44. Peine

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Me revoilà. Afin de pouvoir trouver le temps de vous écrire la suite, je me suis mis à la nourriture déshydratée, ça m'offre quelques minutes pendantcertaines pause déjeuner. J'arrive à la bataille finale, donc je sais que je ne reviendrai pas en arrière, et que je peux vous offrir la lecture de la suite. Bonne reprise. Ludwig.

* * *

Après plus d’une demi-heure, les chalands ramenèrent tous les vivants à bord. Les pas lourds du second ESAO se rapprochèrent jusqu’à ce qu’il stationnât face à moi. Coincée dans sa Lionne, Rita demanda :

— Comment t’as réussi à avoir les peignes ?

— En butant tout le monde.

— Non mais c’était assez grand pour ton Furet ?

— Pour moi, c’était bien assez grand.

Les gyrophares cessèrent de tourner et les rampes de lumières blanches prirent le relais, indiquant le retour d’un air viable et pressurisé. Rita fit descendre sa selle, alors je l’imitai avant que les soldats ne sortissent de leur navette. Ma camarade se leva en fronçant les sourcils et en réalisant :

— T’es sortie de ton ESAO pour les récupérer ?

— Pas trop le choix.

— Comment t’as été trop dingue !

Rita sourit en voyant que je n’osais pas me désharnacher. Elle me présenta mon t-shirt. Je débranchai ma poitrine avec soulagement. Rita m’enfila mon vêtement puis me laissa défaire mon lecteur frontal et mes lentilles. Je débloquai le carter pelvien, puis me levai délicatement de mes sondes, craignant une douleur. N’en ressentant pas, je vérifiai d’un œil qu’il n’y avait pas de sang. Elles n’étaient que grasses du lubrifiant dont j’avais abusé.

— Quoi ? s’inquiéta Rita.

— Rien.

— T’as mal ?

— Si tu ne t’es jamais enfoncé une glace à l’eau dans la chatte, je te laisse essayer sinon imaginer l’effet. Mais faut te l’enfiler d’un coup.

— Je suis curieuse, j’essaierai.

Elle souriait, certaine d’elle. Le lieutenant Conti déboula brutalement depuis le chaland :

— Fontaine ! — Je sursautai. — Mais qu’est-ce qui vous a pris ?

Je me mis au garde à vous et balbutiai :

— J’ai saisi une opportunité, mon lieutenant.

— Vous êtes complètement suicidaire ! Il fallait tenir votre rôle, et les fusiliers auraient tenu le leur !

— Je… J’ai cru entendre que le temps pressait, qu’ils sabotaient leur installation.

— Perdre une occasion de voler des informations ou perdre un pilote d’ESAO, qu’est-ce qu’est le plus précieux ? Surtout qu’on ne sait rien de la qualité des informations !

Je gardai le silence, penaude.

— Montrez-moi ça.

J’ouvris la jambe de mon exosquelette et m’excusai en sortant les peignes.

— J’ai dû sacrifier mon fusil…

Elle prit les peignes et me dit :

— Très bon choix. Vous êtes désormais sergent.

Elle s’éloigna, me laissant figée d’incrédulité. Je ne savais pas si je m’étais fait réprimander ou si j’avais été complimentée. Ma camarade siffla.

— Seeeergent ! insista Rita. Je vais être obligée de te saluer, désormais.

Un sifflement autoritaire nous parvint depuis les transporteurs. Les gars étaient en train de ranger le matériel et Conti nous fit signe de filer à la douche. Je soupirai et suivis Rita. Je fis un détour par le dortoir C pour récupérer un treillis, puis attendis trente secondes afin d’être certaine que Rita eût rejoint les douches avant moi et ne pût m’y entraîner avec elle. Lorsque je sortis, je croisai le chef des mineurs dont le regard salace s’arrêta sur les cuisses visibles entre le haut de mes bas et le bord de mon t-shirt. Je gardai le regard froid et l’air pressé. Lorsque j’entrai dans la pièce, Rita passa la tête par-dessus la porte de sa cabine.

— Tu viens, poupée ?

