siège de pilotage, au-dessus duquel était replié contre le plafond, la console de vol manuel rarement utilisée.

  Plongé dans la pénombre, Seram constata que les câbles de l’éclairage et du tableau de contrôle numérique de la porte étaient sectionnés, comme K-haya l’avait dit. Il appuya sur l’interrupteur, sans succès.

  Il se glissa dans l’air jusqu’au centre, agrippa les manches du poste, vissa son postérieur contre le socle de cuir et fixa sa ceinture de sécurité. Maintenant bien ancré, il accéda alors à l’écran tactile principal à l’éclat jaune, sur lequel on pouvait lire en gros caractères noirs :


           ORDINATEUR DE VOL HORS LIGNE.

             MODE PRIORITAIRE ACTIF.

          VEUILLEZ CONTACTER UN ADMINISTRATEUR.


  Quelqu’un avait obtenu un accès qui lui était réservé et avait désactivé des systèmes essentiels en plus de bloquer volontairement la console, cela ne faisait aucun doute.

  Mais comment lui avait-on volé sa carte alors qu’elle était sur lui, dans sa capsule. Et surtout pourquoi ne s’était-il pas réveillé à ce moment-là ?

  M’aurait-on drogué ?

  Pour ce qu’il en savait, le capitaine n’avait passé que peu de temps avec l’équipage, ces derniers avaient quand même subi un test d’aptitude pour la mission et des fous dangereux auraient pu être facilement écartés.

  Il laissa ses doutes de côté un instant pour scanner sa carte dans le lecteur.

  Dans la foulée, il réactiva le contrôleur, amenant la console de pilotage manuel à sa hauteur et brancha la prise corticale à l’arrière de son crâne.

  Instantanément, il ressentit l’électrochoc. La liaison avec son symbiote était établie.

  Il fixa d’un regard intense la quadri-orbe, qui zooma sur la zone spatiale occupée par le vaisseau. Un coin pommé entre la Terre et Mars.

  La connex mental est parfaite.

  Il agrippa les manettes, afin de remettre le vaisseau qui se retournait sur son flanc gauche, sur son itinéraire initial en se référant à l’ordinateur de vol de nouveau opérationnel.

  Il dut se rendre à l’évidence que c’était peine perdue, trop de vitesse avait été perdue.

  — K-haya, paramètre une orbite Hohmann type II, 198°, cible Deimos.

  — À vos ordres, capitaine.

  L’ia prit le contrôle de l’ordinateur, une série de chiffres défilant devant le programme de vol.

  — Capitaine, la manœuvre la plus véloce nécessite une réinsertion à 1000 m/s. Autorisez-vous une surconsommation ?

  L’angle de trajectoire et le Delta V vont bouffer tout le carbu.

  — Négatif, choisit une révolution plus longue.

  Une fois encore, l’ordinateur se para d’une robe de codes. Le résultat laissa Seram interdit :

  Une triple révolution solaire ! fais chier, si c’est comme ça, on sera obligé de rentrer dans un puit gravitationnel. Ou jouer avec la voile.

  Il put tout juste réajuster la direction de l’engin grâce aux rétrofusées, les voilà contraints à faire du tourisme pendant encore plusieurs mois.

  Il transféra ainsi le navire sur sa nouvelle orbite, laissa la machine faire le reste, tout en ordonnant à K-haya de traquer de possibles erreurs. Il avait d’autres soucis à régler dans l’immédiat, une discussion avec l’équipage s’imposait.

Annotations

Vous aimez lire DocRothkelin ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0