18. Lutte greco-romaine

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Ce midi, il y eût encore des frites à la cantine. J’avais déjà trois surnoms. Héloïse m’appelait Lieutenant, Kirsten m’interpellait désormais sous le nom de la Teigne et Caitlin me surnomma Mademoiselle Frite. L’espoir de ne plus entendre Suce-Moule était possible. Dehors, le vent frais se levait et le ciel se grisait, pas vraiment le genre qui annonçait l’été comme ce matin. Tandis que nous longions la cour pour gagner les hangars, Mercedes grogna :

— Il n’y a pas de saison dans ce pays.

— Il n’y a plus vraiment de saison depuis l’invasion, précisé-je.

— Non, le dérèglement climatique, c’est nous-même qui l’avons causé, corrigea Dahlia.

Nous nous engouffrâmes dans le vestiaire. Mercedes à côté de moi, ne perdit pas une seconde, enleva son t-shirt et baissa son soutien-gorge pour enfiler la brassière de pilotage. Sa poitrine semblait parfaitement maintenue par les ouvertures du top. Elle baissa son pantalon pour enfiler ses bas, tandis que je commençais seulement à ôter mon t-shirt. Ma réticence à me dénuder perdurait. Je passai ma tête dans la brassière en enfouissant mon ressentiment au fond de moi, comme s’il n’existait pas.

Mercedes s’éloigna vers le couloir la première, suivie par les rondes fesses de Sadjia. Je poussai mes chaussures dans le casier, et pliai mon treillis avant d’enfiler les bas de contention. Alors que Kirsten et Caitlin quittaient les vestiaires, j’attendis que Dahlia dévoilât son bassin et s’en allât le nez baissé pour ôter ma culotte. Pieds nus, frigorifiée, je gagnai à mon tour le long couloir sombre. Les filles patientaient devant leur porte, et je fus obligée de passer devant chacune d’elle, comme au premier jour.

La porte de Dahlia s’ouvrit, elle s’avança à grandes enjambées volontaires, le dos droit. Héloïse passa la tête par la porte et me lança toute enjouée :

— Coucou ! — Je lui souris. — Vous pouvez attendre près de vos ESAO, il n’y a personne dans le hangar.

Mercedes et moi passâmes les portes qui nous séparaient de nos exosquelettes. L’impatience d’être à bord faisait palpiter mon cœur, mes mains se posèrent sur l’alliage tiède et dur de ses jambes. Il me plaisait de savoir que je devenais cette silhouette racée, et que c’est ce que les gens verraient de moi sur le champ de bataille. J’aurais bien été me mettre au chaud à l’intérieur, alors j’articulai :

— Ouverture.

La selle descendit et je cherchai du regard le lubrifiant sans en trouver. Alors je croisai les bras pour patienter en grelottant. Héloïse claqua la porte du compartiment voisin très rapidement. Le Furet de Dahlia passa à côté du mien lorsque la gynécienne me rejoignit.

— T’as froid ? Tu vas vite te mettre au chaud.

Elle aspergea de spray lubrifiant les deux sondes que j’enjambai ensuite avec hâte. Elle remonta la coque pelvienne. La tige anale me pénétra, suivie par sa grande sœur que mon corps adopta lentement jusqu’à ce qu’elle soit entièrement emprisonnée. Ça faisait encore bizarre face à Héloïse, d’autant plus qu’elle essayait de décrypter mes sensations en scrutant mon visage. L’ESAO se réveilla au frisson délicieux qui prit possession de mon âme. J’expirai profondément, et Héloïse emprisonna délicatement mon clitoris avant de fermer le carter des trois potences. Tout en fredonnant des affirmations à chacun de ses gestes, elle ferma les arceaux sur mes épaules, raccorda mes seins, finit par poser mes lentilles.

— Voilà, deux minutes chrono ! En piste !

