17. Combattivité

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En ce cinquième jour de formation, je retrouvai les équipes des blindés. Je m’assis à côté de Jane. Elle me lâcha un sourire naturel.

— Salut.

— Salut. Vous avez commencé tôt ?

— Oui, petit exercice de manœuvre à Dresde. J’ai cru que j’allais m’endormir sur la route au retour. Et les garçons sont un peu dégoûtés.

— Parce que ?

— Parce que vous avez travaillé les évacuations d’urgence de vos ESAO. Ils auraient bien maté.

— C’est que ce n’est pas quelque chose qu’on voit tous les jours, se défendit avec humour le garçon à côté d’elle.

— Je pense que dans la réalité, ça n’est jamais arrivé, dit Jane. Soit un ESAO massacre tout, soit il se fait torpiller. Mais faudrait un sacré coup de chance pour qu’une pilote soit juste un peu endommagée et puisse sortir sans se faire massacrer.

Je dis :

— Une panne. Pas forcément une panne sexuelle, mais il suffit d’une panne.

— Le matériel ne devrait pas tomber en panne. C’est pour ça qu’on a des mécanos, vous aussi, dit le garçon.

— Ouais, on a des gens qui font mécano et gynéco.

— Mais la technologie des ESAO est plus sophistiquée que celle des blindés, donc peut-être plus soumise à des problèmes électroniques, suggéra Jane.

— Je n’en sais rien, confiai-je.

Mes camarades de chambre nous rejoignant j’attendis qu’Héloïse ait posé ses fesses, comme si elles pesaient vingt kilogrammes chacune pour lui demander :

— Il y a souvent des pannes sur les ESAO ?

Elle gonfla les joues, incertaine, et Peter répondit à sa place :

— Non. On ne peut pas se le permettre. Après chaque mission, le gynécien fait un entretien complet. Les ESAO coûtent cher et les pilotes sont rares.

— C’est rassurant pour vous, me dit Jane.

En effet, ça l’était.

Je terminai mon petit déjeuner, puis laissai l’habitude emmener mes jambes à la chambre. Ma brosse à dent prise, je descendis jusqu’au vestiaire pour me nettoyer la bouche et faire une halte WC pour vérifier ma messagerie sur mon smart-data. J’étais déjà rôdée à la minute. Je remontai ranger mes affaires, puis redescendis les escaliers pour atteindre le hangar, empoigner mon fusil, et gagner la cour du matin. Le vent frais et sec s’engouffrait par les manches du t-shirt, l’atmosphère humait la rosée séchant sur le béton, annonçant une montée en chaleur estivale. L’adjudante arriva alors que j’étais toujours seule. Elle me sourit simplement.

Mes camarades arrivèrent groupées. Kirsten était à peine éveillée et ses cheveux mal attachés n’échappèrent pas à l’instructrice.

— Bonjour à tous. Vous pouvez enlever le béret.

— Bonjour mon adjudant, répondîmes-nous en chœur.

— Muñoz, Birki, Fontaine, Maillard, Johnston, Carlier, Erhlich en position d’équilibre, les pieds sur le mur. Erhlich tu pompes en même temps.

Kirsten ne bougea pas, tandis que nous nous placions sur les mains, les pieds grimpant au-dessus de nos têtes jusqu’à ce que nous fussions presque à la verticale. Peter commença à pomper alors que nos bras tremblaient déjà. Seule Mercedes semblait à l’aise. L’instructrice passa à côté de la Danoise et lui arracha l’élastique noir d’un coup sec, lui tirant les cheveux.

— Aïe !

Elle lui remit l’élastique et les cheveux blonds cassés aux creux de la main et articula :

— On attend que Jorgensen soit coiffée.

Kirsten s’empressa de tendre ses cheveux, puis les noua. Satisfaite, l’instructrice, ordonna :

— Parfait ! Au pas de course derrière moi !

Elle partit aussitôt au trot. Nous posâmes les pieds au sol et sprintâmes, fusil à la main pour la rattraper. Une pointe de côté me lança sitôt que nous nous accordâmes à son rythme. J’inspirai par le nez, appuyai avec ma crosse sur le flanc pour tenter de la faire passer, et serrai les dents sans me plaindre.

Après huit tours de gymnase, essoufflées, dégoulinantes de sueur, nous entrâmes dans l’immense salle de basket. Mes courbatures des autres jours me lançaient en arrière-plan. Mes cuisses étaient raides, mais la douleur me faisait sentir vivante.

