38. Nocturne extraterrestre

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La base ouvrière était plus grande que je l’imaginais, s’étendant sur un demi-hectare, bâtie sur un rocher le long de crevasses artificielles créées par l’exploitation minière. Le site, surplombé par des tourelles de défense anti-aériennes, grouillait d’activité. Le pilote du Grizzli m’expliqua que le site abritait une raffinerie, et que trente personnes y travaillaient en permanence. Le groupe que j’escortais était composé des prospecteurs, chargés de cartographier les prochains filons de roche pour les immenses foreuses mobiles dévoreuses de falaises. Des camions faisaient leurs derniers allers-retours de la journée entre les imposantes machines et la raffinerie. L’aile du bâtiment, occupée par les prospecteurs était surplombée par une baie vitrée en forme de quart de coupole. Le hangar principal qui nous attendait se trouvait un étage en dessous, accessible par une route taillée au fur et à mesure de l’extraction minière. Le véhicule pénétra à l’intérieur et je les suivis. Des gens présents aidèrent les arrivant à décharger le matériel, et les portes se fermèrent. Le Grizzli me dit :

— L’atelier pressurisé est sur votre gauche, si vous voulez un peu d’intimité pour vous changer. Je vais décharger.

— TBK12 à TBK1, dois-je rester dans mon ESAO ? Terminé.

— TBK12, vous êtes autorisée à descendre. Restez prête à y remonter. Terminé.

Je pénétrai dans le sas en baissant la tête. Les portes se fermèrent derrière moi, et un bruit de pompe asthmatique prit une minute pour modifier la composition de l’air. La porte me faisant face s’ouvrit en claquant, alors je m’engageai dans l’étroit atelier. Il y avait de nombreux casiers pour les scaphandres, des établis et beaucoup de racks de matériel. Une longue vitre donnant sur la coupole surplombait la pièce. Personne ne semblait être présent pour me mater, mais je me mis face au mur, dos à la vitre avant d’ouvrir mon ESAO. La selle me descendit jusqu’à ce que mes pieds touchassent terre, alors l’air sec remplit mes narines. Je me détachai, abandonnai mes godes, puis ouvris le compartiment pour récupérer mon uniforme. Mon treillis à peine boutonné par-dessus mes bas, la porte du sas claqua, et le bruit de pompe s’amorça. J’enfilai mon t-shirt par-dessus ma brassière de pilotage, coiffai mon béret à la hâte. N’ayant rien pour nettoyer les sondes, je déclenchai le protocole de désinfection UV avant de fermer l’ESAO. Je me chaussai quand trois mineurs sortirent du sas. Ils ôtèrent leurs casques, soulagés, mais le visage fatigué. Un homme me scruta avant de me dire :

— Merci beaucoup d’être intervenue.

— C’est mon job.

— Il y a de quoi vous restaurer à l’étage.

Je montai les escaliers métalliques et bruyants, jusqu’à la salle vitrée. Sous le quart de coupole, inondé par le soleil couchant, il y avait une salle de travail avec une table immense de cartographie. Je regardai à l’extérieur le panorama qui dominait la vallée artificielle. Les foreuses avaient allumé leurs projecteurs et une tempête soulevait un mur de sable à l’horizon. J’eus une pensée pour mon père. Comme lui, je vivais une aventure extraordinaire. Les trois mineurs me rejoignirent. Une quadragénaire aux cheveux courts demanda :

— Vous avez pris un café ?

— Non, je regardais la météo.

— N’ayez pas d’inquiétude. Ce ne sont pas des tempêtes dangereuses. Elles soulèvent beaucoup de poussière, l’atmosphère n’est pas très dense, mais les vents ne dépassent jamais cent kilomètres heure. Vos amis pourront atterrir sans problème. Combien êtes-vous ?

— Quinze avec notre lieutenant.

— Je vais prévenir la cafétéria. — J’acquiesçai. — Et merci pour votre intervention.

