Chapitre 2 - situation initiale - le couvent de Saint Perceval

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Lorsque Mathilde atteignit la poterne, elle fut brutalement repoussée par son poursuivant qui la dépassa, se rua sur la porte qu’il enfonça d’un coup d’épaule. Un bref combat s’engagea entre l’homme du nord et un homme de la garnison qui fut neutralisé d’un coup de bouclier au visage.

Le premier réflexe de Mathilde fut de faire demi tour pour mettre le plus de distance possible entre elle et ce redoutable guerrier, mais d’autres hommes du nord affluaient vers le couvent. Sans réfléchir, elle se précipita à l’intérieur, passa en courant à côté de l’homme du nord qui tentait péniblement de neutraliser sœur Ermengarde sans la blesser et se précipita vers la cour intérieure pour donner l’alerte. Son arrivée déclencha une panique générale : les derniers défenseurs se ruèrent vers la poterne pour tenter d’expulser les intrus tandis que les sœurs s’éparpillèrent à la recherche d’un abri.

Adélaïde se précipita sur Mathilde, la saisit par le bras et l’entraîna dans un bâtiment.

— Petite idiote ! Cria-t-elle. Tu m’a fait une peur bleue… Suis-moi, il faut qu’on trouve une cachette !

Mais les hommes du nord étaient déjà là : il y en avait partout.

Ballotée d’un côté, puis de l’autre, Mathilde trébucha sur une pierre et perdit l’équilibre. Avant qu’Adélaïde n’ait le temps d’intervenir, un géant de presque deux mètres souleva la petite en riant, puis il l’entraîna à l’écart sans se soucier de l’adulte. Adelaïde, qui tentait de l’en empêcher, fut elle-même ceinturée par une féroce guerrière aux cheveux roux.

— Il vaut mieux que tu n’interviennes pas, s’exclama la femme rousse. Quand Arnjolf tient une proie, aucune force au monde ne peut le retenir.

— Qu’il la lâche, je vous en supplie ! Ce n’est qu’une enfant… S’il la laisse, je ferai tout ce qu’il demandera.

— C’est une idée intéressante, répliqua la rousse.

Elle interpella le dénommé « Arnjolf » qui s’interrompit en hésitant… il donna un ordre sec à la guerrière qui arracha aussitôt le voile d’Adelaïde, révélant sa longue chevelure chatain.

Arnjolf acquiessa de la tête et lâcha la petite. La guerrière poussa Adelaïde dans sa direction et attrapa Mathilde avant qu’elle n’ait le temps de se relever.

— Emmène la petite à l’extérieur, ordonna Arnjolf. La prêtresse et moi, on a des choses à faire en privé.

Il s’était exprimé en nordique et ni Mathilde, ni Adelaïde ne pouvaient comprendre.

— Pas question, répliqua la guerrière dans la même langue. Les occasions de voir à l’œuvre Arnjolf le puissant ne sont pas si fréquentes.

Le guerrier déchira d’un coup sec le haut de la robe d’Adelaïde. Mathilde poussa un cri de surprise.

— Non ! rugit Arnjolf. J’aime pas la façon dont cette gamine me regarde… tiens, ça me coupe l’envie !

— Tu veux que je m’occupe d’elle en attendant que tu aies fini ? Les petites filles adorent les chatouilles sur le nombril…

Elle joignit le geste à la parole, mais Mathilde ne riait pas du tout, elle se débatait en hurlant pendant que la guerrière glissait la main sous sa chemise en l’embrassant dans le cou.

— N’aie pas peur, murmura-t-elle à l’oreille de Mathilde. Je te protégerai…

— T’es une sacrée garce, grogna Arnjolf en souriant. Je crois que la forme revient…

Mais un hurlement les interrompit :

— Qu’est ce que vous fichez là ? Mais ma parole, vous n’avez pas plus de cervelle que des sangliers en rut ! Galdlyn, mets-moi ces deux bonnes femmes avec les autres, Arnjolf, file dans le cellier, il en reste une dizaine à faire sortir, il faudra quelques baffes pour les calmer… et grouillez-vous, il faut qu’on soit au bateau dans moins d’une heure.

Même si elles n’avaient pas compris un traitre mot de ce discours, Adelaïde et Mathilde comprirent immédiatement que le nouveau venu, l’homme qui avait défoncé la poterne au début de l’assaut, était le chef du groupe. Adelaïde se jeta à ses pieds.

— Je vous en supplie, prenez tout ce qui a de la valeur et laissez-nous partir…

— Tout ce qui a de la valeur, répéta le guerrier. C’est exactement ce que je vais faire… et il se trouve que vous avez beaucoup de valeur, toutes les deux, et les autres aussi je pense.

