Chapitre 14 – balade en forêt

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C’était un gros champignon ! Le plus gros de la clairière, et peut-être même de la forêt.

S’il n’avait pas ce chapeau rouge à pois blanc, Mathilde l’aurait certainement mis dans son panier, quitte à se renseigner auprès d’Helvorg pour être sûre qu’il soit comestible, mais cette couleur ne lui disait rien de bon.

Et de toute façon, Helvorg n’aurait jamais accepté qu’on touche à « la maison du lutin ».

— Regardez, s’exclama la petite. C’est ici qu’il habite. Il s’appelle « Pantoufle » et il n’aime pas voyager, c’est pour ça qu’il protège la forêt. La preuve, c’est que les bûcherons ne viennent jamais par ici.

— Ouais ouais…

Sven acquiesçait sans convictions, il connaissait assez bien Bordolf le bûcheron pour savoir qu’il avait d’excellentes raisons de couper le bois dans une autre partie de la forêt : la proximité de la route et des cabanes de charbonniers, le terrain et la qualité du bois. Mais il se garda bien d’engager un débat sur cette question avec une gamine de sept ans.

La journée s’annonçait suffisamment ennuyeuse sans y ajouter une dispute.

Mathilde les suivait à courte distance. Il aurait été parfaitement inconvenant de laisser la fille d’un capitaine seule avec un garçon dans la forêt, même le fils du Jarl. La lassitude de Sven semblait l’amuser.

— On devrait attendre ici, proposa Helvorg. Chaque fois que je viens, je regarde s’il veut bien se montrer et parfois il vient me voir… C’est comme ça qu’il m’a dit son nom et qu’il me raconte tout ce qui se passe dans la forêt, et il me pose plein de questions sur le village.

Sven et Mathilde échangèrent des regards étonnés et suspicieux.

— C’est peut-être un espion, suggéra Sven.

— De toute façon, on ne trouvera pas de truffes ici, signala Mathilde. On est bien là pour chercher des truffes hein ?

Sven poussa un soupir désabusé.

— On est là pour se balader, faire connaissance et discuter de projets d’avenir… On peut très bien attendre, je n’ai jamais vu de lutin. Ce serait au moins quelque chose d’intéressant.

Il avisa un rocher recouvert de mousse et s’assit. Mathilde s’installa à son tour sur un tapis de fougères.

— « discuter de projets d’avenir », reprit-elle. Quelle passionnante activité. Je sens que cette journée sera inoubliable.

— N’en rajoute pas s’il te plaît ! soupira Sven, ça ne m’amuse pas du tout

Puis il changea brusquement de ton :

— Qu’est ce que tu as l’intention de faire quand Helvorg sera grande ?

— Drôle de question, répondit Mathilde. Je suis l’esclave de Thornald, je le serai toujours.

— Ça je ne crois pas. Helvorg lui demandera de t’affranchir. Je suis même certain que c’est la première chose qu’elle fera.

Mathilde jeta un discret coup d’œil à la petite. Indifférente à la conversation des plus grands, elle s’était accroupie devant un terrier de lapin, conversant à voix basse avec une créature qu’elle était la seule à voir et à entendre.

— Et bien je n’en sais rien du tout… Je ne m’étais jamais posé la question. Peut-être que je retournerai en Bretagne. Quand mes parents sont morts, mon oncle s’est emparé de notre ferme. J’étais trop petite pour me défendre, mais maintenant que je connais Adelaïde de Galmor, je suis certain qu’elle me soutiendra et que je pourrai la récupérer.

— Et tu t’y connais dans les travaux de la ferme ? Oh, tu sais traire une chèvre, je t’ai vu à l’oeuvre, mais il y a bien d’autres choses à faire que tu n’as jamais appris… tirer une charrue, t’occuper des bœufs, gérer les semailles…

— Je me débrouillerai ! affirma Mathilde. J’apprendrai ce que je ne sais pas encore et j’engagerai des métayers.

— Ça coûtera cher, il ne te restera plus grand-chose. Tu quitteras un maître pour un autre et tu deviendras l’esclave de ta ferme.

— Et je devrais faire quoi à ton avis ?

— Tu pourrais rester ici. Épouser quelqu’un de chez nous, un officier ou un capitaine par exemple, tu t’occuperais de sa maison et tu aurais des servants pour les travaux lourds. Regarde Svedra par exemple : à part donner des ordres, elle ne fait pas grand-chose.

— C’est vrai ! Mais je n’ai pas envie de vivre comme Svedra.

— Et puis, ajouta Sven, ça ferait plaisir à Helvorg que tu restes.

— Oui je suppose…

— Mais tu as envie de partir ?

— La question n’est pas là. J’ai été servante au monastère de St Perceval, et maintenant esclave chez Thornald. Si je retrouve un jour ma liberté, je ne veux pas passer ma vie à donner des ordres à d’autres esclaves ou servants, mais je ne sais pas ce que je ferais… peut-être barde comme Snorri, ou magicienne.