Elle s’éloigna vers le couloir où avaient disparu ses deux collègues masculins. En contrebas, le sas claqua à nouveau et fit entrer le gros Grizzli. Il se plaça à côté de mon Furet. La sellerie descendit un homme nu, musclé, sans brassière ni bas, le pelvis emprisonné dans une coque reliée à un tube. Lorsqu’il déverrouilla à deux mains le carter, son pubis glabre se révéla, le pénis arqué, luisant sous l’éclat des lumières. Son gland violacé semblant prêt à éclater, je supposai sans mal qu’il était à la limite de trouver un orgasme. Il n’avait pas de sonde anale, alors je tâchai d’imaginer ce qu’on pouvait ressentir avec un sexe d’homme. Ça devait être très différent des femmes, mais l’orgasme était sans aucun doute similaire. Il fit quelques pas, s’étira, puis ses doigts se refermèrent sur son pénis. Il se masturba lentement sous mes yeux béants de curiosité. Quinze secondes à peine suffirent, ses abdominaux se contractèrent et il projeta sa semence sur le caniveau. Il jeta un regard vers les vitres et m’aperçut. Il actionna la lance du karcher pour rincer la grille, enfila une cotte pendue à la rambarde d’escalier, chaussa des bottes sans resserrer les attaches, puis grimpa. Impatiente d’échanger nos expériences de pilote, je lui ouvris la porte. Son ton salace et mielleux me refroidit aussitôt :

— Ça aurait sympa de me donner un petit coup de main, ça m’aurait changé. Et vous auriez pu vous rincer l’œil de plus près.

— Je croyais que vous n’aviez plus de munition, articulai-je sèchement.

— C’est revenu le temps que nous rentrions.

— Et vous les avez ratés avec votre premier tir ?

— Je ne suis pas un soldat surentraîné comme vous.

Je ne sus quoi ajouter, et je me sentais mal à l’aise sous son regard lubrique. C’est avec soulagement que je vis les autres ouvriers passer le sas avec une poignée de Carcajous Maudits. Mes camarades grimpèrent aussitôt l’escalier, casque sous le bras, menés par un mineur d’au moins soixante ans. Lorsqu’il entra, il me dévisagea, la pointe de la langue sur la lèvre et me dit :

— Merci pour votre intervention.

— C’est mon job.

— Pour vous ça doit être plus que ça, supposa-t-il avec une tessiture lubrique.

— C’est à dire ?

Il n’eut pas le temps de répondre qu’Horvath lui donna une claque derrière la tête.

— On respecte la demoiselle, elle vous a sauvé les miches.

Le fait que ce fût Horvath qui fît la remarque me tira un rictus. Le sexagénaire se défendit :

— Je n’ai rien dit.

— J’ai lu dans vos pensées. Et vous avez de la chance que ce soit moi et pas le lieutenant.

Mourat entra à son tour, ignorant tout de la conversation.

— J’ai deux hommes en poste d’observation, le reste de notre unité vient de décoller pour renforcer la sécurité. Demain, nous irons enquêter sur les lieux d’attaques. Vous me disiez que ce n’était pas la première fois ?

— Non, mais les deux dernières fois, c’était un petit groupe de pillards, répondit le sexagénaire. Et notre ESAO ne les a pas loupés. — Le pilote adossé au mur resta statique avec un air cabotin. — Le problème quand on rate le premier tir, c’est…

— Vous avez eu de la chance, dit Mourat. Un site a été attaqué plus violemment, d’où la raison de notre présence.

— Nous en avons entendu parler, acquiesça le sexagénaire. Nous avons doublé la capacité de notre défense antiaérienne.

— Je peux te parler ?