Je commandai la fermeture du Furet. La selle remonta en me faisant basculer légèrement en avant. Ma tête se cacha dans le cou, doigts et orteils glissèrent dans les gantelets de gelée. Le torse de l’ESAO se referma, mais il ne faisait pas encore chaud. Enfin à l’intérieur ! Je mis en marche bipède et me délectai des vibrations de ses pas contre mon dos et au creux de mon intimité. J’étais toujours heureuse d’être là. La voix de l’adjudante me dit :

— C142, un quart d’heure de course pour t’échauffer et atteindre la zone de plateau.

Je lançai alors le furet au trot, puis finis par lui faire poser les mains au sol pour des longueurs de galop. Étrangement, j’étais plus excitée d’être en position couchée et la sonde phallique semblait s’allonger plus profondément en moi à chaque fois que mon corps s’étirait.

Un quart d’heure, c’était bien plus que nécessaire. La voix de l’instructrice nous annonça :

— Veuillez former des équipes de deux. Ne vous arrêtez pas de courir.

Je tournai la tête vers le Rhino de Mercedes et mon regard appuya sur la communication radio :

— Mercedes ?

— Ça marche.

Elle se mit à trotter à côté de moi, je me redressai également sur mes jambes pour m’adapter à son rythme.

— Muñoz et Fontaine, vous êtes les premières à passer. Vous allez devoir faire équipe pour éliminer une cible mouvante. Le but est de la détruire avec votre arme principale. Ennemi à votre poursuite dans six minutes.

Six minutes ? J’ignorais ce que ça représentait, mais ça me paraissait très proche. Je fis tourner le palpeur en pressant régulièrement le clitoris qui je le savais, réagirait à mon habitude.

Concentrée sur la recherche du plaisir, les six minutes passèrent en un éclair. L’immense carcasse de Tourteau, montée sur des roues déboula. Elle arriva par mon flanc et me heurta à toute vitesse. Je roulai dans un fracas de métal et d’étincelles, secouée à l’intérieur du squelette. Sonnée, je ne maintenais aucun contrôle. Le palpeur et la sonde vaginale poursuivaient leur travail, tandis que mon corps ne les écoutait plus. Mon esprit était focalisé sur l’ennemi. J’esquivai sa seconde attaque en faisant une roulade arrière, puis me relevai. La lenteur de réaction me fit prendre conscience que mon niveau de plaisir avait chuté. Afin de me réveiller, je modifiai le rythme de mes stimulateurs, puis pris la course au grand galop. L’ennemi me suivit et tandis que je surveillais ses zigzags du coin de l’œil, je me focalisai sur mon énergie.

Mercedes lâcha un grognement et son tir se perdit par-dessus le Tourteau, juste au-dessus de mon épaule. Elle avait failli me tuer ! Elle hurla :

— Mierda ! Por aquí hijo de puta !

J’avais failli mourir en exercice ! J’avais failli mourir le cinquième jour ! Mes seins ne ressentaient plus rien, attaqués par le stress. J’augmentai la succion mais elle me parut inefficace. Il fallait absolument que je fisse abstraction de la mort qui venait de me frôler. Le Tourteau me poursuivait toujours. Seul le massage au creux de mon dos faisait effet, comme un câlin rassurant. Mon esprit s’ouvrit grâce à lui aux sensations multiples que subissait ma vulve, trop nombreuses et rapides pour me donner du plaisir. Mes idées se clarifiaient, je passai du palpeur au lapeur, répondis à l’écoute de mes sensations en ralentissant les vibrations entre mes muscles. Je retrouvai en quelques secondes un haut niveau de plaisir, comme s’il n’était pas descendu et avait juste attendu que je l’écoutasse. L’orgasme était imminent, alors je fis face au Tourteau et mon furet ouvrit grand la gueule. Rien n’en sortit. Je bondis par-dessus lui et il décida de poursuivre sa course pour attaquer Mercedes. Je le pris en chasse, le plaisir culminait, mes cuisses tremblaient autour de la structure pelvienne. C’était trop tôt ! J’interrompis le lapeur, stoppai la sonde qui pivotait par intermittence. L’énorme carapace sur roue percuta Mercedes dans une gerbe d’étincelles. Un fracas d’acier sur le béton résonna dans l’arène. Mercedes se leva et le frappa violemment d’un coup de tête.

