Le dîner

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Berlin, soirée du 20 avril 1945

La jeune veuve sondait de ses yeux embués le contenu de l'assiette posée devant elle. Sieglinde Dorff-Ritter dînait seule, dans cette oasis au mobilier mêlant cuir et acier. Constanze fit son entrée. Le cordon-bleu du Führer posa deux assiettes en porcelaine et leurs couverts sur la table. Tirée de sa torpeur par l'intrusion de la domestique, Sieglinde porta la fourchette à sa bouche. L'acier glissa entre ses lèvres humides. En son for intérieur la veuve remercia Constanze pour sa succulente cuisine ; cuisine ô combien raffinée malgré la pénurie frappant le Reich.

Constanze déclara ne pas connaître l'identité de ces hôtes de dernière minute. Joignant poliment les mains, elle s'éclipsa, donnant l'impression de flotter sur le marbre Vert de Mer. Sieglinde savourait une gorgée de vin de Moselle quand les deux oiseaux de nuit furent introduits dans la salle à manger.

Seul l'aigle s'exprima ; l'officier supérieur présenta ses condoléances puis s'attabla. À ses côtés, la colombe garda le silence, désorientée par la lumière après un si long périple les yeux bandés.

Il ne s'agissait pas d'un père et de sa fille ; ni d'un couple d'ailleurs. La frêle lueur dans le regard de l'arrivante témoignait de sa reconnaissance envers celui qui l'avait tiré de l'enfer des camps.

L'offizier s'affala dans le fauteuil, se massa la nuque, lissa sa mèche du bout des doigts.

« Constanze, ordonna t-il en couvant Sieglinde de son regard anthracite. Veuillez je vous prie Resservir Frau Dorff. Elle se fera un plaisir d'accompagner notre festin »

L'Obergruppenführer porta d'une main tremblante la cuillère à sa bouche, aspira le potage avec un fort bruit de succion. La colombe brune l'imita en silence, se délectant de la succulente soupe de poisson. La jeune femme mourrait de faim et dévora tout ce que Constanze lui servit.

Après ce repas partagé au coeur de la nuit, la surintendante Else autorisa l'ex-prisonnière à partager la chambre de Sieglinde.

Profitant d'un angle mort de la caméra-espion, la berlinoise tendit une feuille de papier à sa camarade de chambre. Après un moment de stupeur, l'inconnue griffonna sa réponse en français.

La discussion manuscrite se poursuivit fort tard dans la nuit et la flamme d'un briquet réduisit la folle correspondance en cendre.

Morphée enveloppa les deux amies de sa paisible étreinte.

Assise à son bureau, Else consulta sa montre, ferma les yeux, cala sa respiration sur le murmure du systême de ventilation. Elle s'imagina flânant le long de la Tamise au bras du petit soldat de plomb britannique .

Dans quelques heures, la mission débuterait ; et les offrandes offertes à ces insatiables dieux.

Alea jacta est

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