Chapitre 2 (1/2)

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Talia riait à gorge déployée. Elle était perchée sur une table et balançait ses pieds en rythme sur le chant entonné par les clients de la taverne. Les assiettes avaient été remplacées par des chopes qui s’entrechoquaient, les esprits étaient brouillés, la gaieté sur tous les visages. Meril, accroupie sur une table voisine, encourageait son amie en tapant des mains. Talia sauta de son perchoir à pieds joints, appelant la danseuse de rue à la rejoindre. Celle-ci se releva sur le champ et descendit à son tour dans un salto spectaculaire, ses pieds retrouvant bientôt le sol à proximité de sa partenaire. Les acclamations la poursuivirent alors qu’elle l’attrapait par la main pour la faire virevolter, une longue tresse fouettant l’air sur leur passage. Les jeunes filles dansèrent encore quelques instants, jusqu’à atteindre le comptoir pour se resservir. Talia regarda son amie avec insistance.

  • Meril, ça te dirait d’aller au bal ?

Cette dernière pouffa en se retournant vers elle.

  • Evidemment, mais on ne peut pas. On ne fait pas parti de leur monde.
  • Et si je te disais que c’était possible ?

La jeune fille lui chuchota quelques mots à l’oreille. Meril écarquilla les yeux.

  • Ne sois pas bête. Puis regarde nous, on n’a rien à se mettre !
  • C’est toi qui le dis.

Elle lui demanda de la suivre à l’étage. Arrivées en haut, elles traversèrent un long couloir. Talia se saisit d’une lanterne accrochée au mur et entra dans une chambre en emmenant sa camarade avec elle. La petite pièce était pourvue du strict nécessaire. Dans un coin, près de la porte, nichait un vieux placard branlant. En dessous du fenestron qui donnait sur la rue, un lit était collé au mur. Seul un détail montrait que Talia était locataire des lieux. À côté du matelas, une table débordait de dessins de paysages tout en couleur. Le dessin était le passe-temps préféré de Talia depuis sa plus tendre enfance, sa manière à elle de s’évader. Avec Meril et Kaly, ses deux amies de l’orphelinat, elle s’était souvent aventurée aux abords de la forêt d’Abadon pour immortaliser sur ses feuilles tout ce que la nature voulait bien lui montrer. On pouvait d’ailleurs apercevoir qu’un des dessins, à moitié enseveli sous les autres, les représentait toutes les trois, assises dans l’herbe, la dense forêt derrière elles. Le regard de Meril se posa brièvement dessus alors que son amie chamboulait l’intérieur du placard. Un grand sac atterrit brutalement sur le lit.

  • Tu comptes m’expliquer ce qu’il y a là-dedans ?
  • Non, ça gâcherait la surprise.

Meril souffla, exaspérée, en regardant son amie qui prenait un air malicieux.

  • Et maintenant on fait quoi ?
  • Maintenant, fit Talia, conspiratrice, on passe à l’étape infiltration.

Les jeunes filles sortirent de la taverne bruyante et se faufilèrent à travers les ruelles éclairées par les lanternes, emportant leur énorme sac avec elles. Les étendues d’herbes remplacèrent les habitations. Un mur fait de pierres haut de plusieurs mètres finit par se matérialiser. Les jeunes femmes s’arrêtèrent devant l’obstacle. Avant qu’elles puissent se concerter, Meril s’approcha du mur et l’escalada avec agilité. Elle s’assit à cheval à son sommet et hissa son amie et son sac encombrant avant de sauter à pieds joints de l’autre côté. Elle tendit les mains vers une Talia médusée pour l’aider à descendre à son tour.

  • Allez, dépêche-toi, on va finir par nous remarquer.
  • J’arrive, ne me stresse pas ! Laisse-moi juste un peu de temps.

Talia avait les mains crispées sur la pierre, la tête lui tournait.

  • Allez, fais-moi confiance, je te rattrape.

Elle sauta d’un coup, dans un cri silencieux, et atterrit lourdement dans les bras de son amie.