Le regard de Mourat me prenant à partie, je le suivis dans le bureau attenant à la pièce. Il ferma la porte de verre et grogna :

— La situation sur ce planétoïde pue du cul. L’autre site a été torpillé, et le vaisseau africain a été proprement abordé. Donc il y a des bestioles avec des vaisseaux de guerre qui se baladent dans les environs. Si le groupe de tout à l’heure est de leur faction, ils vont débarquer. Je n’ai pas l’impression qu’on puisse compter sur leur Grizzli. Il n’a l’air bon qu’à la manutention.

— C’est toujours un pilote de plus. S’il vise bien ne serait-ce qu’une fois, ça m’économise un tir.

— T’es encore en tenue ? — Il désigna mon col de brassière. — C’est bien. Si ça se met à déconner, en combien de temps tu peux être dans ton ESAO ?

— Je porte encore mes lentilles de pilotage. J’ai juste à descendre les escaliers, puis à enlever l’uniforme. En deux minutes, je suis prête, peut-être un peu moins. Quand Héloïse sera là, je pense qu’en une minute, on peut le faire.

— Reste en poste ici. Juste ne t’assoupis pas et garde la minette humide, OK ?

— À vos ordres.

Il ouvrit la porte en lâchant :

— Personne n’importune la pilote, elle doit rester concentrée. Horvath, tu restes avec elle.

Il coiffa son casque tandis que je me répétais son ordre incongru. Durant mon service militaire, je n’aurais jamais imaginé qu’on puisse m’ordonner de garder la minette humide. J’approchai de la grande vitre et observai le désert brun que le crépuscule venait assombrir. Les étoiles se dessinaient dans le ciel, un peu effacées par l’éclat des spots qui protégeaient le bâtiment. J’essayais de ne penser qu’à mon retour dans l’ESAO, mais je ne pouvais m’empêcher d’écouter les conversations des mineurs qui racontaient avoir eu chaud. Tous regrettaient leurs deux camarades décédés. Certains dans un murmure, disaient que nous nous prenions pour des cowboys, comme si ni Horvath ni moi ne les entendions. Lorsqu’ils quittèrent la pièce, le grand blond posa sa main sur mon épaule :

— T’as assuré, Fontaine.

— Merci.

La nuit tombée, les feux de notre second transporteur m’éblouirent un instant, avant qu’il se posât. La porte du hangar s’ouvrit tandis que le pilote conservait une altitude stationnaire, puis il glissa à l’intérieur, naviguant au centimètre près. Je n’attendis pas longtemps avant que la seconde équipe passât le sas. Héloïse, casque sur la tête, plastron sur les épaules et fusil lourd en bandoulière me salua d’un grand signe de la main. D’où j’étais, elle était reconnaissable, c’était la plus frêle, et la plus expressive. La voir aussi pétillante souleva mon cœur et me vola un sourire. Lorsqu’elle monta les escaliers et nous rejoignît, je lisais bien son stress, mais elle restait assurément positive dans l’attitude. Elle me fit signe du pouce que tout allait bien.

Mourat nous rejoignit en ôtant son casque. Il salua le lieutenant Conti qui lui répondit de la main avant d’ordonner :

— Deux hommes pour relayer les guetteurs. On dîne dans cinq minutes, Saïp va distribuer les rations chaudes.

— Les mineurs ont cuisiné pour nous, indiquai-je.

— OK. Je vais voir leur responsable. Fontaine et Carlier, vous me montez les lits de camps en bas. On reste en vigilance toute la nuit, donc soyez prêtes à réagir. Carlier vous ferez le premier quart avec l’équipe un et Fontaine, vous ferez le second.

— À vos ordres, répondîmes-nous en chœur.

Héloïse fit signe du casque, alors Saïp et moi lui emboîtâmes le pas dans les escaliers pour déployer les civières dépliantes déjà entreposées dans l’atelier. Héloïse ôta enfin son casque. Tout en commençant, je confiai :

— Je m’attendais à dormir sur un tapis de sol.

— C’est rare qu’on dorme sur le terrain, confia Saïp.