Un homme nous attendait devant des mannequins de Crevettes. Il n’était pas plus grand que moi, mais faisait le double de ma largeur. Il avait le visage marqué, les cheveux poivre sel. Il esquissa un sourire narquois à l’attention de notre instructrice :

— C’est pire d’année en année.

— Elles ne sont pas nombreuses, mais à défaut de quantité, il y a la qualité. Il y a beaucoup de potentiel. Garde à vous !

Nous sursautâmes. Ils rirent tous les deux, puis il se présenta.

— Je suis le major Ferreira, mais vous pouvez m’appeler the Witcher. Je vous présente vos camarades de jeu. Ces Crevettes sont là pour vous apprendre comment on peut faire du corps à corps contre elles. Si vous êtes douées, à la fin de votre formation, on vous dira comment buter des Homards à mains nues.

— C’est possible ? lâcha Mercedes incrédule.

Il se désigna du pouce :

— C’est pour ça qu’on m’appelle the Witcher. En supposant qu’un évènement dramatique vous paralyse mais que vous puissiez vous extraire de votre ESAO, vous pourriez utiliser votre 3008. Mais il faudra mieux garder du stock en magasin pour la grosse vermine et utiliser le couteau pour la petite racaille. J’ai affronté ces saloperies sur beaucoup de terrains différents, dans des conditions que vous ne pouvez même pas imaginer. Je suis en vie parce que j’ai été avare de munitions et que je me suis pris pour le Slayer… Personne ne connaît ? Doom ? Non ? Ah la jeunesse ! Bref, j’ai développé des techniques nous permettant d’exploiter les points faibles de la carapace de nos ennemis.

Il était un peu imbu de sa personne, mais étrangement notre adjudante semblait en admiration devant sa personnalité sinon devant le passé qu’il incarnait. Lorsqu’il cessa de vanter ses exploits, il nous montra les points faibles au niveau des articulations, me replongeant dans les cours du service militaire. Les Crevettes pouvaient être vives, mais leurs mouvements d’attaques rapides étaient très peu nombreux ce qui les rendaient prévisibles. En frappant avec la pointe du fusil, on pouvait occasionner une douleur qui les paralysait. Armé d’un couteau, on pouvait occasionner une mort en trois secondes. Encore fallait-il que nous ayons les tripes de nous jeter au corps à corps, complètement nues, contre un crustacé géant. Habitué au scepticisme des pilotes, il ajouta :

— Face à la mort, tout ce qui importe c’est votre survie, et alors vous aurez le choix de fuir ou de combattre. La Crevette se déplace vite, par à-coups. Elle attaque soit en ligne, soit de manière circulaire.

Il se mit face à un mannequin et l’activa. La crevette essaya de le gifler, mais il la bloqua à avec son fusil, lui mit un coup de canon dans la bouche, passa sur le côté et lui agrippa un appendice oculaire à pleine main.

— Là, la Crevette est à votre merci. Elle met du temps à se tourner, c’est donc facile de se placer sur cet angle mort, et elles sont très sensible des yeux. Si vous en tenez une par l’œil, elle se figera et suivra tous vos mouvements pour échapper à la douleur. Toutefois, il faut rester bien sur son côté pour ne pas qu’elle vous attrape.

Le mannequin se plia sous sa poigne. Fier de son exemple, le major nous ordonna de nous placer chacune face à un crustacé de plastique. Les points sensibles s’illuminaient lorsqu’ils étaient frappés et le caoutchouc se déformait à l’impact du canon. Nous testâmes plusieurs enchaînements à partir du blocage d’une gifle. La saisie de l’œil n’avait jamais été au programme du service militaire, mais le blocage, le déplacement, les frappes avec l’arme, rappelèrent à mes muscles les heures de répétitions.

Une heure plus tard, nous retravaillâmes les mêmes enchaînements à partir d’une frappe rectiligne, comme un coup de poing, tous ergots sortis. Au lieu de bloquer, on se servait du fusil pour dévier le coup. Mais le jeu d’enchaînement qui suivait était similaire.

Lorsqu’il nous dit d’arrêter, nous avions toute l’impression, sans doute faussée, que nous saurions nous défendre sans difficulté face à une Crevette. Il sourit :

— Facile, non ? Il suffit de répéter. Dans deux mille répétitions, ça deviendra un réflexe. Pour finir, vous allez travailler la détermination. Vous devez affronter votre peur du combat, votre peur de recevoir un coup, d’avoir mal ou d’être blessée. Si vous savez surmonter ça sur un ring, vous le surpasserez dans un ESAO.