Je secouai la tête et poussai la porte suivante. J’avais envie d’être seule pour digérer un peu la bataille. J’ignorais si le lieutenant pouvait réellement me propulser sergent, mais c’était agréable qu’elle pensât que je le méritais. Une fois le t-shirt posé sur la cloison, les jets chauds délassèrent mes épaules. J’étais encore dans l’euphorie de ma folie. Je déroulai mes bas et m’échappai de la brassière. Lorsque je coupai l’eau pour me savonner, Héloïse et Conti entrèrent. Notre officier dit à ma gynécienne :

— Si t’as besoin de pleurer, profites-en. Sous la douche, personne ne te verra.

Je jetai un œil. Alessia Conti, nue, un hématome commençant déjà à bleuir sa poitrine, leva les yeux vers moi, puis prit une cabine. Les grands yeux abattus d’Héloïse se levèrent à son tour. Sa voix brisée me dit :

— Horse et Jonas sont morts.

J’opinai du menton, choquée de voir à quel point elle était affectée. Je me reculai, terminai de me savonner, puis remis l’eau à déverser sa chaleur bienfaitrice. L’endorphine dégringola, et la satisfaction laissa place aux souvenirs les moins glorieux, comme la chute d’Horvath sous mes yeux. Une mort à la fois peu surprenante, et à la fois dure de soudaineté. Les trépidations du moment ne m’avaient même pas laissé le temps de m’en émouvoir tant que ça. Et même là, sous le jets brulants, l’évènement avait beau remonter, je ne me sentais pas aussi triste qu’Héloïse. C’était le quotidien de la guerre, et je m’y étais préparée malgré moi. La seule chose qui me pinçait le cœur, c’était la détresse de ma camarade.

Je me séchai, enfilai mon uniforme, puis regagnai le dortoir C. Les Carcajous Maudits venaient d’arriver. Saïp en caleçon, s’avança doucement comme si sa jambe lui faisait mal et posa sa main autour de mon épaule :

— Bien joué.

Mes camarades me félicitèrent chacun leur tour d’une accolade, me disant leur fierté. Mais les seuls sourires étaient peints d’amertume. Les premiers quittèrent le dortoir vers les douches. Héloïse entra, les yeux rouges et ronds, s’effondra sur son lit. Elle resta sur le flanc à observer le sol. Muller et Beck échangèrent un regard indécis. Mal à l’aise de la voir dans un état à l’opposé de ses habitudes, je m’assis derrière elle et posai ma main sur ses cheveux bruns. Je la caressai doucement. Les hommes sortirent tous, alors je murmurai :

— Tu veux en parler ?

— Faut juste que je digère.

— Je te laisse, alors ?

— Je veux bien que tu continues.

Je m’allongeai contre son dos et posai ma main sur son bras. Je ne savais pas comment me sentir utile, je n’avais jamais été la meilleure pour consoler les gens. Elle renifla son chagrin, et après quelques longues minutes, elle saisit mes doigts et les posa sur sa poitrine pour former une ceinture rassurante. Je humai sa nuque. J’étais peinée d’avoir perdu deux camarades, mais surtout angoissée pour Héloïse. Je fermai les yeux en trouvant dans les voix lointaines des couloirs, un certain apaisement. Le lieutenant Conti entra puis ressortit sans dire un mot. Lorsque le sommeil s’approcha de moi, le souvenir de la fusillade avec les Crevettes me fit sursauter. Je voulus tirer, mais Héloïse gardait ma main prisonnière. Elle s’inquiéta :

— Ça va ?

— Un mauvais rêve. J’ai faim. Tu sais ce qu’est prévu ?

— Je préfèrerais que tu restes avec moi.

— Je resterais bien, mais j’ai super faim. Si tu veux, je reviens dormir avec toi, après.

Elle tourna la tête vers moi, puis opina du menton.

— Je te ramène quelque chose ?

Elle ne répondit pas, alors je considérai la réponse comme négative. Je rejoignis le couloir et marchai en direction du mess. Je croisai le soixantenaire lubrique des prospecteurs qui m’interpella :

— Excusez-moi.

— Oui ?

— Pouvez-vous me dire ce qui s’est passé ?

— C’est à dire ?

— Toute cette agitation. Vous avez disparu et puis vous revenez…

— Je ne suis peut-être pas la personne à qui vous devez le demander.