— On va se mettre près du Furet, ajouta Héloïse

— Ça marche.

Nous dépliâmes les lits de camps. Héloïse me dit à voix basse :

— Tir aérien, je ne m’y attendais pas. Avec ton rythme cardiaque pendant l’entrée dans l’atmosphère !

— J’ai été surprise aussi. C’est comme si mon corps avait pris le contrôle.

— Mais délicieuse surprise !

Elle agita les sourcils, alors je lui concédai cette part de vérité par un sourire. Derniers lits dépliés, elle colla son plastron contre mon épaule et m’embrassa sur la joue.

— Je suis contente que t’aies réussi.

— Moi aussi.

— Faut que je fasse pipi, maintenant ! Où sont les chiottes ?

— À l’étage.

— Viens avec moi pour m’aider à enlever cette armure.

Nos estomacs se rendirent compte du décalage horaire et du déjeuner sauté lorsque les effluves du dîner vinrent chatouiller nos narines. Je me régalai du ragout simple et des pommes de terre, avec la même sensation de vide à combler qu’après le rallye lunaire ou les manœuvres dans Kharkiv. Pendant que nous nous rassasions, le lieutenant Conti était toujours avec les responsables du site pour envisager une évacuation. Entre Carcajous, on pariait tous sur une discussion stérile. La richesse du sol excluait tout départ précipité tant que les attaques étaient menées par de simples pilleurs sur la périphérie du site.

La chaleur du repas nous réchauffant le cœur, elle déliait les langues et ouvrait le débat xéno-ethniques, dans lequel seuls les plus expérimentés se lançaient. Pour Mourat la sociologie des Crustacés était aussi complexe que celle des hommes. Il était difficile de savoir comment communiquaient les factions indépendantes et leur armée. Il était communément admis qu’il y avait des petits groupes sans rapport avec les corps d’armée. Les différentes peintures sur leurs carapaces laissaient courir l’idée d’armées appartenant à différents clans et non à une seule entité toute puissante. On pouvait y faire un parallèle à la Nation d’Europe, à l’Asie Unifiée, à l’Empire d’Amérique ou aux Etats Unis d’Afrique. La véritable question, était de savoir si ces factions pouvaient toutes coopérer les unes avec les autres pour combattre l’espèce humaine ou si leurs dissensions pouvaient nous laisser une chance.

Lorsque Mourat quitta la cantine ouvrière, il ne restait plus qu’Héloïse, Horvath, Altounian et moi. Le blond aux grandes dents me jeta un regard pétillant :

— Allez ! Raconte-nous ta mission.

Je narrai alors mon entrée dans l’atmosphère, mon arrivée héroïque. Héloïse assura même qu’elle pouvait montrer les images enregistrées par mon ESAO. Elle agita sa main déployée :

— Franchement ! Je n’aurais pas cru qu’à ta première mission, ça se passe aussi bien. Je veux dire, tirer depuis le ciel, OK, en temps normal. Mais, là ta fréquence cardiaque était à son record : deux-cent un battement par minute ! La stratégie des pilotes, c’est trouver un coin à l’abri, regagner sa zone de plateau. Toi, direct, tu as continué pour les buter à mains nues, et à te déplacer super vite. T’es inhumaine !

— Après, elle avait déjà tiré, donc non, supposa Horvath.

— Ben si. Son Furet, c’est un ESAS. Moins t’as de plaisir moins tu peux le bouger. Là, à cette vitesse de réaction, Clarine était bien mouillée !

— Merci pour les détails, grinçai-je.

— Avec cette fréquence cardiaque, le stress aurait dû te paralyser. Je me pose la question ? Qu’est-ce qui te différencie d’une autre femme ? Si je trouve, je vends un concept d’entraînement à tous les régiments d’artillerie mobile du monde.

