L'amiral

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  Je posai mes mains veinées sur les atours du lavabo de ma loge, située dans le Tore faisant le tour de la première section du vaisseau, abritant elle-même la crypte ; tournant chacun dans un sens opposé, comme deux forces tentant de s’équilibrer.

  Le retour de la gravité faisait du bien même si, ici dans le Tore, elle était beaucoup plus forte qu’ailleurs. Surtout en ce moment, étant donné que ce donut avait la possibilité de s’agrandir ou de se rétrécir autour de la section, modifiant de ce fait sa vitesse de rotation.

  En cet instant, il était presque collé contre la paroi, d’où cette gravité plus intense que d’habitude. K-haya venait tout juste de le remettre en route. Aussi, lui faudrait-il plusieurs heures avant de trouver une position plus favorable.

  Je portais mon regard sur le miroir pour constater la pâleur de mon visage, la stase m’avait amochée, les os saillant les contours de ma figure, creusant des rainures dans mes joues blêmes, accentuant mes arcades proéminentes.

  Une conséquence détestable du long sommeil en stase, à laquelle j’étais habitué depuis mon premier vol en tant que soldat de première classe dans l’armée spatiale française, vingt ans auparavant.

  Mes yeux bleus étaient pochés de cernes exagérément violacés. Ma barbe hirsute avait joui du voyage pour prendre d’assaut mon menton et mes cheveux bouclés châtains, démarraient la conquête d’un crâne bosselé anciennement tondu. Et au milieu, le nez que je venais de m’aplatir dans la crypte, me semblait toujours en place et aussi convexe.

  Malgré mon aspect désagréable, je conservais un bon physique pour mon quarante-neuvième anniversaire. En ouvrant ma combinaison je constatais que la stase n’avait pas trop grignoté ma musculature même si mes bras et mon abdomen avaient perdu un peu de leur fermeté.

  La grande balafre en plein milieu de mon thorax, dissimulait un cœur entièrement artificiel, souvenir amer laissé par un contrebandier.

  Ironiquement, ce fut la seule et unique fois que je dus me défendre au corps à corps. Jamais de toute ma vie de militaire je n’avais eu à user de mes poings en dehors des exercices ; quant aux armes, je les avais toujours répudiées et j’avais accompli le nécessaire pour monter la chaine de commandement sans verser le sang, que la vue me fessait tourner de l’œil.

  En fait j’étais plutôt efficace en manœuvre tactique spatiale au point de rapidement prendre la tête de mon propre galion. Par contre ma réputation à toujours trouver une excuse pour ne pas me battre moi-même m’avait fait connaitre auprès de mes subordonnés comme le « saint -patron des pions ».

  Je pris un moment, pour me débarbouiller et me raser, en profitant pour me servir un verre de ce Gewurztraminer que j’avais emporté avec moi au cas où. Après cette petite pause au cours de laquelle je regagnais définitivement le contrôle de mes articulations, je me décidai enfin à retrouver l'équipage dormant.

  Je descendis de ma loge par l’échelle principale et pris le chemin menant au cœur de la section principale, dans la crypte de stase, alors plongée dans le silence, la situation à présent rétablie. Quiétude uniquement perturbée, par le ronronnement discret des unités de survies tournant en boucle.

  Les cinq occupants dormaient d’un sommeil profond, leurs traits émaciés évoquaient le coma, raison pour laquelle cette procédure de cryonie était qualifié de semi-coma.

  "La technique consistait à réduire le rythme cardiaque en perfusant dans le système sanguin d’un liquide aux propriétés réfrigérantes et nutritives. La chair était ensuite immergée dans ce même liquide, permettant sa préservation pendant plusieurs années, sain ou gravement malade.

Et pour parfaire la léthargie, le sujet était soumis à un champ optogénétique ; comprenez par-là un rayonnement lumineux destiné à induire dans le cerveau une hibernation factice en stimulant les neurones voisins du parasite, quelque part dans le cortex insulaire.

Toutefois, l’attrition impactait tout de même la carcasse, les muscles fondaient et les os déminéralisaient. Le corps entrant dans un état d’engourdissement rigide. Raisons pour lesquelles, à partir d’un âge avancé, cette technologie devenait dangereuse."

  J’avançais jusqu’au milieu de la pièce et pivotais sur moi-même en scrutant les visages paisibles des passagers.

  Lequel parmi eux était le traître dévoué à notre perte ? Il semblait évident que cet incident était non seulement d’origine humaine, mais également criminelle.

  Il faudrait les interroger subtilement pour découvrir la vérité. Toutefois, je pouvais faire confiance à mon vieil ami Vinzent. Je voyais mal un génie imbu de lui-même, mettre en péril son propre vaisseau.