Il ouvrit une malle contenant des mitaines et des protège-tibias et des casques en cuir souple sous emballage triés au préalable par taille. J’étais douée en boxe, alors si nous nous affrontions entre nous, comme au service militaire, ça allait être sympa. Je jetai un œil vers Kirsten, avec qui j’allais pouvoir régler mes comptes. Elle vit mon regard et esquissa un sourire carnassier en déballant ses affaires. The Witcher attendit que nous fussions équipées pour nous annoncer :

— Les règles de la boxe martienne : pas de clés articulaires. Vous pouvez frapper où vous voulez, sauf la nuque, les yeux, les articulations. Vous pouvez aller au sol. Maillard et Fontaine là-bas. Munõz et Johnston là-bas. Jorgensen et Birki dans ce coin.

Je m’avançai dans le carré qui nous était désigné et Dahlia me dit :

— Ne tape pas trop fort, s’il te plait.

— Tape-la aussi fort que tu peux, Fontaine, dit notre adjudante en s’avançant vers nous.

Avec une pince, elle sortit un protège-dents d’un seau d’eau fumante. Je le mis prudemment dans la bouche et serrai la mâchoire aussi fort que possible. Dahlia m’imita tandis que l’adjudante s’éloignait.

The Witcher aboya :

— Allez-y ! Montrez-moi de quoi vous êtes capable !

Dahlia, terrifiée, m’envoya un coup atone que j’esquivais sans mal, et je lui envoyai un direct au foie. Elle tomba sur le côté. L’adjudante sourit en s’avança tranquillement.

— Respire par le nez, Maillard. Et reprends le combat. Je retire ce que j’ai dit Fontaine, vas-y mollo.

Nous reprîmes alors dans un jeu d’échange, mais je ne laissai pas la Parisienne me toucher une seule fois. Après cinq minutes, elle nous fit changer de partenaire, et les imposa. Caitlin n’étant pas plus à l’aise, elle me mit face à Mercedes. L’Espagnole mesurait presque dix centimètres de plus que moi, alors je bougeai et n’attaquais qu’à quelques rares ouvertures. Elle me mit en difficulté, ses poings touchèrent plusieurs fois mon casque grâce à sa longueur de bras. Mon seul avantage était qu’elle n’enchaînait jamais sur un second coup.

Sadjia m’affronta en troisième. Par ses épaules rentrées, je devinai qu’elle avait fait de la boxe. Son regard déterminé m’indiqua qu’elle allait être une dure à cuire. Finalement, comme nous faisions la même taille, ce fut un échange d’égale à égale. Quelques frappes sur les flancs, des tentatives de fauchages par des coups de tibias. Je trouvai la joute amusante, et nous nous sourions, amusées, ne portant aucune violence dans nos frappes.

Puis vînt enfin la grande Danoise, celle dont j’avais envie de tasser le 1,82 mètre. Sitôt face à elle je tentai de faucher ses appuis. Elle esquiva d’un petit bond et me projeta d’un coup de pied en pleine poitrine. Sur le cul, estomaquée, je m’empressai de me relever. Retrouver mon souffle m’était douloureux. Pas d’injure, pas de sourire, Kirsten était concentrée. Elle attaqua, je parai ses crochets, esquivai ses directs, et tentai une frappe dans ses côtes en me décalant. Un coup de poing venant en marteau m’interrompit et fit vriller mon casque.

Aveugle, je tombai sur les fesses et ôtai le casque de rage. L’instructrice ne dit rien mais porta son attention vers nous tandis que je m’avançais vers mon ennemie. Je me jetai sur elle, son direct percuta mon visage mais je reculai à peine et enchaînai avec un crochet que la joue de casque absorba. La colère montant elle m’envoya un coup de tibia remontant vers le flanc. Mon bras me sauva. La jambe de Kirsten rebondit, monta vers mon visage. Je l’esquivai et son autre pied vint à revers. Je me protégeai, vibrai sous le choc et lui rentrai dedans. Elle me faucha et nous tombâmes toutes les deux au sol. Je cognai ses flancs de toute mes forces et elle m’envoya un crochet en pleine bouche. Je roulai sur le côté.

