27. Débriefing officieux

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Je n’eus pas à tirer à nouveau. Mercedes et son groupe eurent vite fait de nous rejoindre et de patrouiller les abords de la place. J’injectais du lubrifiant en m’attendant à passer une nouvelle nuit, le ventre vide, lorsqu’enfin les transporteurs arrivèrent. Le soulagement de trouver une douche chaude et un bon plat au réfectoire me submergea.

— C142, C143, votre mission est terminée. Vous pouvez vous placer sous les patrouilleurs. Fin de l’exercice.

— Fin de l’exercice ! chanta Mercedes. Enfin !

Le métal des transporteurs tinta contre celui de nos exosquelettes lorsqu’ils nous accrochèrent. Quelques secondes plus tard, les pilotes nous emmenaient dans les airs, comme des oiseaux de proies emportant des agneaux. La voix éraillée et familière d’Héloïse chanta à nos oreilles :

— Bravo les copines ! Vous avez trop bien géré ! Je vous attends pour dîner. Examen médical demain.

La conversation se coupa, je soupirai à l’attention de Mercedes :

— Fais chier. Je déteste les visites médicales.

— Je veux bien faire cent visites médicales, pourvu qu’on me sorte de là et qu’on me donne à manger.

— Je crois que je préfère encore ne pas manger pendant douze heures.

Elle rit. Je fermai les paupières, mais les yeux robots continuaient à projeter les images du soleil dorant l’Europe. Les lentilles irritaient ma cornée desséchée. Ma bouche pinça la paille, mais mes réserves d’eau étaient épuisées. Je restai immobile, amorphe entre les serres de mon transporteur.

Il faisait nuit lorsque les deux rapaces nous posèrent au régiment. Je fis vibrer mon transmetteur deux secondes pour réveiller mes sens et me donner le soupçon d’énergie suffisant à traîner mes pieds jusqu’au hangar.

Mercedes resta les mains posées au sol, incapable de bouger. Héloïse surgit depuis le couloir pour l’aider à sortir. De mon côté, je rabattis la porte de ma cage, pour m’extraire en toute intimité. La selle descendit, m’immergeant dans l’odeur tiède des hangars. L’air me parut le plus pur du monde, tant l’isolement avec ma propre odeur avait été long. Je désarmai les prises à tétons d’un seul geste, comme nous l’avions appris, puis j’écartais délicatement le carter pubien. L’air froid s’engouffra contre mon clitoris désenflé. Sitôt la bague ouverte, je poussai sur mes pieds pour quitter le transmetteur et son faux-jumeaux anal. Une drôle de sensation de vide et de légèreté s’empara de mon ventre. Je chancelai jusqu’aux produits de nettoyage, affaiblie par la faim et engourdie par la position tenue durant deux jours. Après quelques secondes les yeux fermés, je réapprivoisai ma posture humaine. J’ôtai les lentilles insoutenables avant de commencer le nettoyage des mécanismes.

C’est à ce moment qu’Héloïse me rejoignit. Elle attendit que je finisse puis me confia :

— Il faudra que je te fasse écouter quelque chose.

— Après manger ?

— Bien sûr.

Lorsque la sellerie remonta à l’intérieur de l’exosquelette, je me plaçai face à elle afin qu’elle décollât chaque électrochoqueurs de ma peau. Je gagnai sans un mot le vestiaire, épuisée à l’avance de devoir m’extirper de la tenue de pilote. Mercedes s’était assise sur le banc et venait juste de découvrir ses deux jambes couleur olive. Héloïse me dit lorsque je me laissai tomber assise.

— Je vais t’aider.

Ses ongles se placèrent de chaque côté de ma cuisse, et roulèrent le bas de contention. Elle procéda à l’autre jambe et je défis le haut avant de rejoindre les douches. Mercedes ne disait mot, ses cheveux courts battus par la pluie des tuyauteries. J’aurais aimé nous entendre nous enorgueillir de cette fausse bataille, mais j’étais trop fatiguée pour lancer la conversation. Héloïse n’osa pas briser cette torpeur, et resta à nous attendre derrière la paroi, étrangement silencieuse.

Lorsqu’elle en sortit, elle nous tendit son tube de crème anesthésiante. Malgré la sensation de froid, mon corps en avait gardé un souvenir reposant.

— Je veux bien, dis-je. Ça m’avait fait du bien la dernière fois.

— Y a pas mieux pour réparer les tissus et pour garder une jolie vulve. Tu veux que je t’en mette ?

J’hésitai puis la fatigue me fit accepter. Elle sortit un gant rose de sa poche puis m’invita à m’asseoir sur le bord du banc, et à écarter les cuisses au maximum. Elle couvrit l’extrémité de ses quatre doigts du gel translucide, puis l’étala sur mes nymphes. Le contact avec le clitoris fut un peu brutal, et alors que la sensation de froid se répandait, sans prévenir, elle enfonça deux doigts dans mon vagin.

— Eh ! Pas dedans !

— C’est le plus important. T’en n’as pas mis la dernière fois ?

— T’aurais pu prévenir !

Elle pinça les lèvres pour s’empêcher de sourire et retira lentement sa main. Je sentis le froid planter ses griffes par l’intérieur. Son majeur enduit mon anus, mes yeux se fermèrent par anticipation et mes muscles la laissèrent entrer une seconde. Mercedes qui n’avait enfilé que son soutien-gorge et son t-shirt s’assit sur le banc et dit à Héloïse :

— Vas-y à mon tour.

