La reine des poupées

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Ada disparut du champ de vision de la passagère. Arrimée sur le minuscule strapontin, front collé au hublot, Sieglinde fut prise d'angoisse.

Une tension palpable se lisait sur les visages des mécanos. Faces perlées de sueur, bras maculés de cambouis, les techniciens aéronautiques tendaient l'oreille ; attentifs à la moindre dissonance dans la mélopée assourdissante des moteurs. Les six hommes ne prétèrent aucune attention à la silhouette élancée s'éloignant en direction d'une zone isolée de la base de Schönwalde.

Ada pénétra dans le véhicule blindé, ôta son calot, s'installa à son poste face à la console. L'opératrice coiffa ses écouteurs. Elle contacta l'équipage du tank antiaérien qui — tapie dans les brousailles — montait la garde quelque part dans le périmètre de l'aérodrome. Hérissant la tourelle oscillante en forme de boule, les deux tubes des canons MK 108 à cadence rapide se dressaient vers le ciel matinal. La voix de la jeune femme revigora les cinq hommes enfermés dans le Panzer. Les deux artilleurs recroquevillés dans la tourelle sphérique testèrent son impressionnante mobilité.

Quelque peu réconfortée, Ada débuta sans attendre le balayage des fréquences aériennes. L'émetteur-récepteur FUG et son antenne haute de cinq mètres entamèrent leur foisonnante collecte d'ondes impalpables.

La détresse des pilotes aux prises avec la chasse alliée lui donnait la chair de poule. Ada les imaginait repoussant leurs verrières, s'arc-boutant contre le vent en prélude au vertigineux saut dans le vide. Sans crier gare la pensée de Jochen lui vint. Quelques années plus tôt, en 1942, le virtuose de la Luftwaffe avait trouvé la mort en évacuant son appareil — l'empennage lui avait défoncé la poitrine.

Sur la fréquence, les voix se succédaient, affolées, hoquetantes, hystériques. D'autres fois, Ada ne percevait qu'un gargouillis ; quand le sang noyait les cordes vocales.

À des kilomètres de là en Pologne

Dans une baraque au confort spartiate, trois hommes examinaient en silence une carte d'état-major. Un récepteur-radio distillait en fond les éclats sonores d'épiques joutes aériennes. L'un des officiers se redressa, lissa sa fine moustache et observa la femme qui venait de s'emparer d'un compas. De ses mains calleuses, l'artiste déploya les branches de l'instrument et délimita un cercle à la surface soyeuse du bois de tilleul. Avec de l'encre sombre, elle donna vie à un visage puis commença à peindre, étalant la gouache avec dextérité.

L'opérateur avachi devant la console bascula sur les fréquences de l'infanterie ennemie. L'artiste-peintre se leva d'un bond. Elle s'approcha du récepteur comme hypnotisée par la voix féminine quémandant en vain sur l'onde un appui aérien. Dans un allemand parfait, et de cette voix singulière qui déclenchait l'hilarité lors de ses imitations nocturnes, Lidia répondit à l'appel de détresse.

Lorsqu'elle se précipita au dehors, le moteur de son surpuissant chasseur Yak-9 tournait déjà. crachant par intermittence flammes et gaz brûlés par les tuyères d'échappement. Lidia grimpa dans l'habitacle et décolla sans attendre. Elle survolerait bientôt le Reich et sa crépusculaire capitale. Berlin.

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