24. Retex

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La nuit m’avait fait revivre l’expérience lunaire. Je cherchais en permanence comment ajuster mon niveau d’énergie. Si chaque ordre envoyé par mon cerveau fonctionnait, le résultat était inefficace. Un véritable cauchemar. À l’instant de tirer, aucun orgasme ne venait. Pour cause, en me réveillant, je réalisai que je n’étais à l’intérieur d’aucun ESAO et que je ne faisais qu’imaginer les stimulateurs. Mes nymphes et mon clitoris avaient retrouvé leur aspect détendu, mais je sentais bien qu’ils n’auraient pu se gorger de sang, si je les avais stimulés.

J’avais une tête de zombie au petit-déjeuner, mais j’avais pris soin de me coiffer. Je m’assis à côté de Jane.

— Bonjour Clarine ! T’as l’air crevée.

— On a fait une course d’endurance sur la Lune.

— Nous avons fait des manœuvres d’exercice sur la Lune il y a un mois, c’était chouette, glissa une fille.

— Ça consiste en quoi ? demanda Jane.

— Et bien à courir pendant huit heures et cinquante minutes et se défendre des attaques. On nous avait collé des patches qui envoient une décharge s’il y a impact. D’être sur la Lune, c’était génial, mais, j’étais à bout.

— Huit heures enfermées là-dedans, je peux comprendre, se moqua la camarade de Jane.

Décidant de provoquer sa camarade moqueuse, je dis :

— Avec le vol, ça fait quinze heures, dis-je. Quinze heures avec un gode entre les cuisses, je vous laisse imaginer dans quel état ça vous met. Là ! Je n’ai même plus envie de monter à bord.

Jane sourit dit avec compassion :

— Courage.

Lorsqu’elles s’en allèrent, mes camarades arrivèrent à leur tour. Caitlin s’assit et demanda à brûle pourpoint comment l’épreuve s’était passée. Alors je leur racontai la fameuse expérience. Les autres filles avaient fait des déplacements, du tir sur cible, et l’instructrice avait fait durer le temps à bord pour commencer à éprouver leur endurance. Chacune d’elle avait réussi à tenir deux fois trois heures complètes sans que leur ESAO ne s’éteignît.

Je les quittai pour retrouver le vestiaire plus tôt. Après un petit tour habituel au WC, je me brossai les dents et passai mon visage sous l’eau fraîche pour estomper mes cernes.

Une heure et quart plus tard, nous finissions la séance de boxe martienne. J’étais en nage. Kirsten en revanche m’avait ménagée, et aucune de nous n’avait été blessée. La séance de sport suivie de la douche m’avait bien réveillée. Cependant, même si mon corps était plein d’énergie, mon bas ventre me disait toujours qu’il n’avait pas envie de retourner dans l’ESAO trop vite. Heureusement, la matinée serait consacrée à la théorie.

J’entrai la dernière dans la salle de briefing. Les gynéciens n’étaient pas présents. Je saluai immédiatement le colonel. L’adjudant-chef siffla en regardant l’horloge :

— Asseyez-vous avec les autres.

Je m’assis à la gauche de Mercedes. Le colonel Paksas prit la parole :

— Bien. Un petit mot sur l’épreuve que vos deux camarades ont affrontée. Le rallye sur la Lune s’est très bien passé. Soldat Muñoz, vous avez su dissocier votre stress mental du ressenti physique pour augmenter la cadence de vos foulées et ce, je pense, de manière totalement inconsciente.

— Je voulais juste aller au plus vite pour sauver Clarine.

— Normalement, avant la prochaine mise en situation, j’attends quelques jours de formation, mais le manque de pilote d’ESAO nous presse, et j’ai un créneau pour vous. J’ai confiance en vos capacités. Dans neuf jours vous repartirez à l’aube pour les ruines de Kharkiv. Vous serez mises en condition sur une mission réelle. Votre objectif sera de vous frayer un chemin à travers Kharkiv sans vous faire repérer. Pas de contournement possible.

