Chapitre 17 – Le jugement du Jarl

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Soutenu par son inséparable bâton de marche, Hjarulf marchait de long en large dans la grande salle de son Hall. La nouvelle de la mort de Thornald aurait du mettre fin à ses inquiétudes : personne ne tenterait de le renverser, mais il n’en était rien… Il revoyait le gamin qu’il avait pris sous sa protection alors que les autres capitaines l’évitaient, et il ne put s’empêcher de soupirer.

— Thornald ! murmura-t-il. Comment en sommes-nous arrivé là ? J’ai fait de toi un guerrier. Tu m’a bien servi et tu as même vengé la mort d’Harald, et maintenant tu es mort ! Mort sans qu’on ait eu le temps de se réconcilier…

Une voix juvénile interrompit ses réflexions.

— Père. Est-ce bien raisonnable de marcher ainsi ? Frilvorg vous a recommandé le repos.

— Elle m’a aussi conseillé de marcher un peu chaque jour, afin que je ne perde pas les moyens de me déplacer autrement qu’en litière.

Il se tourna pour faire face au garçon qui venait de l’interpeller.

— Comment les autres prennent-ils la nouvelle, Sven ? Tous les capitaines sont là ?

— Tous les capitaines présents à Drakenvik attendent devant l’entrée. Les autres sont représentés par leur épouse ou par un second… sauf Thornald. Svedra n’a envoyé personne, elle est en deuil.

— Et la petite sorcière ?

— Elle est avec Frilvorg, et deux vierges guerrières. Chaque capitaine a deux guerriers avec lui, ils ont tous respecté la consigne.

— Parfait, parfait…

Sven attendit en vain la suite de la réponse de son père. Le Jarl était visiblement préoccupé par les menaces de guerre, maintenant très concrètes.

— Beryar est également présent, il est venu seul et il demande à assister au conseil.

— Évidemment, grogna Hjarulf. Ç’aurait été trop beau qu’il reste en dehors de l’affaire.

— Dois-je le faire chasser ?

— Non, il faut régler cette affaire et ne laisser aucun conflit en suspens. Lorsque nous enverrons des émissaires dans les autres colonies nordiques, nous devrons être unis et irréprochables. Fais le entrer, fais également entrer Frilvorg – sans ses guerrières – et Mathilde. Que les autres patientent.

Beryar se présenta le premier. Il refusa dans un premier temps de laisser ses armes à l’extérieur, mais Knutt savait se montrer insistant, et l’absence des guerrières de Frilvorg finit par le convaincre. Il était superbe dans sa cotte de mailles lustrée pour l’occasion et son casque conique sous le bras, on aurait pu le prendre pour un capitaine.

Il ne lui manquait que l’escorte et le navire.

Frilvorg entra ensuite, tenant Mathilde par la main. Elle aussi avait laissé à l’extérieur la seule arme dont elle ne se séparait jamais : son bâton en noisetier ferré d’acier du nord.

Elle examina rapidement l’accoutrement et l’équipement de Beryar et se permit de sourire. Le guerrier ne représentait pas un danger.

D’un geste de la main, Hjarulf donna la parole au guerrier. Ce dernier salua et remonta la manche de sa cotte de mailles pour montrer qu’il ne dissimulait pas d’arme, et en même temps pour exhiber ses cicatrices.

— Jarl, merci de me recevoir. Lors de la dernière fête de Samhain, j’ai été blessé par la sorcellerie. Certains ont nié que la magie était à l’œuvre et ont ri de ma « maladresse » et je n’ai pas pu me défendre. Mais hier, lors de la visite de Thorin, nous avons tous pu constater que cette fille – il désigna Mathilde en arborant une moue de dégoût – pratique bel et bien la magie noire.

Beryar s’était montré habile dans sa manière de présenter la situation. Il s’était bien gardé de préciser que Frilvorg avait été la première à « rire de sa maladresse ». Tant que la femme aux corbeaux protégerait la fillette, il ne pouvait rien contre elle, et il en était parfaitement conscient.

— Je suis sincèrement navrée d’avoir douté de la parole de Beryar, répondit Frilvorg en s’adressant au Jarl. Et Mathilde l’est également. Mais bien que magicienne, elle n’en est pas moins une petite fille que les paroles et les gestes de Beryar ont effrayé plus que de raison… en particulier lorsqu’il s’est jeté sur elle avec son poignard de sacrifice en main. Certes, il n’avait pas l’intention de la blesser, mais elle ne pouvait pas le savoir.

Sven eut de la peine à se retenir de rire en entendant cette réponse, il eut juste le temps de se cachet la bouche.

— Quoi qu’il en soit, poursuivit Frilvorg, je lui offre trois bracelets d’argent pour ses blessures.

— Cinq ! répliqua Beryar. Depuis Samhain, je n’arrive plus à plier le petit doigt. Ça me gêne pour tirer à l’arc.

— Laisse-moi voir ça, proposa Frilvorg.