  • Tu vois, il n’y avait pas de quoi s’en faire. T’aurais pas pris du poids par contre ? fit Meril, taquine. Un peu plus et tu m’écrasais comme une crêpe.

Son amie se dégagea aussitôt et lui fila un coup dans l’épaule, le regard faussement noir.

  • Tu me le paieras, saleté !

Elles partirent dans les hautes herbes, à l’affut du moindre bruit suspect. La mélodie du groupe de musiciens se faisait entendre de plus en plus fort. Elles ralentirent à l’approche du château pour se cacher derrière d’épais buissons.

  • Une idée pour entrer ? demanda Meril dans un chuchotement.
  • Je connais quelqu’un qui travaille en cuisine, il nous a laissé une porte ouverte à l’arrière. Très peu de passage et un endroit où se changer à proximité. Allez viens.

Elles continuèrent leur chemin, se baissant au maximum pour éviter d’être repérées. Elles contournèrent la demeure, jusqu’à trouver une porte effectivement ouverte, donnant sur un couloir faiblement éclairé.

  • Tu le connais si bien que ça ton infiltré ? questionna Meril, qui semblait de moins en moins emballée par cette escapade.

Talia lui lança un sourire dans l’obscurité.

  • Ne t’inquiète pas, tout est sous contrôle.

Elles sortirent de leur cachette et pénétrèrent dans la bâtisse à pas de loup. Talia fit signe à Meril de la suivre. Elles empruntèrent un escalier, atterrirent au premier étage, et continuèrent leur route jusqu’à entrer dans une salle de bain à la lumière tamisée. La pièce était faite de murs de granite et d’un sol au carrelage écru. Une bassine remplie d’eau propre se trouvait à côté de la baignoire. Un immense miroir posé dans un coin de la pièce rendit aux jeunes femmes leur regards ébahis.

  • C’est magnifique, souffla Meril.
  • Et encore, nous n’avons rien vu, répondit sa compagne en chuchotant.

Elle s’accroupit et ouvrit le sac en grand, révélant un amas de tissu qu’elle sortit, ramenant l’attention de Meril vers elle. Deux robes de soirée firent leur apparition.

  • Elles viennent d’où ?
  • C’est un secret. Je te préviens, la verte est pour moi.
  • Va pour la rouge alors.

Les intruses se débarbouillèrent à la bassine d’eau. Elles s’aidèrent à enfiler, non sans difficulté, leurs corsets pour pouvoir ensuite passer au reste de leur tenues. Lorsque Meril croisa de nouveau son regard dans le miroir, elle eut du mal à se reconnaitre. Une fois portée, sa robe lui plut bien plus qu’au prime abord. Elle admira le tomber du tissu fluide, se mouvant au grès de ses mouvements. Enroulé autour de sa taille, un ruban pourpre mettait discrètement en valeur sa silhouette élancée.

  • C’est bon tu t’es assez reluquée ? Il faut que l’on te coiffe.

Talia avait son éternelle longue et lourde tresse de cheveux bruns qui trainait sur son épaule, elle n’avait pas besoin de retouche. Mais les boucles blondes de son amie méritaient cependant d’être domptées. Elle prit donc le dessus de sa tignasse pour la ramener en une tresse évasée à l’arrière de sa tête et laissa quelques mèches de cheveux libres au niveau de son visage. Elle recula ensuite pour analyser le résultat. Jugeant son œuvre satisfaisante, elle hocha la tête.

  • Ça fera l’affaire, maintenant on passe à la touche finale, dit-elle en retournant fouiller son sac.

Elle en sortit deux masques en dentelle noire qu’il fallait attacher à l’arrière du crâne. Après les avoir enfilés, les jeunes femmes étaient fin prêtes. Elles cachèrent leur sac avec les vêtements qu’elles portaient plus tôt derrière la baignoire et sortirent, s’aventurant dans le labyrinthe de couloirs de la vaste demeure.

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