Chapitre 16 – Visite de Siegfried

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Plusieurs jours s’écoulèrent dans une sourde inquiétude. Les voiles du Norland apparaissaient parfois dans le lointain et disparaissaient presque aussitôt. Hjarulf était sorti de son hall et commandait les éclaireurs, soutenu par un bâton de marche qu’il ne se donnait plus la peine de cacher. Les hommes devaient régulièrement faire des pauses pour qu’il puisse les suivre et certains murmuraient que Sven devrait prendre le commandement. D’autres déploraient l’absence de Thornald…

Mathilde avait donc l’interdiction de sortir, et par conséquent rien à faire, à l’exception de trop rares séances d’entraînement prodiguée par quelque guerrière vétéran envoyée par Frilvorg.

Cependant, et bien qu’on le lui ait formellement interdit, elle quittait périodiquement le hall et suivait les guetteurs de loin. Les yeux rivés vers l’horizon, aucun d’eux n’avait jamais remarqué sa présence, à l’exception de Sven qui n’avait pas jugé utile de l’interpeller.

Après tout, les affaires du Hall de Thornald ne le regardaient pas.

Lors d’une de ces expéditions, elle entendit des cris d’alarme puis aperçut un homme qui levait le bras en regardant l’océan. Un oiseau de proie vint se poser sur son bras tendu. Mathilde reconnut alors Hrafn, le seul trustman de Thornald à ne pas être parti.

Sven et ses propres hommes le rejoignirent et ils se lancèrent dans une discussion animée. Ils étaient trop loin de Mathilde pour qu’elle puisse tout entendre, mais elle put capter quelques mots et comprit rapidement que des étrangers étaient sur le point d’aborder.

Il fallait qu’elle les voie.

* * *

Les trois vaisseaux dragons approchaient des quais. Conçus pour la haute mer, ils étaient beaucoup plus grands que les navires de Drakenvik qui se contentaient de longer les côtes du Kytar et de Bretagne ou de remonter les cours d’eau. Dissimulée derrière le mur de la pêcherie, Mathilde calcula rapidement le nombre de guerriers qu’ils pouvaient transporter.

« un peu plus de soixante, estima-t-elle, ça doit faire à peu près deux cent. »

C’était insuffisant pour soumettre la région, mais beaucoup trop pour une visite de courtoisie.

— Qu’est-ce que tu fais là ?

Mathilde sursauta, Hrafn venait d’apparaître juste derrière elle.

— Je… Je ne fais rien du tout, balbutia-t-elle. Je regarde, simplement.

— Il faut que tu rentres au Hall immédiatement. Ces hommes sont dangereux… vraiment dangereux. Hjarulf doit leur parler pour connaître leurs intentions et si les choses se passent mal, nous aurons une guerre sur le dos.

— Bah, Thornald « le rusé » trouvera bien un moyen de l’éviter… comme la dernière fois.

— Ne dis pas ça, Mathilde. Certains hommes, en particulier les exilés du Norland, pensent que Thornald ferait un meilleur Jarl que Hjarulf.

— Ça signifie qu’il est populaire, c’est une bonne chose, non ?

— Non, ce n’est pas une bonne chose. Hjarulf et ses fidèles ont peur de Thornald depuis des années, et cette « popularité » pourrait entraîner un conflit entre nous, alors que nous sommes menacés par les hommes de Siegfried, tu comprends ? On reparlera de ça plus tard, pour le moment il faut que tu te mettes à l’abri avant de provoquer une catastrophe.

— C’est bon, c’est bon, soupira Mathilde en haussant les épaules. Je vais repartir en me faisant toute petite et vous pourrez faire vos petite batailles entre grandes personnes.

Elle sortit de sa cachette et entreprit de contourner les guerriers du Norland. C’était loin d’être évident car les quais étaient situés entre la pêcherie et le Hall de Thornald. Certains hommes étaient restés près des navires pour les surveiller et les autres accompagnaient leur capitaine dans la rue principale, vers le Grand Hall ou Hjarulf et ses fidèles devaient les recevoir…

Impossible donc de passer sans être vu, Mathilde attendit que les deux groupes soient suffisamment éloignés l’un de l’autre pour traverser la grand rue. C’est alors que tout bascula.

— Attention, hurla une voix de femme.

Mathilde se retourna, elle eut juste le temps de voir un guerrier se précipiter sur elle l’épée levée. Elle esquiva le premier coup, elle attrapa le bras de l’homme avant qu’il n’ait le temps d’ajuster un second coup et ses griffes sortirent brusquement, arrachant les chairs et la manche de la cotte de mailles.

L’homme poussa un hurlement de douleur, d’autres guerriers vinrent à la rescousse. Mais leur élan fut brutalement coupé par une nuée de corbeaux qui se précipitèrent sur eux en essayant de leur crever les yeux.

— Par ici, Mathilde ! Dépêche-toi bon sang !

Frilvorg ! La femme aux corbeaux et ses vierges guerrières étaient venues à son secours.

Alors que les corbeaux commençaient à se disperser, Mathilde courut vers les guerrières, le mur d’épées et de boucliers qu’elles avaient formé s’ouvrit sur son passage. Elle était provisoirement à l’abri, mais tout pouvait encore basculer.

Les guerriers du Norland s’étaient maintenant regroupés autour du blessé, qui devait être un personnage important car leur capitaine s’entretint longuement avec lui. Les hommes attendaient impatiemment l’ordre de charger ces femelles qui osaient les défier.