— Non ! rugit Beryar en cachant précipitamment sa main. Plus aucune magicienne ne touche mes blessures.

— Soit ! Quatre bracelets d’argent.

Hjarulf poussa un grognement de lassitude.

— Mettez vous d’accord et finissons-en. Nous avons des choses bien plus importantes à régler. Un des nôtres a été tué par ce Thorin, envoyé par Siegfried, nous devons nous préparer à de nouvelles attaques, et ensuite le venger… Thornald était pétri d’orgueil et d’ambition, mais il était brave et fidèle. Il ne méritait pas de finir ainsi.

— Thornald est toujours brave et fidèle, précisa Frilvorg. Il est toujours en vie… Thorin a menti.

— Pourquoi ? demanda Hjarulf. C’est un mensonge qui sera éventé dès son retour…

Il s’interrompit soudain, et la surprise se marqua sur son visage.

— …ils ont l’intention de le tuer avant qu’il ne revienne.

— C’est ce que je pense, acquiesça Frilvorg.

À aucun moment Hjarulf n’avait exprimé le moindre doute sur les affirmations de Frilvorg : elle était la femme aux corbeaux, les messagers d’Odin logeaient sous son toit. Ce qu’elle affirmait ne pouvait être que la vérité.

— Qu’en penses-tu, Beryar ? Reprit le Jarl.

— Un des nôtres a été tué, nous devons le venger, répondit le guerrier.

Il adressa en même temps un regard à Frilvorg et lui montra quatre doigt en hochant la tête.

— Bon, nous sommes d’accord, poursuivit Hjarulf. Il reste un dernier détail, Frilvorg : as-tu expliqué à cette petite pourquoi nous avons interdit aux femmes et aux enfants de se monter pendant la visite des émissaires de Siegfried.

— Simplement que c’était dangereux, rien de plus.

— Dans ce cas, sa présence en ville était un simple accident et je n’ai rien à lui reprocher. Beryar aura son wergeld, il annoncera à tous que justice a été rendue et nous pouvons faire entrer les autres capitaines.

— Pourquoi ? demanda soudainement Mathilde.

— Pour mener une guerre, voyons ! Retourne chez Svedra, cette réunion ne te concerne plus.

— Pourquoi ne pouvions nous pas nous montrer ? précisa Mathilde. Qu’est-ce que vous nous cachez ?

— hu ! grogna Hjarulf.

— Les magiciennes sont curieuses par nature, précisa Frilvorg. Maintenant, je pense qu’elle a le droit de savoir.

Cette fois, c’était le tour de Beryar de sourire, et il ne s’en cacha pas.

— Ramène-la chez elle, Sven. Tu lui expliqueras en chemin.

Sven entraîna Mathilde à l’extérieur du Hall, Beryar sortit à son tour quelques minutes plus tard, exhibant fièrement les bracelets d’argent qu’il venait de gagner.

Le jarlovitch marchait d’un pas rapide en gardant le silence.

— Tu sais Sven, je connais le chemin, je suis assez grande et je ne me sauverai pas. Mais j’aimerais bien savoir ce que Hjarulf nous cachait… à propos de Thorin.

— C’est bon, soupira Sven. Avant de venir chez nous, ils se sont arrêtés à Holdgard, ils ont été reçu par le Jarl et, en cours de route, ils ont tué un gosse.

— ils ont QUOI ?

— Un gamin de sept ou huit ans qui jouait sur le côté. Leif a juré qu’il l’avait pris pour un ennemi et il a jeté deux bracelets d’argent en wergeld… la famille était effondrée, personne n’a osé intervenir. Hjarulf a voulu vous mettre à l’abri, mais sans déclencher la panique.

— mais pourquoi ils ont fait ça ?

— Pour terroriser tout le monde, montrer qu’ils peuvent le faire et qu’ils sont les maîtres… je suppose qu’ils veulent tuer Thornald pour la même raison, c’est un de nos meilleurs capitaine. Mais ils ont été trop loin et nous allons nous battre.

— Contre le Norland ?

— Oui

— Mais ils sont plus puissants que nous ?

— Oui

— Alors nous allons perdre ?

— Peut-être pas… le Norland est loin les autres colonies sont dans le chemin, ils ne pourront pas s’y arrêter pour se ravitailler en cours de route. Mon père pense que Siegfried veut prendre le contrôle de toutes les colonies et qu’il nous a menacé en premier pour installer des forts chez nous et menacer ainsi Eriksorn et les colonies de l’Ouest.

— Alors ceux d’Eriksorn seront nos alliés ?

— C’est ce qu’on espère, en tout cas, c’est aussi leur intérêt… mais pourquoi tu souris ?

Mathilde exhibait en effet un air plus qu’amusé.

— Parce que lorsque j’étais encore otage avec les sœurs de Saint Perceval, Thornald allait proposer de vendre sœur Adelaïde au Jarl d’Eriksorn contre mille guerriers… et que vous allez les obtenir pour rien.

— C’est pas drôle, répliqua Sven.

— Je sais, mais ça me fait quand même sourire…

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