Chapitre 15 – le sentier de la guerre

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Danger de guerre ou non, Mathilde n’en était pas moins une servante, et lorsqu’elle ne s’occupait pas d’Helvorg, elle s’acquittait d’une autre corvée… En l’occurence, le nettoyage des draps et du linge de maison.

Lorsqu’elle arriva à la rivière avec son lourd panier à linge, elle eut du mal à trouver de la place… c’est comme si toutes les lingères de Drakenvik s’y étaient donné rendez-vous.

Par chance, Bryndis, une jeune fille blonde de quinze ans, remarqua son embarras et lui fit signe de la rejoindre.

— Tu m’aides à plier les draps ? Ensuite je te cède la place et je te donne un coup de main.

L’échange semblait équitable, Mathilde acquiesça.

Les deux filles engagèrent rapidement la conversation.

— Comment s’est passé votre ballade, tout à l’heure ? Sven ne t’a pas trop embêté ? Knutt nous a parlé d’une dispute…

— Oh, ce n’était rien du tout ! J’ai été piqué par une épine et il s’est un peu moqué de moi.

— Il n’est pas méchant tu sais, coupa Bryndis. Son père lui met beaucoup de pression pour qu’il devienne rapidement un « chef » et un « grand guerrier ». Il l’oblige à faire la cour à Helvorg alors qu’elle est bien trop petite et il y a tout le temps des hommes qui le surveillent.

— Knutt ? demanda Mathilde.

— Knutt et ses quatre frères, confirma Bryndis. Mais Knutt est le pire. Depuis qu’il est devenu un « Trustman », il fait du zêle pour obtenir son propre navire et il met son nez partout. On est obligé de se cacher…

— Qui ça, « on » ? demanda Mathilde.

Bryndis devint écarlate de confusion.

— Ben nous…

— Vous deux ? demanda Mathilde, sous le coup de la surprise.

Et sans attendre de réponse, elle ajouta :

— Et c’est pour ça que tu t’inquiétais de notre « dispute » ? Il n’y a vraiment pas de quoi. Mais je suis tout de même curieuse, tu es plus grande que lui, non ? Comment c’est arrivé ?

— C’est vrai que t’es curieuse. Et bien écoute, et garde ça pour toi : il y a quelques semaines,le Jarl m’attrape par le bas du dos pendant que je nettoyais le hall, il voulait que je m’asseye sur ses genoux, ou plus exactement sur son genou valide, parce que l’autre… bref, je me dégage et je m’apprête à sortir, mais Knutt me rattrape. Et là, Sven lui ordonne de me lâcher avec un air furieux… et puis il m’a raccompagné et on a un peu discuté…

— Juste discuté ?

— Ça, je te raconte pas… mais depuis, Knutt ne nous lâche plus, alors que Hjarulf a certainement oublié cette histoire.

— Ha, les bonne femmes ! rugit une voix d’homme. Vos histoires sont vraiment passionnantes !

Knutt venait de les surprendre.

* * *

— Toi ma petite, fit le guerrier en désignant Bryndis, ça fait longtemps que j’avais des soupçons, mais maintenant j’ai des preuves…

— Oublie ! murmura Mathilde.

— mais maintenant, répéta stupidement Knutt.

— Comment s’est passé la réunion chez le Jarl ? Demanda Bryndis d’une voix tonitruante. Ça semblait sérieux.

— Oui, c’est sérieux ! Un vaisseau-dragon de Siegfried est passé par Holdgard.

— On est déjà au courant, et alors ? Qu’est-ce que Hjarulf a ordonné ?

— Attends que je me souvienne… ah oui ! Il a ordonné que tous ceux et toutes celles qui sont en état de porter une arme se rassemblent sur la place principale. Ils recevront une arme et seront entraînés à s’en servir… pour se protéger.

— Moi aussi ? Demanda Mathilde.

— Tu es une esclave, et une gamine par dessus le marché. Tu rentre chez toi et tu n’en bouges plus.

— C’est juste pour vous aider, ajouta Mathilde.

— Si les femmes et les enfants sont en danger, ça la concerne aussi, plaida Bryndis.

— Toi ma petite, fit le guerrier en désignant Bryndis, ne te mêle pas des affaires des adultes. Ça fait longtemps que j’ai des soupçons à ton sujet, mais un jour j’aurai des preuves et à ce moment là…

Il s’interrompit à nouveau et se mit à réfléchir, comme si une information capitale lui faisait brusquement défaut.