Elle afficha sur l’écran une carte de la ville et le point de largage était noté sur les extérieurs. Il fallait atteindre une place au cœur de la ville.

— L’élimination de patrouille sera autorisée mais devra se faire en un temps record pour ne pas créer d’alerte. Une fois l’objectif atteint, vous devrez sécuriser le périmètre. — Un zoom sur une zone définie nous indiqua la zone plutôt grande. — Et ce afin de maintenir un couloir sûr pour nos troupes. Les troupes d’infanterie seront en exercices également. Elles comptent donc sur votre combattivité. L’exercice sera long, plus de vingt-quatre heures. Vous devrez donc assurer malgré la faim et gérer votre sommeil. Avant de vous autoriser une après-midi de repos, je voudrais vous passer quelques enregistrements historiques de champs de bataille… à toutes.

À chacune de nous, elle tendit une paire de lunette opaque et un casque, identiques à ceux que j’avais porté sur le simulateur.

— Vous allez voir ce qu’ont vu et entendu des pilotes d’ESAO sur le terrain. Il est important que vous ayez conscience des situations que vous allez rencontrer, de ces situations qui vont brider votre libido, peut-être au point de vous paralyser. Je vous ai d’abord choisi trois extraits qui sont pour moi les plus parlant de ce que vous pouvez vivre de pire.

Les images se lancèrent. Nous étions en vue depuis un ESAO de type Rhino. Il marchait à travers des ruines. Il y avait des corps de soldats qui gisaient dans les rues. Le corps d’un garçon de mon âge, le visage blême et sans vie, sans jambe, au milieu d’une flaque de sang. Le corps carbonisé plus loin, une femme sans tête éventrée, les tripes à l’air. La voix de la pilote ne cessait de répéter à elle-même :

— Ne regarde pas, ne regarde pas.

On changea de scène, à bord d’un modèle que je n’identifiais pas. Nous étions sur une autre planète. Les soldats portaient des scaphandres de combat. De la fumée s’échappait ci et là d’un petit groupe de modules d’habitations provisoires, sans doute une petite exploitation minière. Un Tourteau déboula. Une voix d’homme hurla :

— Il est temps de jouir, ma chérie !

La fille campa une position. Au loin un tank se fit percuter par le tourteau et vola sur une dizaine de mètres. L’officier s’enflamma :

— Mais qu’est-ce que tu fous, tire !

Des équipes se positionnèrent sur un toit avec un lance-roquette. Le Tourteau revint à la charge et broya le tank. La roquette partit et le Tourteau se décala latéralement avec une vitesse déconcertante.

— Mais putain ! Tu vas jouir, salope !

Le tir aveuglant fusa depuis l’ESAO, et poursuivit le Tourteau qui continuait à se décaler. L’équipe sur le toit se retrouva dans l’axe. Le rayon de plasma les désintégra tous. Le Tourteau fut transpercé de part en part et la pilote s’exclama essoufflée :

— Je ne voulais pas ! Je ne voulais pas !

Le cœur serré, les larmes aux yeux, je fus contente de passer à un autre extrait. Troisième vidéo, je reconnus les mains d’un Tatou. Un Homard venait de le plaquer au sol. Il tambourinait à coup de poing et la pilote s’époumonait à l’intérieur :

— Au secours ! Au secours !

Un autre homard arriva, plaqua son pied et tira sur elle. Il arracha la jambe de l’ESAO puis l’envoya voler. La fille en panique hurla encore plus fort :

— Mais putain, venez m’aider !

Elle lâcha un cri de terreur et par le regard de l’ESAO, on vit le Homard la sortir du cockpit. Il la brandit comme un trophée puis l’éclata contre le sol. L’angle de vision ne permit pas de voir la violence du choc, mais j’étais raide sur ma chaise. L’écran s’éteignit la voix de le colonel assourdie par le casque vint me rappeler que nous étions en sécurité au régiment.