Le sang coulait de ma lèvre sur mon menton lorsque je me relevai. Il était hors de question qu’elle gagnât. J’avançai. Son coup de pied repoussant heurta mes bras et me fit reculer d’un pas. Puis elle marcha sur moi, déchaînant un assaut redoutable de ses grandes jambes. Les coups pleuvaient. Je me protégeais comme je pouvais. Je sentais ma tête vaciller, humiliée de me rendre compte qu’en plus elle se retenait.

J’explosai de rage, me lançai avec le genou dans ses côtes. Elle fléchit en lâchant un souffle, me colla un coup de tête avec le casque en pleine orbite. Je vacillai, visage découvert et son premier poing heurta mon menton, le second mon nez. Le voile blanc couvrit ma vue, le bourdonnement brouilla mon ouïe.

J’ouvris les yeux alors que j’étais allongé au sol, lorsque le son me revint aux tympans. Kirsten me tendit la main. J’hésitai en la prenant et elle me fit une accolade en me complimentant :

— T’es une vraie teigne !

Mon nez ruissela sur ma bouche.

— Emmenez-la à l’infirmerie, ordonna l’adjudante. Qu’il regarde le nez.

Kirsten garda un bras autour de moi par peur que je tombasse et nous gagnâmes l’infirmerie. Un homme de garde s’y trouvait.

— Ouch ! Qui c’est qui t’a mise dans cet état ?

— C’est moi, indiqua Kirsten. Je ne pense pas que le nez soit pété.

Il longea mon nez avec ses doigts et répondit :

— Non, pas du tout. Faut vous moucher un bon coup et laissez coaguler. On va quand même mettre un peu de froid sur l’œil avant que ça enfle trop.

— Ça ne va pas être pratique pour les lentilles, se rendit compte Kirsten contrite.

Je m’assis sur le banc d’auscultation. L’infirmier s’approcha avec une poche de gel glacé et me rassura :

— Non, c’est uniquement la pommette, ça va juste faire un beau cocard. — Un souffle de soulagement échappa à mon adversaire. — Gardez la poche de gel une heure ou deux. La lèvre, ça se dégonflera, il ne faut pas toucher.

— D’accord, répondit Kirsten à ma place.

— Je peux l’attacher pour piloter avec ? questionnai-je.

— Sans doute.

— Pas grave si tu loupes quelques heures d’exercice, se moqua Kirsten.

— Merci, dis-je.

— À votre service.

Nous nous éloignâmes et reprîmes la direction du gymnase, ma main comprimant la poche sur mon œil droit. Kirsten me dit :

— T’as vu, c’est le premier homme qui ne nous traite pas comme des putes.

— Tu lui as peut-être tapé dans l’œil en me tapant dans l’œil.

Kirsten rit en me faisant une accolade. Mon principal constat, était qu’il n’y avait rien à regretter si le comportement de la Danoise changeait ainsi. Nous croisâmes les autres qui revenaient au trot vers les hangars et nous comprîmes que la séance de sport était terminée. Kirsten dit avant que nous fassions demi-tour :

— Je crois qu’il faut changer de cap.

Nous précédâmes nos camarades jusqu’au vestiaire. Lorsqu’elles nous y rejoignirent, Caitlin s’empressa de prendre de mes nouvelles :

— Ça va Clarine ?

— Juste un hématome, répondis-je.

— T’es une vraie barbare !

— C’est elle qui est revenue à la charge, se défendit Kirsten.

— On doit aller où ? demandai-je alors qu’elles se déshabillaient à la hâte.

— Cours sur les principes mécaniques, révéla Mercedes.

— C’est Peter qui va nous faire le cours, se réjouit Sadjia.

Je posai ma compresse, me désappai, répondis par un air apaisé au regard compatissant de Dahlia, puis les rejoignis sous les douches, juste pour me rincer. Sitôt en uniforme, je reposai la compresse sur mon arcade, le temps de changer de pièce.

Nos trouvâmes nos places habituelles et Peter vint nous parler des technologies articulaires et hydrauliques des ESAO. Il était important que nous sachions différencier le circuit secondaire qui gardait en veille des fonctions de base comme la mémoire, les communications et le moteur d’ascension de la sellerie, et le circuit principal captant l’énergie sexuelle qui activait les démultiplicateurs de force, la vision, les systèmes de survie et évidemment le canon à plasma. Et c’était ce même circuit qui rechargeait la batterie du premier.

Concentrée et à l’écoute, je laissai vite tomber la compresse tiédie.

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