Mais les guerriers de Drakenvik s’étaient eux aussi rassemblés autour de la petite troupe de Frilvorg Anjarsdottir. Son frère Ralgard Anjarsson et ses guerriers arrivèrent les premiers. Ils prirent position sur les flancs des guerrières pour rendre impossible tout débordement.

Dans les rues lattérales, les guerriers de Hjarulf s’étaient eux-aussi rassemblés. Le Jarl lui même les suivait à bonnes distance, en avançant tant bien que mal avec son bâton de marche. Le commandement était provisoirement assuré par le capitaine Harik Einarsson, dit « longue épée ». C’était un vigoureux guerriers qui avait fait ses premières expéditions en même temps que Hjarulf. C’était aussi le père d’Arnjolf Hariksson, le second de Thornald.

Les autres rues étaient occupées par des capitaines plus jeunes qui avaient fait le grand tour sous les ordres de Sven. Il y avait Gerolf Arnsson, Helketer Ulfrigsson et d’autres capitaines de moindre importance.

Aucun d’entre eux n’avait assisté au début de l’engagement, mais tous avaient compris la nature du danger, et ils étaient prêts à engager leurs vies et celles de leurs hommes pour un conflit dont ils ne savaient finalement pas grand-chose.

L’homme qui commandait les guerriers du Norland évalua rapidement la situation : Drakenvik possédait l’avantage numérique, mais ses propres guerriers étaient mieux entraînés. D’un autre côté, les habitants de la ville et les exilés qui vivaient aux alentours pourraient renforcer ses ennemis en cas de bataille. Lancer l’assaut dans de telles conditions était un trop grand risque.

Il passa devant ses hommes et avança de quelques pas en direction de la troupe de Frilvorg.

— Drakenvik ! Cria-t-il. Où est votre Jarl ? Je suis Thorin Alvarsson, mon cousin Leif a été mutilé par une sorcière. Est-ce ainsi que vous respectez les lois de l’hospitalité ?

— Me voilà ! Rugit Hjarulf.

La voix du Jarl avait retrouvé la puissance de ses derniers commandements, mais Thorin remarqua immédiatement le bâton de marche et sourit intérieurement.

— Mon cousin a été agressé et mutilé, répéta-t-il ! Je veux la tête de la sorcière comme wergeld.

— La sorcière ? Reprit Hjarulf incrédule en regardant du côté de Frilvorg.

— Ton cousin est une ignoble brute qui s’est cru très malin en attaquant une gamine, et il a eu ce qu’il méritait, répliqua Frilvorg. De toute façon, Mathilde appartient à Thornald. C’est avec lui que tu devras t’arranger.

Thorin se mit à rire.

— Thornald ? Thornald Bordolfsson, le rusé, le fendeur de crânes, celui qui fait trembler les bretons et les kytars. Vous croyez vraiment qu’il me fait peur ? Jarl ! Qui donne des ordres dans cette ville ? Est-ce toi ou les femmes ? Si nous n’obtenons pas satisfaction, nous reviendrons, et tous les enfants de Drakenvik seront en danger. Vous retrouverez régulièrement des corps sans têtes et des têtes plantées sur des piques.

Pour Hjarulf, le dilemme était insoluble. S’il cédait à l’ultimatum de Thorin, il s’aliénait définitivement Thornald et ce dernier aurait toutes les raisons de se révolter. Pire encore, il pouvait douter de la loyauté de Frilvorg qui avait pris la petite Mathilde sous sa protection, et par conséquent de son frère Ralgard. Mais d’un autre côté, s’il rejetait l’ultimatum, il entrait en guerre contre Siegfried, le redoutable roi de Norland.

Il n’avait que quelques secondes pour se décider. Quelques secondes passèrent, le Jarl resta silencieux.

— Fichez le camp ! cria Sven. Vous n’avez plus rien à faire ici.

Le fils du jarl s’était avancé, il n’était maintenant qu’à quelques mètres de Thorin.

— Il a raison ! reprit Hjarulf. C’est vous qui avez enfreint les lois de l’hospitalité. Si vous restez une minute de plus, le sang va couler.

— Quelle magnifique cité, ironisa Thorin en crachant par terre. Ce sont les femmes, les enfants et les infirmes qui donnent des ordres… Et bien nous allons repartir, et lorsque nous reviendrons, ce sera pour faire le ménage. Quant à Thornald, le seul véritable guerrier de ce trou à rats, ne comptez pas sur lui pour vous sauver : à l’heure qu’il est, il nourrit les poissons.

Sur ces mots, il recula lentement. L’idée de se précipiter sur Sven pour le prendre en otage et exiger son dû lui avait tout naturellement traversé l’esprit. Mais il l’avait écarté pour des raisons pratiques : les capitaines de Drakenvik lui avaient tous tenu tête alors qu’il espérait inspirer la terreur. Le moment était donc mal choisi pour engager les hostilités.

Mais bientôt… lorsque les mères seraient fatiguées de creuser des tombes pour les cadavres qu’il laisserait bien en vue, les dissensions allaient forcément survenir, et alors…

Tout serait possible.

Les hommes du Norland reculèrent jusqu’à leurs navires, étroitement surveillés par les guerriers de Drakenvik. Puis ils embarquèrent et prirent la mer dans un silence oppressant.

Sur ces entrefaites, Svedra arriva en courant. Elle se précipita sur Mathilde.

— Qu’est ce que tu as encore fait comme bêtises ?

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