29. Barkle

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À midi, je déjeunai avec les filles. Je leur avais annoncé la date du départ.

— C’est ton dernier jour avec nous, couina Sadjia.

— Ouais… C’est rapide.

— Ton ESAO sera nickel, me dit Mercedes. Je m’en occupe cet après-midi.

— C’est gentil.

— Ce soir, on fait la fête, dit Caitlin. Je m’en fiche d’avoir la gueule de bois demain matin. On perd notre patte de lapin, notre mascotte.

— Faut pas exagérer, souris-je. En tout cas, je suis contente de partir avec Héloïse. Je pense que le temps de nous intégrer à l’unité, ce sera bien de pouvoir nous épauler.

Ma gynécienne opina du menton.

— C’est clair !

— Bon allez, on y retourne, indiqua Kirsten. À ce soir, la Teigne !

— A ce soir !

Elles se levèrent de table avec Peter. Mercedes et Héloïse restèrent, jambes détendues sous la table.

— Vous voulez un autre café ? proposa Héloïse.

Nous acceptâmes toutes les deux et lorsqu’elle nous quitta, Mercedes me dévisagea :

— Tu vas vraiment me manquer.

— Merci. Toi aussi. Peut-être qu’on se recroisera sur le terrain. La galaxie n’est pas grande.

— C’est vrai.

Mercedes baissa les yeux, et avala sa salive sans rien ajouter. Héloïse revint avec trois tasses puis me serra contre elle :

— Comment je suis trop contente de partir avec toi !

— Attends, faut encore l’aval du major Barkle, dis-je.

— Pfff ! Elle n’a aucune personnalité ! Elle marquera ce que veut le général.

— Ça ne sert à rien que j’y aille, alors.

— Sauf si tu veux être en cellule les dix premiers jours de voyage. Dès qu’une pilote lui tient tête, elle la tacle pour insubordination. Si tu sors d’une cage le premier jour de mission, l’intégration au sein de l’unité ne sera pas facile.

— Bon, ben je vais me brosser les dents et me recoiffer, dis-je.

— T’es bien coiffée, sourit Héloïse.

Je vidai ma tasse et me levai avec mon plateau.

— Viens, lui dit Mercedes, on va faire de la peinture.

Quatorze heures, la porte de l’infirmerie s’ouvrit. Le major Barkle était assise à son bureau. Le même visage carré, le même menton haut et méprisant qu’à mon arrivée au régiment. J’entrai et la saluai. La porte se referma et elle attendit de longues secondes avant de m’inviter à m’asseoir. Elle commença sans un bonjour, avec une voix caustique qui annonçait la tournure de l’entretien :

— Alors ! Soldat Clarine Fontaine. Nous sommes ici pour évaluer votre aptitude à partir en mission. Je vais donc poser des questions qui peuvent vous paraître indiscrètes, mais qui permettront de définir votre profil. Ça va pour vous ?

— Oui, major.

— Comment se passe la cohabitation avec les autres filles pilotes ?

— Très bien, major.

— Pourtant, Jorgensen vous a démoli le portrait.

— C’était avant qu’on devienne copines.

— Et qu’est-ce qui vous a réconcilié ?

— Que je lui tienne tête. Elle ne respecte que les filles fortes et elle pensait que j’étais une lèche-botte.

— Comment pensez-vous qu’elles vont réagir à votre départ ?

— Elles disent que je vais leur manquer. Mais je sais que ça va vite passer. On n’a pas le temps de penser à ceux qui sont partis.

— Et vous ? Elles vont vous manquer.

— Bien sûr, au début. Jusqu’à ce que je sois bien intégrée à ma nouvelle équipe.

— Et vous pensez vraiment qu’ils vont vous accepter ?

— Après un certain temps, ça viendra.

— Vous savez que vous serez la salope de service ?

Je secouai la tête en affirmant :

— Ils ont l’habitude de travailler avec des pilotes d’ESAO. Ils savent ce qu’on vaut.

— C’est-à-dire ?

— Qu’on peut leur sauver les miches.

Elle fit une moue dubitative avant de poursuivre :

— Comment décririez-vous les quelques jours passés au régiment ?

— Très enrichissant. J’ai découvert la complexité du pilotage et j’ai changé mon jugement sur les filles pilotes.

— Qui était ?

— Celui de tout le monde. Sauf que ce ne sont ni des salopes ni des délinquantes.

— Je vous ferais lire le dossier de votre amie Jorgensen ou Muñoz, vous changeriez d’avis.

— Je sais ce qu’elles ont fait.

— Vous avez pris du plaisir à piloter ?

— Oui.

— Impatiente d’aller au front ?

— Oui.

— Comment réagiriez vous si je vous refusais l’accès.

— Vous ne le ferez pas.

L’agacement tinta dans sa voix :

— Et pourquoi ?