  Malgré cela, ils devraient tous être considérés comme suspects, n'ayant aucune information pertinente les concernant. Rien, à part ce que contenaient les rapports personnels de chaque membre que le comité planétaire m’avait donné avant le départ. Sauf bien sûr pour Vinzent, le connaissant depuis l'université, le vieux professeur avait moins de secrets pour moi que la physique qu'il étudiait.

  Je n’étais pas le pilote prévu à l’origine. Il avait eu une complication au cours de la formation et Vinzent avait joué des pieds et des coudes pour me faire accepter auprès du comité en raison de ma longue expérience sur des vaisseaux militaires et de fret commerciaux.

  Je fus néanmoins étonné que le comité ignorât délibérément que j’avais été viré de l’armada à l’époque, à cause une bavure commise dans l’exercice de mes fonctions.

  J’avais dû me reconvertir en discret pilote de ligne sur l’axe Terre-Vénus pour un salaire de misère. Histoire de livrer à ces enculés cachés dans leurs cités stratosphériques, des biens que seule notre planète pouvait se permettre de produire.

  Et pour en rajouter une couche, les Vénusiens nous traitaient avec tellement de mépris, les contrôles au faciès étaient monnaie courantes et les descentes douanières surprises vous saisissaient la cargaison pour aucune raison. Comme si ce n'était déjà pas assez humiliant de bosser pour leurs petits culs.

  Quand Vinzent m’avait proposé cette mission comme l’opportunité de redorer ma carrière, je n’avais pas été enjoué d’aller me perdre jusqu’à Mars avec des quidams ; même si le pactole caché derrière cette promotion était alléchant et que le projet parlait à mon nationalisme — mondialisme, pour être tout à fait exact — terrien.

  Et puis il m’avait exposé le vaisseau, je n’avais pu résister plus longtemps en le voyant. Je finissais par accepter et huit mois plus tard, je présentais ma démission à la compagnie commerciale Van Veermach et embarquais à bord du Conus Amadis.

  En m’approchant de la capsule de Vinzent, je dis, en ouvrant les bras, étalant mon regard autour de moi :

  « Sacrée bête que tu nous as bâtie là, Doc. T’est le seul type que je connaisse capable de concevoir un engin pareil, me penchant un peu plus au-dessus de son caisson de stase j’ajoutais, je suis désolé vielle fripouille, mais je vais devoir te remmenez à la réalité. »

  Je m’approchai donc de la console de survie et lançais la procédure de réveil. La machine émit un cliquetis accompagné d’un bruit d’aspiration. Le niveau du fluide baissa à vue d’œil tandis qu’il refluait de son organisme par les tubes abdominaux.

  Quand le visage de Vinzent émergea à la surface du liquide, la console commanda une impulsion nerveuse qui ramena le docteur à la vie. Subitement, le cardiogramme échangea les douces collines par des montagnes russes, valse d’un cœur en pleine activité.

  Sur la console, le champ opto s'étant coupé, l'encéphalogramme détecta une pointe d'activité dans le cortex.

  Son symbiote reprend conscience et lui avec.

  À travers le hublot miroitant, je pouvais distinguer ses paupières s’ouvrant lentement, fixant le vide du regard. L’éclat vert de ses yeux rencontra le bleu des miens lorsque je me penchai en avant pour l’observer.

  Il ne me reconnut pas immédiatement, son expression resta neutre. Ses traits émaciés faisaient saillir ses arcades et les voussures de ses joues, ayant perdu du poids durant son sommeil.

  Son teint en revanche gardait la même pigmentation typique d’Europe de l’Ouest et des mèches blondes luttaient parmi ses cheveux grisonnants. Malgré son âge avancé, il avait quand même souhaité faire partie du voyage qu’il avait financé, faisant fi des risques liés au semi-coma.

  Il a un melon à la place de la tête et ce n’est pas qu’une image, ironisais-je.

  Au moment où l’unité de survie le décida prêt, elle ouvrit la capsule et une vapeur légère s’échappa de l’enveloppe, découvrant un vieillard en combinaison blanche. Il commença à s’agiter, retirant son masque respiratoire et cherchant maladroitement les tubes fixés sur son ventre. Je l’aidai à se calmer et le sépara de ses cordons ombilicaux pour qu’il puisse se relever. Il me regardait avec un mélange de confusion et de joie.

  « Seram ! comme je suis heureux de te voir. J’ai fait un horrible cauchemar qui m’a semblé duré une éternité, dit-il d’un accent chantant, mi germanique, mi ricain.