— La magie, répéta Sven pensivement, c’est pas à la portée de n’importe qui.

— Je ne suis pas n’importe qui… Aie !

Le cri de Mathilde fit sursauter Helvorg qui tourna son regard vers les deux grands d’un air perplexe.

— Qu’est ce qui t’arrive ? demanda Sven.

— Quelque chose m’a piqué à la cuisse, ça fait rudement mal.

— Attends, je regarde…

— Je t’interdis de me toucher les jambes ! commanda Mathilde.

— Mais je voulais juste…

— il est parti, sanglota Helvorg.

— Qui ça ? demanda Sven.

— Son ami Pantoufle bien sûr, précisa Mathilde. Je suppose que je l’ai fait fuir en criant… je suis désolé Helvorg, je ferai attention la prochaine fois.

— Non, reprit la petite, il est parti juste avant… Il était en train de m’expliquer que l’autre jour, j’avais fait peur à son ami le lapin en restant devant son terrier et qu’à cause de ça il a déménagé. Puis tout à coup, il m’a dit qu’il y avait un indésirable dans sa forêt et qu’il devait s’en occuper, et il a disparu.

— Il est rentré dans le terrier ou il est sorti ?

— Ne me dit pas que tu crois à ces histoire, fit Sven.

— Ni l’un ni l’autre, reprit Helvorg. Il a juste disparu… un moment il était là et juste après il n’y était plus.

— Aie ! S’écria Mathilde

— Qu’est ce qu’il y a encore ? demanda Sven.

— Quelque chose m’a piqué ! Ça doit être une bestiole.

— Mouais… au lieu de raconter des histoires, tu pouvais simplement dire que tu n’as pas envie de te ballader en forêt. La prochaine fois, je vous emmènerai à la pêche, il n’y a pas de bestiole en mer, sauf les poissons.

— J’aime pas tellement le poisson, c’est plein d’arêtes.

— Et moi j’adore, annonça Helvorg. Et pour les arêtes, il suffit de les mettre dans de l’huile bouillante et les laisser mariner avec des herbes.

— Elle veut retourner à sa ferme mais elle ne sait pas faire la cuisine.

— Pfffff !

— Qu’est ce que tu tiens en main ? Demanda Helvorg.

— Une épine ou un dard, je ne sais pas très bien. Il s’est planté dans ma cheville.

— On dirait une flèche… une toute petite flèche.

— Tu as trop d’imagination, déclara Sven sans même regarder. Et puis, je me demande ce qu’on va faire de toi… tu veux retourner à ta ferme sans savoir cultiver puis tu prétends devenir magicienne alors qu’une épine te fait hurler… une petite épine de rien du tout.

— T’es méchant ! s’écria Helvorg. Une épine, ça fait très mal.

— Ho, les gosses !

Une voix d’adulte mit fin à la dispute. Un guerrier vint les rejoindre. Sven reconnu un des fidèles de son père.

— Salut Knut, tu nous suivais ou tu es là par hasard ?

— Je te cherchais. Faut dire que vous n’êtes pas difficile à trouver, ça piale et ça gueule sans arrêt… vous ne vous battiez pas au moins ?

— Non non, elle s’est juste enfoncée une épine dans la jambe, et elle ne veut pas que j’y touche.

— Bon… plusieurs vaisseaux du Norland ont été aperçus au large, le Jarl a demandé à voir immédiatement tous les capitaines et officiers présents. C’est urgent paraît-il.

— Encore des réfugiés ? S’étonna Sven. C’est pourtant banal maintenant.

— Non, pas des réfugiés, Ils portent l’étendard royal. Ils sont passé par Holdgard et il paraît que ça s’est mal passé… hem… je peux pas en dire plus devant les femmes.

— D’accord ! Je ramène les filles chez elles, préviens mon père que j’arrive.

— À tes ordres, jarlovich.

Knutt repartit aussi vite qu’il était venu, et Mathilde poussa un soupir de soulagement.

— J’aime pas sa manière de me regarder, j’ai toujours l’impression qu’il prépare un sale coup.

— Knutt considère comme des « ennemis possibles » tous ceux qui ne sont pas directement sous l’autorité du jarl, expliqua Sven, y compris ses anciens lieutenants. Alors une petite bretonne au service d’un rival, c’est une chance qu’il n’ait jamais essayé de t’étrangler.

— Qu’il essaie seulement !

— Et tu ferais quoi s’il essayait ?

Mathilde prit une grande inspiration et… ne répondit rien.

— Le temps que tu réfléchisses à la question, c’est à moi de vous protéger, et il faut qu’on se dépêche, mon père n’aime pas attendre… qu’est ce que tu tiens là ?

— C’est l’épine que j’ai eu dans la cheville, regarde.

Sven examina l’objet avec un mélange de curiosité et d’incrédulité.

— C’est vrai qu’elle ressemble à une flèche.

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