— Ne retirez pas les lunettes. Voici donc ce qui peut vous arriver de pire. Voici aussi ce qui peut vous arriver de mieux.

Nouvelle vision, en chute libre depuis la stratosphère. On aurait dit la planète Mars, mais le ciel était vert. Nous étions à nouveau près d’une colonie minière, cette fois-ci plus importante avec des installations bien implantées et plus grosses. On distinguait bien une bataille rangée entre des Homards et des militaires assiégés. La pilote lâcha un double rayon sur les ennemis et carbonisa une grande partie des troupes. Elle esquiva un missile puis tira une seconde fois. Deux orgasmes aussi rapprochés ? J’étais une petite joueuse à côté. Lorsqu’elle atterrit, elle se lança dans un corps à corps avec les Homards. Les broya un à un en leur écrasant la tête, en leur arrachant des membres. Elle écrasa le dernier, puis elle s’avança vers les assiégés qui scandaient leur liesse. Les soldats sautillaient autour d’elle.

— Vous pouvez enlever vos lunettes. — J’obéis et posai le casque sur mes genoux. — Gardez bien à l’esprit quatre choses. La première : vous verrez des horreurs et il faudra bien dissocier vos émotions de vos sensations, et ça sera excessivement impossible si vous n’êtes pas déjà sur la phase de plateau au moment où vous arrivez. La seconde : vous serez insultée, parce qu’il y a le stress, parce qu’il y a des hommes en train de mourir, mais ceux qui vous insultent savent très bien qu’obtenir un tir dans ces conditions est un miracle. Ils ne vous en voudront pas, quoi qu’ils aient pu dire sur le coup. La plupart s’en veut, en vérité… peut-être pas celui de la vidéo. Troisième chose : il y a des victimes. Vous pouvez être la plus précise des pilotes, le timing entre l’orgasme et la position de votre adversaire ou de vos équipiers, ça ne se maîtrise pas, surtout pas sur un champ de bataille. Quatrième chose, vous n’êtes pas invulnérable. Ne prenez pas trop d’assurance, parce que nos copains les crustacés savent très bien ouvrir nos ESAO et savent qu’en nous submergeant, ils parviennent à générer un stress paralysant.

Le colonel marqua un silence et nous dévisagea intensément, cherchant à lire à travers nous notre ressenti. Là, clairement, j’étais aussi refroidie que possible, et pourtant je n’étais pas du genre émotif. Caitlin, elle, avait l’émoi qui griffait ses joues.

— Johnson, séchez vos larmes. Fontaine et Muñoz, vous avez quartier libre jusqu’à demain. Ensuite, vous reprenez les exercices de déplacements de tir avec l’adjudant-chef Morvan pour continuer à développer une habitude de votre ESAO. Fontaine, vous consacrerez une partie de votre temps à étudier les plans de Kharkiv pour choisir un chemin. Bonne journée. Johnson, Birki et Jorgensen, départ dans vingt minutes. Rompez.

Nous nous levâmes, rendîmes nos casques. Mercedes et moi nous retrouvâmes seules, sans savoir quoi faire, les autres ayant rejoint le vestiaire. Ma binôme me demanda :

— On va au mess ?

— S’il n’y a personne, répondis-je.

Nous marchâmes côte à côte le long des hangars. Mercedes me dit :

— Ça refroidit, ces images.

— C’est clair. Il va falloir travailler beaucoup plus sous stress pour finir la formation. Honnêtement, ignorer les cadavres, je pense que je peux, comme dit le colonel, si je suis déjà bien chauffée. Mais alors avoir un orgasme, alors qu’un mec me hurle dans les oreilles comme ça, impossible.

— Ni l’un ni l’autre. Je pense que la première fois où je vois un charnier en vrai, je me pisse dessus et je perds le contrôle de l’ESAO.

Je hochai du menton, puis nous parvînmes au mess désert. Je proposai un billard, juste pour penser à autre chose.

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