  Essayant de me prendre dans ses bras, il se retint, victime d’une vive douleur au dos qui lui arracha un hurlement.

  — Doucement, tu vas te faire mal. Reste étendu, tu viens à peine de te réveiller. Je suis content de te retrouver moi aussi, disais-je en le repoussant légèrement en arrière.

  — Je suppose que si nous sommes régénérés, c’est parce que nous sommes arrivés en orbite de Deimos. C’est le moment le plus excitant de ma vie. Pour la première fois en cent-cinquante ans, nous allons revoir la planète rouge de près, n’est-ce pas …

  Il me regarda dans les yeux et son expression se décomposa

  … N’est-ce pas, nous sommes rendus, non ? Tu fais une de ces têtes.

  Je pris une grosse inspiration, car je m’apprêtais à révéler une information importante à un potentiel suspect même si je doutais qu’il puisse faire quoi que ce soit de criminel.

  — Pas du tout, ne nous somme pas à Deimos, presque. Nous avons eu un problème, une énorme chiure.

  Ses yeux s’écarquillèrent tout grand et sa bouche tomba légèrement dans une expression de dépits.

  — Co... Comment ça un pr… problème ? »

  La sueur perlait sur son front.

  « J’ai été réveillé par le Majordome, suite à un arrêt des systèmes principaux et le plus dingue c’est qu’ils étaient verrouillés administrativement. Le vaisseau a alors perdu son guidage et ses moteurs et s’est mis à dériver, il n’a pas fallu longtemps pour qu’il abandonne sa trajectoire. Notre voyage s’est allongé. J’ai peur pour nos réserves d’Hypergols.

  — Une panne ?

  — Hé bien… Je dirais plutôt un sabotage. Je suis le seul à pouvoir manipuler la grande porte du cockpit et bidouiller le bâtiment ainsi et je te jure que n’y suis pour rien. Je crois que quelqu’un ici a réalisé un tour de force et m’a volé ma carte pendant mon sommeil. En plus d'empêcher mon réveil d'une façon ou d'une autre.

  — Mais pourquoi faire bordel, quel est l’intérêt à retirer de notre perdition ?

  — Je ne sais pas quelles motivations peuvent guider un acte si suicidaire.

  — Qui…, il s’interrompit, … mais bien sûr, Vénus… cette maudite vénus, cela pourrait être un de leurs mauvais coups. Putain de colons récalcitrants !

  — J’avoue que cela m’a traversé l’esprit, ces chacals ne ratent jamais une occasion de nous emmerder, mais le hic c’est que je ne connais personne à bord à part toi. Et je pense pouvoir te faire confiance pour le coup. Tu es selon moi le moins suspect de tous, étant donné ton implication dans ce projet et je te verrais mal te suicider dans une boite de conserve.

  — Suspect ? Moi, suspect ? Où vas-tu chercher des choses pareilles, Comment peux-tu te permettre de porter de telles accusations sur moi ?

  — Du calme Vinzent, pour commencer c’est moi qui dirige ici, la sécurité des passagers m’incombe et je dois appliquer le protocole militaire en pareil cas. Ensuite, je ne t’ai pas vraiment accusé, mais vous êtes tous suspects, moi y compris… de votre point de vue.

  Étant en possession de l’unique carte d’accès universelle, je pourrais être même considéré comme le principal suspect. Mon seul alibi est la parole de K-Ahya, et que vaut l’engagement d’un Majordome quand elle doit défendre son tuteur ?

  — Je t’imagine mal, foutre en l’air un joujou de l’espace, ironisa-t-il, te connaissant, tu serais capable de sauver le vaisseau avant les passagers. Mais me crois-tu assez fou au point de saborder mon bébé ?

  — Tu devrais prouver ton innocence. Au moins pour te prémunir des autres, je te connais depuis longtemps, j’ai eu suffisamment confiance pour te réveiller le premier.

  — Vraiment, n’y a-t-il que nous deux ? Tu as fait le seul bon choix. Nous devons débusquer cet enfoiré, alors mettons l’équipage en quarantaine dans leurs logements pour les interroger. K-haya et le Cephaler pourront se débrouiller sans eux.

  — Non, nous risquons de donner la main à notre ennemie. Tant qu’ils ne savent rien et qu’ils sont en sommeil, nous détenons une carte de plus que lui. Nous devons inspecter chaque caisson pour trouver des preuves et après nous les ramènerons. »

  Je l’agrippai fermement à l’épaule et lui murmura :

  « mais avant, j’aimerais bien que tu m’expliques, comment un potentiel forcené à put être validé. »

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