— Clarine ! Je l’immobilise !

Elle campa sur ses pieds. Le Tourteau pivota mais elle tint bon, glissant sur le béton. Le Tourteau arriva à placer le Rhino entre lui et moi. Tout en accélérant ma course, le lapeur se remit en fonction. Je bondis par-dessus Mercedes. La fièvre me foudroya dans les airs, j’ouvris la gueule droit vers la carapace. Le jet de lumière aveuglante dévasta la coquille. Je roulai de l’autre côté sur le béton, le choc me meurtrit les flancs, alors je m’effondrai sur le dos. Au choc, une nouvelle contraction m’arracha un cri. Je tournai la tête pour toucher une seconde fois le Tourteau et laissai le plaisir me dévaster durant quatre longes secondes.

Il ne restait rien de la carapace sinon les roues humaines qui lui avaient été greffées pour l’entraînement. L’instructrice silencieuse finit par nous féliciter :

— Quel spectacle !

— Merci, soufflai-je.

— Mettez-vous sur le côté. Jorgensen et Birki, c’est à vous. Commencez à courir.

Alors que Mercedes se mettait en marche d’un pas lent, je restai allongée quelques secondes pour savourer les vibrations que mon corps ressentait encore. Ça c’était de l’action ! Mine de rien, ce magnifique abattage à la volée rendait cet orgasme unique parmi les précédents. Quel pied ! Pourquoi avais-je tant hésité avant de devenir pilote ? J’avais vraiment été stupide ! Je le sentais bien au fond de moi que j’étais née pour ça.

Le Grizzli de la Danoise et le petit Tatou se mirent à courir sur la piste. Je me relevai, puis me mis debout pour marcher sereinement vers les murs. Mon ESAO roulait un peu des hanches, les bras ballants au milieu de la piste de combat. Au loin, le Rhino s’était arrêté à quelques mètres de son hangar.

— Je suis bloquée, articula la voix de Mercedes.

— Merde ! Tu veux que je t’aide à te désincarcérer ?

— Ouais.

La voix enrouée d’Héloïse nous interrompit :

— Attendez ! Attendez ! C’est juste un manque d’énergie !

Dans notre dos, un fracas d’acier nous indiqua que le second tourteau venait d’entrer en scène. La gynécienne surgit de la tour en courant au moment où je rejoignais Mercedes. Héloïse commanda à distance l’ouverture du Rhino et la sellerie extirpa notre camarade du buste blindé. Mercedes, la tête en arrière, faisait grise mine, mais sa poitrine tendue et son pubis si sombre qu’il en est presque violacé, témoignait de ce qu’elle a vécu. Ma binôme se leva de sa selle dans un long filet de cyprine. Je n’entendis pas ce qu’Héloïse lui dit, mais Mercedes s’en alla, les épaules affaissées, la démarche tendue d’une personne en colère. Héloïse me dit :

— Je m’occupe d’elle, je dois juste nettoyer et ranger. Je vais laisser l’ESAO là, il ne dérange personne.

Pas de problème, je préférais attendre au chaud dans ma carapace. Je me tournai pour voir Kirsten tenter la même stratégie que nous. Alors qu’elle immobilisait la bête en se faisant traîner, Sadjia sauta sur la carapace, s’y accrocha et lorsque le moment vînt, visa la coquille du bout des doigts. La carapace l’éjecta, mais ce fut Kirsten qui la maintenait toujours qui lâcha un puissant rayon avec la gueule de son Grizzli. Le sol sous les roues du robot se faïença et le rayonnement du bouclier absorbant s’étiola sur toute la piste.

L’instructrice nous dit :

— Fontaine, vous pouvez retourner au vestiaire. Johnston et Maillard, à votre tour.