— J’ai senti la commandante un peu occupée.

— Dommage. Vous n’avez pas vu le lieutenant Conti ?

Il secoua la tête, alors je rasai la tuyauterie pour passer. En ne voyant personne au mess, je poursuivis jusqu’à la plateforme de commandement. Comme nous passions nos heures enfermées entre les murs d’aciers, ça me fit bizarre de voir les étoiles par la canopée. Conti était avec le commandant qui s’exclama :

— Ah, sergent !

— Je suis déjà sergent ?

— Je n’ai pas encore transmis l’information, mais pour moi c’est officiel, déclara Conti.

— Vous avez des ovaires en béton, me dit la commandante.

— Merci.

— Vous vouliez quelque chose ? demanda Conti.

— Je voulais connaître l’emploi du temps…

Les yeux de Conti m’interrompirent, la gynécienne de Rita leva des yeux curieux depuis son poste, et la commandante, toujours plus avenante, me répondit :

— Nous faisons déjà route vers la Terre. Vous dînerez juste avant le passage dans le trou de ver. Un bref débriefing aura lieu demain, le temps que chacun se soit reposé. Votre major ne va pas tarder à vous indiquer tout ça.

Conti fit une moue pour m’indiquer qui c’était évident.

— Merci, mon commandant. Excusez-moi de vous avoir dérangées.

— Merci à vous, sergent Fontaine. Non seulement vous nous ramenez des précieuses informations, mais vous nous avez offert un exemple de courage à raconter à toutes les recrues.

Je les saluai, puis quittai le pont. J’errai le long de la coursive. Les Carcajous attendaient aux douches sans leur brouhaha habituel. Les mineurs discutaient à voix basse depuis leur dortoir, comme s’ils savaient que le moment était au recueillement. Je n’avais pas envie d’aller voir Héloïse. Autant je l’aimais, autant son chagrin me mettait face à mon apathie. Je terminai inexorablement ma course au hangar. Il ne restait que le mécanicien des Carcajous et celui des fusiliers qui faisaient le tour des transporteurs. Je les regardai dix secondes et la voix de la gynécienne de Rita me fit sursauter.

— Je peux aider ?

— Ça ira, lui répondit le fusilier.

La blonde tourna ses yeux bleus vers moi et me sourit :

— T’es une grande tarée.

— Merci. C’est ce que semble penser le lieutenant. Elle est encore fâchée.

— Elle vient de perdre deux de ses hommes, elle a à peine recoupé avec la commandante, donc ça la fout un peu en rogne qu’on vienne lui demander à quelle heure on mange.

— Ce n’était pas le sens de ma question. Je suis un peu formatée, je n’ai pas l’habitude de ne pas savoir ce qu’on va faire heure après heure. C’est juste pour être prête.

— Quand on a des potes qui y restent, c’est normal de vouloir s’occuper la tête, commenta le Carcajou.

Ce n’était pas mon réel ressenti, mais j’opinai pour ne pas qu’on pensât que j’étais insensible. La blonde conclut en s’éloignant.

— Bon, je vais m’occuper du F-10.

— Elke ? l’interpella le fusilier. T’auras besoin d’aide ?

— Je ne pense pas. Mais Héloïse aura sûrement besoin d’aide pour le F-11.

— Je vais lui filer un coup de main, déclarai-je. Vous devriez aller vous doucher et vous reposer.

Je rejoignis la blonde, regardai l’armure des cuisses criblées de mon Furet. Ça me pinçait autant le cœur de voir mon exosquelette esquinté que de savoir Héloïse meurtrie. Je restai donc avec Elke pour la regarder faire le check-up. Elle m’expliqua qu’elle aurait des pièces de rechange pour mon Furet s’il y avait des dégâts hydrauliques, mais qu’elle n’avait pas de carters pour les cuisses. Comme nous faisions route vers la Terre, plutôt que de raffistoler, elle suggérait qu’on attendît d’être débarqués pour remettre un coup de neuf.

La première soirée à bord fut calme et solennelle. Après dîner, les seuls éclats de voix qui nous parvenaient provenaient du dortoir des mineurs.

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