— Bref ! conclut-il, vous savez ce que vous avez à faire, et ne traînez pas dans les rues, les navires de Siegfried peuvent arriver d’un jour à l’autre.

— Je ne comprends pas, protesta Bryndis. Si les hommes de Siegfried sont hostiles, pourquoi ne pas simplement leur interdire l’accès au port ? Les guerriers présent sont assez nombreux pour les dissuader d’entrer par la force.

— Sans doute, admit Knutt, mais ce serait une atteinte aux lois de l’hospitalité… et par conséquent une déclaration de guerre.

— Mais…

— Ne discutez pas ! Faites ce qu’on vous dit, vous ne savez pas tout !

Il repartit en soupirant sur la stupidité des femelles.

— Il faut que je rentre et que je prévienne Svedra, annonça Mathilde. Thornald est parti avec ses meilleurs guerriers et il faudra protéger Helvorg.

— Passe d’abord chez Frilvorg, suggéra Bryndis. Tu sais ou elle habite ? La grande maison avec des cages au corbeau devant l’entrée.

— Oui, Snorri logeait chez elle il y a encore quelques semaines.

— Bien ! Elle ne fait presque plus d’expédition, mais elle a encore ses fidèles et la plupart des vierges guerrières passent par chez elle. Un jour, j’irai la voir moi aussi.

— Pourquoi des « vierges guerrières » ? Des femmes mariées, ou non vierges, ne peuvent pas porter les armes ?

— Bien sûr que si, petite cruche ! Mais seules les jeunes filles doivent absolument le faire… Pour trouver un mari digne de ce nom, une femme doit prouver qu’elle est capable de défendre sa maison et ses enfants en son absence. Allez, file ! Si Knutt te voit encore traîner, il va te botter les fesses.

* * *

Sitôt le linge rentré, Mathilde se rendit chez Frilvorg. Devant le hall, plusieurs groupes de femmes s’entraînaient au maniement des armes. Toutes étaient armées de bâtons.

Il était facile de reconnaître les « vierges guerrières » évoquées par Bryndis : elles portaient casques et chemises de mailles et donnaient des ordres aux autres femmes, habillées plus simplement ou recouvertes de protections en peaux.

Comme personne ne faisait attention à elle, Mathilde entra discrètement dans le hall et pénétra dans les appartements de la femme aux corbeaux.

— Oh, une visiteuse, murmura la shamane. Entre petite… ou plus exactement, approche, puisque tu n’as pas eu besoin de ma permission pour entrer.

Elle était penchée sur une bassine d’où émanaient d’étranges reflets lumineux.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda Mathilde.

— Regarde par toi-même, et dis-moi ce que tu vois.

— Juste un liquide sombre, et une tache lumineuse

— Regarde mieux.

Mathilde fronça les sourcils. Qu’y avait-il donc de si passionnant à voir dans une bassine d’eau sale ? Elle s’exécuta cependant.

— On dirait un feu de camp, remarqua-t-elle après quelques instants, avec des hommes autour… Je reconnais Thornald, Brynjolf et Kennald… et un très vieux bonhomme que je n’ai jamais vu.

— C’est le passé que tu vois. C’était avant-hier soir. Je dois bien avouer que tu es douée… tu n’as jamais pensé devenir magicienne ?

— heu… non, jamais.

— Regarde encore, suggéra Frilvorg, et concentre toi sur l’instant présent en pensant très fort à quelqu’un que tu connais bien.

Le feu de camp disparut du bassin, l’eau prit une coloration verdâtre et Mathilde put distinguer un paysage forestier. Bryndis était appuyée contre un tronc d’arbre et Sven l’embrassait à pleine bouche.

Mathilde demeurait coite de surprise.

— Qu’est-ce que tu vois ? demanda Frilvorg.

— Je… je ne peux pas le dire.

— Tu ne vois rien ?

— Si, mais c’est un secret.

— Bien ! déclara la shamane ravie. Tu connais d’instinct la première loi de la magie : ne jamais trahir vainement les secrets des autres, et la seconde loi y est associée : ne jamais mentir à un autre magicien, même si tu ne lui fait pas confiance. Tu peux bien sûr refuser de répondre ou omettre certains détails, mais un mensonge direct peut avoir de graves conséquences.

Mathilde rougit malgré elle. Elle avait menti au sujet de la magie : devenir magicienne était sa seule idée depuis que Galdlyn lui avait appris ses premiers sortilèges.