— Vous parlez notre langue ?

— Oui, mais ça ne m’empêchera pas de vous couper les oreilles si vous ne filez pas droit… et cachez vos miches si vous voulez rester vierge jusqu’à ce qu’on vous revende !

Les deux filles furent attachées et traînées dans la cour ou une quinzaine de sœurs se trouvaient déjà… et de nouvelles captives s’y ajoutaient avec une effrayante régularité.

Un guerrier plus âgé surveillait les allées et venues, appuyé à deux mains sur son immense épée. Mathilde reconnut le second poursuivant, celui qui avait été blessé. Le carreau d’arbalète était toujours dans sa jambe.

Dès qu’il l’aperçut, le chef nordique se précipita vers lui.

— Hjarulf ! Tu ne devrais pas être ici, c’est de la folie ! Ta blessure va s’infecter.

JARL Hjarulf, au cas ou tu l’aurais oublié… mais j’ai l’impression que le grand Thornald Bordolfsson, le fendeur de crânes, l’homme à qui les émirs du Kytar offrent des cadeaux pour ne pas s’en faire un ennemi, n’a pas à se soucier de ce genre de détails.

— ho, « les émirs du Kytar »… tu exagères, Jarl ! Juste quelque nobliaux de second rang. Mais il faut que tu prennes garde à ne pas te fatiguer.

— Par les crocs de Nidhog ! Pour qui me prends-tu… Aie !

Sur ces mots, le Jarl se laissa tomber sur une caisse et étendit la jambe.

— Ce n’est rien du tout ! Juste un élancement douloureux. Dans cinq minutes, je suis debout !

— Audrun va examiner ta jambe, elle a un don pour ça… pas autant que sa mère, mais elle pourra au moins te soulager.

Le Jarl Hjarulf répondit par un grognement. Audrun faisait partie des fidèles de Thornald. Elle et Galdlyn étaient les deux seules femmes officiers de son équipage, et toutes deux pratiquaient la magie.

La jeune femme examina la blessure du Jarl, son verdict fut sans appel :

— Il faut le porter jusqu’aux navires ! S’il tente encore de se lever et de marcher, ce sera la dernière fois, il faudra lui couper la jambe pour éviter l’infection.

— Par Odin, protesta Hjarulf ! Le médecin qui m’empêchera de marcher n’est pas encore né !

Mais c’était seulement pour le principe, parce qu’il savait que la guérisseuse avait raison, et qu’il n’avait guère le choix. Il se laissa docilement placer sur un bouclier et porter par deux de ses plus fidèles guerriers en essayant de conserver l’expression la plus digne et en évitant de croiser les regards de ses plus proches lieutenants, dont Thornald faisait partie depuis quelques années.

Les hommes évitaient eux aussi de regarder dans sa direction de peur de l’offenser… seule une des prisonnières osait lui lancer régulièrement des regards curieux alors qu’on les emmenait vers une destination inconnue. Une petite prisonnière blonde de moins d’une dizaine d’années…

« Si on n’avait pas croisé cette gamine dans la forêt, pensa Hjarulf, je n’aurais jamais pris ce carreau dans la jambe et je commanderais mes guerriers ».

Mais Hjarulf n’en voulait pas à Mathilde, ce qu’elle avait fait était conforme aux lois de la guerre, sa rancœur était dirigée contre Thornald qui avait profité de ces événements pour voler son commandement.

Mais où s’arrêterait un capitaine aussi ambitieux ?

Un Jarl incapable de se battre peut aisément être détrôné s’il n’a pas de fils en âge de lui succéder.

Un fils, il en avait un : Sven, un garçon costaud et courageux, mais il n’avait pas plus de dix ans. Il faudrait encore quelques années avant qu’il soit en âge de se défendre lui même, et Hjarulf n’était pas en mesure de le protéger. Tout ce qu’un rival ambitieux devait faire pour le renverser était de se débarrasser de Sven et de le défier.

C’est Thornald qui avait eu l’idée de cet audacieux coup de main contre le couvent de Saint Perceval, il connaissait les bretons mieux que personne, il parlait leur langue et il avait même des amis parmi les chevaliers… il était le maître du jeu et quoi qu’il fasse, personne ne s’opposerait à lui.

Hjarulf ruminait de sombres pressentiments sur l’avenir de sa lignée pendant qu’une fillette de sept ans se demandait naïvement pourquoi un homme traité avec tant d’égard était si morose.

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