Déçue de ne pas prolonger plus longtemps l’expérience, presque d’attaque pour un second tour, je me garai et la main de mon Furet ferma la porte accordéon donnant sur le hangar. Héloïse n’était pas là, mais je savais désormais me désharnacher seule. Mes doigts et mes orteils extraits de leurs étuis de commandes, la selle descendit au sol. Je décollai les palpeurs mammaires après avoir desserré les prises des tétons, puis déverrouillai les arceaux simultanément. Ensuite, je débloquai la ceinture pelvienne. Mon rubis très précautionneusement libéré, les sondes glissèrent d’elles-mêmes, la première détrempée. J’enlevai mes lentilles avant de commencer le nettoyage, puis une fois la désinfection UV lancée, j’abandonnai ma monture pour rejoindre le couloir.

En entrant dans le vestiaire, je trouvai Mercedes assisse sur un banc, le front entre les mains. Je m’avançai puis lui demandai :

— Ça ne va pas ?

— Je n’arrive pas à ressentir de désir.

— T’as pourtant tiré.

— Et j’ai failli t’amputer d’un bras.

— Juste failli, donc tout va bien.

— Je ne suis pas faite pour ça.

Ne sachant quoi répondre, je me glissai vers les douches. Elle décida de m’imiter. Tout en me débarrassant de ma tenue de contention et tout en me savonnant, je réalisai l’erreur de sémantique.

— Hé Mercedes !

Elle coupa l’eau.

— Oui ?

— Je sais pourquoi tu dis que tu n’es pas faite pour ça. Tu cherches du désir et non pas du plaisir. C’est totalement différent.

— L’un ne vient pas sans l’autre.

— Pourquoi pas ?

— Clarine ! Le désir ! Moi je ne peux pas jouir sans imaginer la peau d’une autre personne contre la mienne, d’imaginer nos corps qui s’enlacent, nos bouches qui se trouvent et nos langues qui jouent. C’est ça le véritable désir, sentir le corps de l’autre, promener ses mains sur ses fesses nues et entendre son souffle, c’est sentir ses seins s’écraser contre les tiens et…

— Hé ! Je ne te juge pas. Tu peux te confier à moi. T’es sans doute plus normale que moi.

— Tu sais, la normalité, ça n’existe pas. Mais prendre son pied tout en se prenant des coups de tampon, ce n’est pas mon truc.

— Moi… moi je crois que ce sont les ESAO mes fantasmes, alors du coup, je suis dans mon élément. Et si tu imaginais que chaque sensation que tu ressens, que c’est la plus belle femme du monde qui te les prodigue.

— Ça fonctionne bien tant que ton esprit n’est pas occupé.

— Je suis certaine qu’on peut trouver un truc.

— C’est gentil.

Elle remit l’eau à couler, interrompant notre conversation, alors je l’imitai. Kirsten et Sadjia nous rejoignirent et la Danoise ne put s’empêcher de lancer :

— Toujours sous la douche ? Hmm ! Y a eu du léchage de chatte !

— Carrément pas, protestai-je.

— J’ai touché une corde sensible ? se moqua-t-elle

— Non, mais tu te fais de fausses idées.

— Superbe attaque aérienne, me dit Sadjia pour me sauver de la conversation.

— Merci. C’était une bonne idée de lui sauter dessus.

— Ouais mais tu vois, je n’ai pas eu l’orgasme, et je l’ai lâché.

— Kirsten a rattrapé le coup, ça va. L’important, c’était de trouver une stratégie.

Caitlin nous rejoignit, ce qui signifiait que l’adjudante devait nous attendre. Je quittai la douche et en allant à mon casier, je l’entendis répondre :

— Non. Dahlia est sur le dos depuis le premier choc avec le Tourteau. J’ai passé mon temps à courir pour l’éviter. Impossible d’avoir du plaisir avec ce stress. Morvan a arrêté l’exercice et Héloïse va sortir Dahlia.

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