Prologue

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  Le soleil se levait sur un ciel rougeâtre, éclairant de ses rais la cité 18. La toupie d’acier déplaçait sa lourde carcasse dans la haute atmosphère de vénus. ses habitants sortiraient bientôt de leurs maisons pour respirer l’air du dôme, qui les portait dans les nuages carboniques. Leur bien le plus précieux.

  Mais à cette heure, les rues étaient encore dégagées, hantées par de rares ombres discrètes sillonnant le labyrinthe synthétique ou prenant leur collation matinale sous la clarté agréable pour compenser la fraîcheur. Mieux valait être ici qu’en bas, à brûler en enfer avec les déchets.

  L’individu cagoulé le savait. Et c’est pour cette raison qu'il était était assis à la terrasse de cafétéria, dévisageant le dignitaire bien sapé en face de lui.

  Le cagoulé prit une décision. Elle avait mis longtemps à naître et à mûrir, mais, maintenant, elle était arrêtée.

  Voilà des semaines que l’individu n’avait pas répondu à la demande du gouvernement. Ni fait acte de présence au Bureau de l’Ordre du Renseignement. Au début, il avait eu l’intention de s’emparer d’un aérostat pour quitter la cité stratosphérique et échapper à la réquisition. Puis il s’était ravisé, pesant le pour et le contre, jaugeant les risques et les conséquences de la missive-Adn.

  C’était délicat, même pour un transfuge professionnel.

  Il termina sa tasse de café et dévisagea l’homme en costume.

  « J’accepte le boulot, seulement, je veux une prime supplémentaire et des garanties, dit celui-ci. »

  L’autre en costume prit une décision. Elle avait mis longtemps à naître et à mûrir, mais, maintenant, elle était arrêtée. Il n’y avait plus le temps à présent, le bloc ennemi progressait en dehors des limites acceptables. Leur nouvelle colonie germerait dans peu. Bientôt, ils supplanteraient à nouveau Vénus  !

  Il n’avait pas espéré davantage ou, plutôt, il n’en avait pas espéré moins. La guerre était un moteur de croissance efficace, il ne suffisait que d'un prétexte.

  Une chose était sûre : impossible de négocier les termes de l’accord plus que nécessaire. L'autre connaissait trop bien le danger pour se laisser convaincre. Aucun espion n’avait répondu à l’appel malgré les tentatives pour les forcer. Si celui-ci ne s’était pas évaporé, c’était sans doute en rapport avec une certaine volonté nationaliste. Seule raison pouvant pousser un assassin à accepter le suicide. Mais l’ennemie fermerait bientôt les candidatures, et avec elles, la possibilité d’y glisser un mouton noir. Et si cela continuait, ils découvriraient le secret de Deimos.

  Quoique tenter une dernière fois ne payerait pas de mine.

  « Vous vous rendez bien compte de la gravité du problème, mais le temps presse, l’argent d’accord, mais, les garanties c’est non, dit-il.

  — Je veux assurer ma sécurité, cela n’a rien de délicat de se faire passer pour un terrien de souche et faire sauter un vaisseau colonial sans mourir, répondit le cagoulé.

  — Pas détruire, oublier vos vieilles méthodes expéditives, nous exigeons le navire et le reste.

  — Pourquoi ne pas le prendre maintenant ?

  — Une fois la colonie en place. Nous avons un intérêt sur Deimos. Cela doit nous appartenir.

  — Quel est-il ?

  — Le pouvoir total sur l’espace-temps, ou tout du moins sa connaissance. Nous n’avons jamais empêché l’étude de Phobos, mais avons fait en sorte d’empêcher certains d’effectuer le lien avec son jumeau, cette minuscule Deimos. La présence même de ce satellite est une aberration relativiste.

  — Vous semblez bien bavard maintenant, ma lettre, elle, n’a pas eu autant d’attention, bien que vos explications ne signifient rien pour moi.

  — Impossible de communiquer cela par les canaux habituels.

  — Je vois surtout votre inquiétude et votre besoin de me convaincre. Mais je reformule ma volonté. Promettez d’abord ma sécurité et ma retraite.

  — Aucun document ne doit plus être créé en votre nom ou toute autre identité, vous savez que toute votre vie, jusqu’au plus simple murmure de votre existence devra disparaitre. Être remplacé par la vie d’un autre.