Héloïse changea de gant, puis réitéra l’opération alors que j’avançais à mon casier pour ne pas assister à cet instant trop intime. J’avais l’impression d’avoir une glace à l’eau enfoncée dans le vagin. La sensation s’estompa heureusement au fur et à mesure que je m’habillais. Ces derniers jours, je n’aurais jamais cru trouver l’uniforme plus confortable que l’ESAO, pourtant le coton me parut plus doux que jamais.

Sitôt Mercedes culottée et chaussée, nous gagnâmes le réfectoire désert où ne subsistait que la lumière des îlots. Je levai la plaque d’un des bacs de frites. Elles étaient d’un tiède qui tirait vers le froid, mais j’avais trop faim.

Héloïse, s’assit à côté de Mercedes, les fesses rebondissant d’excitation. Je levai les yeux puis fronçai les sourcils pour l’inviter à me dire ce qui la démangeait tant depuis tout à l’heure. Elle lâcha avec un couinement :

— Tu sais qui part avec moi en opex ?

Je cherchai qui, que nous ayons en commun, pouvait partir. C’était soit l’adjudante, soit…

— Moi ?

— Quand ils ont commencé à parler de toi, j’ai enregistré la conversation en douce.

Elle posa fièrement son smart-data entre nous et nous expliqua :

— Le premier qui parle à Paksas, c’est le capitaine de vaisseau Szabo, commandant d’un croiseur forceur de lignes : le Gulo Gulo. L’autre, c’est le Général Santos.

La conversation commença par la voix de Paksas :

— C’est hors de question, elles n’ont que vingt jours de formation au lieu de cent-vingt.

— Moi, ce à quoi j’assite me suffit.

— Vingt jours !

— Ecoutez, Orinta. Ce que je vois c’est deux filles qui ont bougé comme des pilotes aguerries et c’est un gaspillage de temps et d’argent de laisser des surdouées de la branlette se chatouiller le clito en exercice, si elles peuvent le faire sur le terrain.

— Mais elles ne savent pas gérer le stress, elles n’ont pas vu toutes les manœuvres, les déplacements en apesanteur…

— Le stress, ça s’apprend sur le terrain. Caporal Carlier, que pensez-vous de Fontaine ? A-t-elle besoin de plus d’entraînement ?

— C’est une question à laquelle l’adjudant-chef Morvan est plus apte à répondre que moi, éluda Héloïse.

— Si je dois en choisir une des deux ? Répondez avec votre instinct.

— Le lieu… La pilote Fontaine est indéniablement la meilleure.

— Hormis ses orgasmes de vingt-deux secondes ? Elle saura gérer le stress.

— Mieux que toutes les autres. Elle sait gérer son stress et le Furet est déjà une deuxième peau pour elle.

— S’il vous plaît, aidez-moi, supplia Orinta Paksas.

— Je suis désolé, répondit la voix du Général Santos. Nous avons absolument besoin d’un gynécien et d’une pilote à bord du Gulo Gulo. Laquelle estimez-vous capable dans votre groupe ?

— Le soldat Fontaine, répondit amèrement Orinta Paksas.

La conversation s’éteignit et Héloïse me fit sursauter :

— On part toutes les deux !

— Le Gulo Gulo, réfléchit Mercedes, ce n’est pas celui où la gynécienne et la pilote se sont suicidées ?

N’ayant pas suivi l’actualité nécrologique de l’armée, je haussai les épaules en jetant un œil vers Héloïse. Visiblement pas informée, elle écarquilla ses yeux et leva les mains en répondant :

— Clarine et moi, ça sera forcément différent. Déjà, nous sommes soudées.

— Elles aussi visiblement, lui dit Mercedes. Et à entendre la voix du commandant Szabo, ce n’est pas un copain pour une pilote.

— N’empêche qu’il en a besoin.

— Avoir besoin de quelqu’un, ça n’empêche pas d’être un connard avec lui. Surtout dans l’armée quand tu dois respecter des grades. C’est le genre de type qui se fichera de savoir que Clarine a un parcours parfait. Ce qu’il veut c’est qu’elle jouisse toutes les trente secondes, comme si elle avait juste à appuyer sur un bouton.

— Ne te braque pas, on ne le connaît pas. C’est vrai qu’il est un peu sec dans sa façon de parler, mais faut le vivre pour le juger, non ?

— Ton optimisme débordant me fait de la peine.

— Si on fait bien notre boulot, il n’y a pas de raison. L’équipage, c’est des êtres humains. C’est un vaisseau forceur de lignes, ils ont toujours eu besoin des ESAO. Ce sont des gens qui connaissent.

Mercedes leva les yeux vers moi et me dit :

— Bon courage en tout cas. Et… tu vas me manquer.

— Merci. Toi aussi, tu vas me manquer. Et les autres aussi. Un peu moins que toi mais beaucoup quand même.

— Allez, au dodo, chantonna Héloïse.

Elle se leva, alors après un échange de regard éreinté, nous nous levâmes à notre tour. Le bras de Mercedes m’attira contre elle et ses lèvres se posèrent délicatement sur ma joue.

— Tu vas tout déchirer, j’en suis sûr. Après les officiers se battront pour t’avoir dans leurs unités.

— J’espère.

Nous longeâmes les couloirs, sans que sa main ne quittât ma hanche. Une part de moi trouvait dommage de nous quitter alors que nous commencions à devenir de proches amies. Une autre part me susurrait que c’était mieux, avant que Mercedes ne développât des sentiments équivalents à ceux qu’elle avait pu ressentir pour la fille du député de la Nouvelle Catalogne.

Sur la pointe des pieds, dans la pénombre, nous nous glissâmes dans nos lits, sans éveiller nos camarades endormies.

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