— Je pense que c’est ce qui différencie les pilotes des autres femmes, c’est la limite à laquelle tu ne peux plus contenir le stress. En fait… — Je cherchai mes mots. — C’est très difficile à expliquer comment je procède. C’est un peu le principe tête-corps-cœur que nous a appris le colonel Paksas. C’est comme si ma tête et mon corps étaient deux personnalités différentes. Le corps, dans un ESAO, c’est un moteur. Mon cerveau est concentré sur les décisions, il analyse, et il vérifie de temps en temps que le corps a du plaisir. J’active une arme, j’active un truc de la selle. Tu vois ma tête, elle est dans la logique et rien d’autre. Mon corps, il est aveugle, il ne sait rien de ce qui se passe. Ma tête a juste à s’assurer que mon corps ressente du plaisir. Celui qu’il faut maîtriser réellement, c’est le cœur. Si le cœur déborde d’émotion, c’est-à-dire de stress, il parasite la communication entre les deux. Mais je te rassure, j’ai mes limites aussi.

Les grands yeux de ma camarade se levèrent vers les deux hommes qui nous écoutaient.

— Vous en apprenez, des choses !

Horvath opina du menton et Altounian glissa :

— Moi, je pensais que les godes étaient plus gros.

— Toi, se moqua Héloïse, t’as trop regardé de porno !

— J’en ai vu un, où une fille passe un test dans un simulateur. Elle grimpe sur deux dildos énormes !

— Alors tu vas être déçu, lui dis-je. Sur un simulateur, il y en a qu’un et il fait dix centimètres.

— Ça reste plus grand que la bite à Horse ! s’esclaffa Héloïse.

— Elle n’est pas grande, mais tout de même, protesta Horvath.

— Non mais sérieusement, dit Héloïse avide d’instruire, ça ne sert à rien d’avoir un transmetteur énorme. Le vagin n’est pas profond, il s’étire avec le désir et il se resserre, donc aucun intérêt de mettre un dildo de la taille d’un mollet.

— Dans les animés, ils sont énormes, sourit Horvath.

— Tu regardes des animés érotiques ? questionnai-je.

Horvath leva une épaule pour faire celui qui n’avait regardé que par accident. Pour le détendre, je lui confiai :

— J’ai regardé les trente épisodes de Sexosquelette Gladiatrices en 4D.

— C’est vrai ? C’est un peu exagéré.

— Ouais, mais le scénario ne se prend pas la tête, et c’est trippant. En animé 4D, t’as pas grand-chose qui tienne la route.

— J’aime trop le personnage de Taki.

— Moi aussi.

— Eh ! On a un point commun !

Il brandit la main, alors je frappai sa paume. Il questionna :

— C’est quoi ton épisode préféré ?

— Je crois que c’est le dernier. Pas parce qu’elle se prend un truc de soixante centimètres dans le cul, mais parce qu’on a vraiment cette sensation d’orgasme ultime. Et toi ?

— Moi c’est le premier entraînement…

Horvath et moi refîmes les trente épisodes de l’animé 4D, jusqu’à ce que Mourat tapât à la porte pour nous rappeler l’heure.

— Carlier, premier tour de garde. Les autres, allez-vous reposer.

— Je vais pisser un coup, annonça Horvath.

Altounian le suivit, tandis qu’Héloïse et moi regagnions la baie en quart de coupole. Il faisait nuit, le lieutenant Conti regardait les étoiles. Nous descendîmes les escaliers sans un mot. Les autres étaient déjà allongés, la moitié d’entre eux toujours en combinaison sous leur couverture, leur plastron posé au pied de leur banquette. Héloïse ramassa son casque et me murmura :

— C’est gentil de me chauffer ma couchette.

Elle me fit une bise puis coiffa son heaume blindé. Elle soupira, puis remonta les escaliers bruyamment pour accéder au sas supérieur. Je m’allongeai sous l’épaisse couverture tout en observant la silhouette de mon ESAO. Je me sentais heureuse de dormir près de lui.