  — Qui ne doit avoir aucun lien avec Vénus, je sais. Toute assurance sera caduque, je sais aussi cela. C’est vous qui êtes trop obtus. Je veux un…

  — Faites attention à votre façon de vous adresser à un supérieur de la Vreimlin, je peux encore changer d’avis et vous faire arracher le symbiote pour désertion. Je ne vous accorde une faveur uniquement par intérêt. N’abusez pas de mon amabilité. »

  L’autre se tut un instant. Reconsidéra sa situation et jeta un regard en coin aux deux armoires à glace à l'angle de la ruelle. Un mot et il serait mort, balancé par le sas dans les abîmes de cerbère. Maintenant qu’il était ici impossible de refuser la tâche, mais négocier les conditions de son incarcéra-mission nécessitait plus de délicatesse.

  « Veuillez m’excusez, Corrionel Bremond. Je ne tentais pas de vous manquer de respect. Je mettais juste en lumière une solution.

  — Qui est ?

  — La Vreimlin pourrait se porter garante non d’une personne, mais d’une entité commerciale. Vous proposiez de me créer une nouvelle vie autour d’une entreprise factice de négoce planétaire, alors pourquoi ne pas prémunir ses employés. Cela est bien moins suspect, les lois étant ces quelles sont, les états ont obligation de fournir des cautions aux salariés. »

  L’homme en costume se rappela sa décision et applaudit lourdement.

  « Une idée digne de votre ordre. Et dans la lignée de ce que nous attendons sur cette mission. Bien, maintenant, laissez-moi vous exposer votre programme.

  Il posa son avant-bras sur la table et alluma son holomontre, laquelle détailla un vaisseau :

Une carlingue cylindrique de deux cent onze mètres de long pour cent-quarante de large et soixante-quatorze de haut, à la proue fuselée. Plusieurs sections annulaires. Une immense voile solaire. Énormes moteurs. Un monstre.

  — Ceci est le Conus Amadis, votre cible. Vous l’atteindrez une fois les tests des terriens réussis.

  Il fit défiler une nouvelle image. Un portrait cette fois.

  Et voici le Docteur Vinzent Rothkelin, le cerveau derrière cette expédition. Celui que vous devrez berner le mieux. Pour l’instant, c’est le seul individu dont nous sommes sûrs de la présence, aussi je vous conseille de l’étudier en détail.

  Nouvelle icône.

  — Et votre destination : Deimos. Deuxième lune de Mars, qui subira une terraformation Troglo. Ce qui impliquera de se rapprocher de l’anomalie.

  — Dois-je neutraliser l’équipage avant ?

  — Non, laissez-les faire. Laissez les mêmes analyser ce caillou pour nous. Et débarrassez-vous d’eux une fois le forage achevé.

  — Facile. Mais au sujet de cette anomalie, qu’est-ce ?

  — Rien qui vous concerne dans l’immédiat, faites votre travail et prenez votre récompense. L’avenir vous donnera déjà un aperçu de sa nature.

  Raté. Le cagoulé lança son hameçon ailleurs :

  — Aucune idée de la composition possible de l’équipage ? comment allez-vous choisir ma profession ?

  — Ce qui est obligé, c’est la présence d’une IA, d’un Cephaler et du Docteur, considérez d’abord cet équipage comme un cerveau dont vous devez isoler les pièces. Détruisez la conscience de consensus et vous aurez gagné. Pour ce qui est de votre affectation, l’information vous sera transmise par les faux sauniers sur Luna. Pas d’inquiétude, nous avons tenu compte de vos compétences.

  L’homme en costume lui tendit une enveloppe.

  — Voici des passe-droits à donner aux organismes listés, pour les fournitures. Pareil pour l’embarquement prévu dans une semaine. Ne perdez rien et surtout détruisez tout une fois parti pour la Terre.

  — Je vous remercie Corrionel. Je ferais le nécessaire, le Seigneur des cieux sera fier, je le jure sur mon souffle, dit le cagoulé, baissant la tête et croisant ses poings contre ses épaules opposées ; en déférence.

  L’autre se leva, satisfait. Contourna la table et opéra un salut militaire.

  — Je vous le souhaite, profitez de vos derniers jours sur Vénus, bientôt vous devez vivre sur le moribond globe bleu pour un an d’entrainement. Faites honneur à votre ordre et à votre monde. »

  Le cagoulé prit congé et s’engouffra dans un boulevard sombre du dôme. Sa décision était irrévocable. Il en allait de la survie de sa planète.

  Si ce qu’il avait lu dans la missive était exact, dans quelques années, l’échiquier interplanétaire serait renversé et l’un des deux grands mondes devrait déclarer échec et mat.

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