— Parce que mon dossier technique est exemplaire, que l’Etat Major a besoin d’une pilote en urgence et que je n’ai aucun problème physiologique ou psychologique. Après si vous voulez être garce, ça ne me dérange pas, je sais que ma formation est largement incomplète. Je serai mieux entraînée et je passerai plus de temps avec mes camarades.

— Vous voulez que je sois garce ?

— Je dis juste que je me fiche de partir ou rester.

— Et bien on va continuer cet entretien en tenue de pilote. Déshabillez-vous.

Je réalisai trop tard que j’avais été un peu trop directe. Si je désobéissais, elle allait me faire enfermer pour insubordination, Héloïse m’avait prévenu. Je défiai le major du regard en me levant, me déchaussai sans me pencher en levant les pieds, puis baissai mon pantalon. Après que mon béret eût chu en ôtant mon t-shirt, ses yeux clairs perçants suffirent à me dire qu’elle voulait que je poursuivisse. J’ôtai mes chaussettes, puis baissai ma culotte.

— Parfait, nous allons pouvoir poursuivre maintenant. Êtes-vous plus à l’aise dans votre véritable uniforme ?

— Non, major.

— Pourquoi ?

— Je trouve ça humiliant.

— Parfait. À genoux, les mains sur la tête. On garde le dos droit.

Je m’exécutai en me jurant que si un jour j’obtenais un grade supérieur au sien, je la ferai jeter dans un cachot. Sur le carrelage dur, les dents serrées, je m’abstins de toute remarque qui empirât la situation. Elle leva enfin son cul de sa chaise et tourna autour de moi comme un vautour lubrique.

— Bon chien. Tu ne mors pas au moins. — Elle caressa mon menton. — Parfait !

Elle tourna autour de moi et lorsqu’elle revint de face, elle murmura d’une voix doucereuse :

— Maintenant, si tu me manques encore de respect, je te ferai connaître quelques déplaisirs, auxquels même une petite pute de pilote n’y trouve aucun plaisir.

Ses mains me pincèrent les tétons avec force. Je serrai les dents et elle les tourna jusqu’à ce que je n’en puisse plus et que je rugisse bouche close. Elle reprit à voix haute ses questions :

— Une question, maintenant. Est-ce que Papa sait que sa fille est pilote ?

— Non, major.

— Comment réagirait-il si un jour vous veniez à être affectée sur le même navire. S’il vous voyait dans cette tenue ?

— Il réagirait mal.

— Cela compromettrait votre mission. Vous seriez tant stressée par la situation que vous seriez incapable de jouir. Merci de répondre à la question.

— Je ne sais pas, major.

— Lui, il serait incapable de se concentrer. Il serait tellement étonné du petit cul qu’est devenue sa petite fille, qu’il se branlerait en secret dans le cockpit de son vaisseau. — Même si j’avais envie de bondir et de lui planter son stylet dans la gorge, je ne répondis pas à la provocation. — Dans tous les cas, il pèterait un câble, on serait obligé de le renvoyer à la vie civile pour ne pas compromettre les missions. Il en va de même pour votre frère. Vous qui êtes si douée, vous avez une chance de finir dans l’élite, avec les commandos. Et quitte à virer l’un de vous, le choix sera cornélien. Dîtes-moi que dois-je faire de cette information ?

Que lui répondre ? Même dans les métiers classiques de l’armée, on ne mettait pas des membres d’une même famille à bord des mêmes navires. Me concernant, ils avaient trop besoin de pilote pour s’embarrasser d’un tel sujet, et ils n’avaient qu’à faire attention aux affectations.

— Faites votre rapport. Le général Santos décidera, je me plierai à leur décision.

— Je vais plutôt omettre d’en parler. On ne sait jamais, avec un nom de famille si courant, les grosses huiles pourraient passer à côté du sujet. Il me plaît trop d’imaginer vos retrouvailles familiales. Vous êtes apte, soldat Fontaine, félicitations. Vous pouvez aller vous peser, que je complète le dossier.

Je me relevai, les genoux rougis, et montai sur la balance. Lorsque j’en descendis, le souffle du robot m’indiqua qu’elle venait de le mettre en fonction. Il lévita jusqu’à moi et son tentacule enroula mon bras pour capter ma tension. Le major lâcha d’un ton agacé :

— Parfait ! Parfait ! Remettez-vous à genoux.

J’obéis, son visage n’afficha aucune satisfaction tandis que le robot retournait se stationner près de la table d’auscultation. Elle aurait préféré que je protestasse pour donner une occasion à son sadisme de me punir. Elle retourna à son bureau, sans un mot, éteignit son écran, puis me tourna le dos en articulant :

— Vous pouvez vous rhabiller.

Elle sortit alors. Personne dans le couloir ne passa pour me voir à genou face à l’accès. J’ignorais si le colonel Paksas était au courant du sadisme de Barkle. Mais ça ne servait à rien de la balancer et de me confronter à elle tant que j’étais qu’un petit soldat. Lorsque la porte se referma, je ramassai ma culotte en maugréant à voix haute :

— Attends que je sois lieutenant, salope.

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