Je ne pensais pas m’endormir avec toute l’excitation de la journée, et j’étais incapable de dire quelle heure il était à bord du Gulo Gulo. Je fus réveillée par les pas de la première équipe. Héloïse me dit à voix basse :

— Tu veux ma combi ou tu prends ton ESAO ?

Savoir qu’elle marinait depuis plus de dix heures dans son scaphandre ne me donna pas envie. De plus, je ne portais pas de culotte, alors dans tous les cas, j’étais obligée de porter atteinte à ma pudeur. Je pris quelques secondes pour émerger et désignai l’ESAO du menton.

Je me levai, puis contournai la jambe pour faire descendre la selle. Le bruit électrique fit lever quelques regards. J’attendis que mon groupe eût quitté la pièce et les autres eurent la politesse de rester coucher dos à moi. Mon ventre s’humecta de lui-même durant cette attente. Je rangeai mon treillis complet dans la cuisse, puis m’installai confortablement. Je remontai à l’intérieur, ensuite mon Furet enjamba mes camarades pour gagner le sas.

Je me sentais mille fois plus à ma place dans mon exosquelette que dans la combinaison d’une autre. Le sas chassa l’air puis la porte claqua. Ma seule erreur fut de ne pas avoir soulagé ma vessie avant de prendre le tour de garde. Je dus activer l’aspiration avant de grimper sur les hauteurs et retrouver mes camarades en poste. Mourat donna les ordres :

— Horvath et Fontaine, vous ne vous endormirez pas si vous papotez comme tout à l’heure. Secteur D en premier et vous faites le tour par C, B, A.

— À vos ordres, répondit Horvath.

Alors que l’adjudant distribuait les binômes, j’avançai au ralenti pour permettre à Horvath de marcher. J’ouvris un canal de communication privé et il interrogea :

— Là, en ce moment, tu utilises quoi ?

— Rien. Juste être dedans me suffit.

— Et tu vas utiliser quelque chose à un moment ?

— Peut-être. Mais tu ne le sauras pas.

— T’es vache ! Entre fans de Sexosquelette Gladiatrices !

— Par respect pour ton âme de fan, je me dois de préserver le mystère.

Il rit. Notre nuit ne faisait que commencer. Il faisait -147°C, d’un côté les étoiles brillaient par milliard. De l’autre, Hansel-Gretel IV formait un croissant roux lumineux. La lumière était apaisante, donnant à chaque chose une teinte pastel. Le bleu marine de mon Furet était noir, le blanc était d’un rose pâle presque phosphorescent. Horvath rebondissait de notre discussion sur les films et séries de sa jeunesse. J’en avais partagé certains, nous n’avions que six ans de différence. Il régnait cet esprit de famille apaisant qui m’avait tant plu au service militaire.

Notre tour de garde se termina alors que la nuit un peu longue se poursuivait à l’extérieur. Horvath m’accompagna par le sas du hangar. Si le bruit de pompe à bout de souffle ne réveillât pas nos camarades, ce fut le claquement sec de la porte. J’enjambai les lits jusqu’à parvenir au fond.

— Allez ! Equipe 3 ! grogna Mourat.

Certains s’assirent sur leur couchette. Je restai face au mur et fis descendre ma selle et Horvath approcha de moi. Je le freinai d’un ton sec :

— Je t’arrête tout de suite, ce n’est pas parce qu’on a regardé les mêmes animés que…

— Je t’arrête tout de suite, je venais juste te protéger.

Il déploya une couverture en paravent devant son visage, et me fit sentir conne.

— Merci, Horse. Ne bouge plus.

Je me désharnachai à toute vitesse, puis enfilai mon uniforme.

— C’est bon, je te remercie.

— Tu ne fais pas de sieste ?

— Non.

— Je te prends un café.

— Merci.

Je nettoyai les sondes, puis activai le programme de désinfection.

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