— J’étais venue à cause de la réunion chez le Jarl, reprit-elle pour changer de sujet. Les meilleurs guerriers de Thornald sont partis et ceux qui restent ne sont ni très nombreux, ni très costauds. Il faudrait quelques combattants pour nous protéger, surtout Helvorg.

— C’est Svedra qui t’a envoyé ?

— Heu… non. Je suis venue toute seule… Vous croyez qu’elle sera fâchée en l’apprenant ?

— Sûrement, les esclaves n’ont pas à prendre ce genre d’initiative. Mais je ne lui en parlerai pas. Deux ou trois guerrière vous rendront visite et resteront près d’Helvorg le temps que ça se passe.

— Merci, merci beaucoup… maintenant il faut que je rentre, je suis déjà en retard.

— Attends une minute, ordonna Frilvorg. J’ai encore une question.

Mathilde s’interrompit, de plus en plus inquiète.

— J’ai remarqué une ombre dans ton aura, et j’avoue que cela m’inquiète un peu. Je ne veux pas connaître tes secrets mais il se peut que tu te mettes en danger un jour prochain, et je voudrai faire une dernière expérience avec le bassin divinatoire.

— Ah oui ? Qu’est ce que je dois faire ?

Mathilde était partagée entre la curiosité et une étrange appréhension.

— Je dois te prévenir, ça pourrait te faire mal… ou plus exactement, te faire très peur et t’empêcher de dormir pendant quelques jours.

— Et ce serait dangereux ? demanda Mathilde.

— Non, ça te ferait juste très peur… un peu comme quand un barde raconte une histoire effrayante.

— Oh, je n’ai pas peur des histoires des bardes.

— Alors regarde encore une fois. Imagine que tu es dans l’obscurité et qu’un grand danger te menace. Regarde bien le bassin et concentre-toi sur l’idée de danger.

Mathilde risqua un œil. D’abord timide, malgré ses bravades, puis elle se pencha et chercha activement quel danger pourrait se cacher dans ce liquide sombre.

Et tout à coup, elle recula vivement en poussant un cri. Comme si elle avait anticipé ce geste, Frilvorg la rattrapa par le bras.

— Qu’est-ce que tu as vu, demanda-t-elle avidement.

— C’était… trop bizarre.

— Essaie tout de même : c’était une image fixe ou des actions ? La voyais tu depuis le sol ou de plus haut, comme si tu volais ? Étais tu dans la scène ? Rappelle-toi chaque détail.

— Il y avait – Mathilde fit une pause pour reprendre son souffle – un combat, c’était une scène rapide et je la voyais depuis le sol. Au centre, une créature monstrueuse se battait seule contre un groupe de guerriers. Le sang giclait de partout.

— À quoi ressemblait cette créature ? Étais-tu dans la scène ? reprit Frilvorg.

— Je n’y étais pas… et je n’arrive pas à décrire cette créature, ni même les guerriers qu’elle combattait d’ailleurs. C’était tellement confus. C’était une sorte de bête avec une forme vaguement humaine… une énorme bête.

— C’est bon, inutile de te torturer davantage l’esprit.

— Vous savez ce que ça signifie ? demanda Mathilde.

— Je n’en suis pas sûre, mais si tu n’as pas vu ce combat depuis le ciel, cela signifie que tu survivras à ce danger, même si je ne sais pas dans quel état. N’étant pas dans ta vision, tu ne seras pas au cœur de l’action sauf si… au fait : qui a gagné ce combat.

— Je crois que c’est le monstre. Les guerriers tombaient comme des mouches.

Puis un silence s’établit entre la shamane et la petite esclave.

— J’ai besoin de prendre l’air, déclara Mathilde.

— Oui… rentre chez Svedra et ne pense plus à cette vision. Je t’avais prévenu qu’elle te ferait peur.

— Tu sais ce que ça veut dire, n’est-ce pas ?

Les lèvres de Frilvorg se déformèrent pour former le mot « non », mais elle se ravisa en dernière minute.

— Je n’en suis pas sûre, mais je pense que c’est important… très important.

Mathilde repartit, un peu frustrée. Frilvorg lui avait laissé entrevoir une partie de ses pouvoirs, mais tout ce qu’elle en avait tiré, c’est un secret qui ne la concernait pas et une vision terrifiante de son propre avenir.

« Flûte ! se dit-elle. La magie, ça ne sert vraiment à rien ! »

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