45. Ennui

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La journée du lendemain me parût longue, minée par la disparition de nos deux camarades, et l’absence d’exercices d’entraînement. Petit à petit les Carcajous Maudits se parlaient à nouveau comme avant. Les sobriquets et les grossièretés revenaient progressivement. J’aurais aimé qu’Horvath fût là pour l’entendre me charrier en m’appelant sergent. Malgré son accueil un peu obscène au spacioport, c’était finalement celui que je connaissais le mieux. Il était toujours prêt à la ramener, à plaisanter de tout. Il vivait à travers le regard de ceux qu’il faisait rire. C’était tout ce qu’il cherchait le premier jour, amuser ses camarades. Finalement, c’est peut-être Héloïse et moi qui sourions le plus souvent à ses blagues, et c’est ce qui nous avait rapprochés. Il était sans filtre, et du coup on en savait plus sur lui que sur le reste de nos camarades.

L’équipage qui nous avait accueillis était très différent de celui du Gulo Gulo. Rita était respectée, et depuis mon acte d’hardiesse, nous étions presque vénérées. Certains m’avaient surnommé Sergent Congelo.

Ce midi, j’étais assise avec Héloïse, Elke et Rita au mess lorsque l’Iroquois vint s’asseoir.

— Ça va les filles ?

— Horse me manque toujours, confia Héloïse.

— Je pense qu’il préfère être parti comme ça, qu’autrement.

— Tu veux dire en souffrant ? demanda Rita.

— Dans ma première affectation, j’ai un camarade qui est mort pendant sa permission, fauché en traversant la route.

— Ouais, ce n’est pas une mort de soldat, reconnut Elke.

— Ou y en a qui se suicident, glissa Héloïse. — L’Iroquois marqua un arrêt, déçu qu’Héloïse abordât le sujet. — Quoi ? On ne sait toujours pas ce qui s’est passé ? Personne ne nous a raconté.

— Parce que personne ne sait, soupira l’Iroquois. Horse pensait que des mecs de la marine avaient violé l’une d’elles, ou les deux.

— Des gars du Gulo Gulo ? questionnai-je.

— On ne le saura jamais. Ça fait partie de ces choses dans la vie dont on ne peut avoir la réponse. Aucune n’a laissé de message, et l’équipage du Gulo Gulo est éparpillé en débris orbitaux.

— Elles s’aimaient ? demanda Héloïse.

— Elles étaient très proches, comme vous deux.

Les yeux d’Héloïse tournèrent vers moi et sa main glissa dans mon dos. Elle demanda très sérieusement.

— T’as pas d’envie de suicide ?

— Non.

— Tant mieux !

Elle sourit en faisant descendre sa main sur ma cuisse. Rita face à moi esquissa un sourire. L’Iroquois lui dit :

— Trop s’attacher, ce n’est pas bon pour la guerre.

— On ne choisit pas, c’est humain, répliqua Héloïse. Moi j’ai toujours eu un coup de cafard quand j’étais dans l’armée de l’air, quand un pilote ne rentrait pas. Ça doit être une torture pour le lieutenant de laisser son bel Iroquois partir en mission.

— Je ne réponds pas à la provocation.

— Allez ! Raconte-nous comment c’est entre toi et la belle Alessia Conti !

— C’est entre moi et le lieutenant.

— De ce que je crois comprendre, tu lèches mieux qu’une fille, lâchai-je.

Le rire cristallin de Rita résonna dans le mess, l’Iroquois secoua la tête et son visage indiquait que nous allions trop loin. Je me levai de table en éludant :

— Allez, je dois me dégourdir les jambes.

— Moi, je suis curieuse, insista Héloïse.

L’Iroquois lui fit comprendre d’un regard qu’il ne dirait rien, mais elle resta assise. Elke et Rita me suivirent et nous longeâmes le couloir. Mon ancienne camarade interrogea :

— Comment tu sais ça ?

— J’ai eu le droit à quelques confidences. Il s’en passe des choses à bord.

— C’est clair ! A bord du Mustela Nivalis, c’est une véritable sitcom.

Son regard désigna Elke qui secoua la tête en soupirant. Mais Rita n’était pas du genre à taire ce qui l’amusait.

— Elke a eu une aventure avec Piotr. Ça a duré deux semaines et…

— Et c’est terminé, trancha Elke.

— Mais ça s’est bien terminé. Lors du début de mission, elle est tombée amoureuse du major Gautier. Ils se sont bécotés pendant une semaine. Première mission, il a eu la tête arrachée par un Homard. C’est Ludo, l’infirmier de bord qui l’a consolée. Il est devenu son confident et puis un jour, une engueulade terrible ! Le Mustela Nivalis a vibré de la proue à la poupe.

— Le lieutenant est un connard qui pense que les gynéciennes sont là pour doigter les pilotes et leur faire passer leurs envies nymphomanes durant le voyage. Et il a surtout insisté pour être présent pendant le check up de Rita en s’imaginant un plan à trois.

— Et puis y a eu Piotr, rappela Rita. Mais il est fiancé. Et Elke ne veut pas un homme juste pour le voyage, elle veut le grand amour.

Alors que nous entrions dans le hangar, Elke soupira :

— Tu comprends pourquoi nous ne sommes pas faites pour nous entendre.

En effet, Rita était loin d’être aussi fleur bleue. Je supposai qu’avec des semaines de confinements à bord d’un croiseur, il ne pouvait que naître ce genre d’histoires. Je marchai jusqu’à mon ESAO et levai le nez vers lui. Sur un soupir, je confiai à voix haute :

— Le voyage commence déjà à me paraître long. Qu’est-ce que je ne donnerai pas pour être dedans.

— Envie de sexe ? demanda Rita. Je peux…

— Pas avec toi.

— Avec Héloïse ?

— Non plus.

Je posai ma main sur la jambe d’acier du Furet et dis :

— C’est lui mon amant. Il fait tout ce que je lui demande et je sais qu’on ne se disputera jamais.

Rita éclata de rire. La voix d’Héloïse retentit depuis l’entrée du hangar :

— Interdit de faire des blagues quand je ne suis pas là !

— T’es déjà là ? s’étonna Rita.

— L’Iroquois est une vraie tombe. Ce n’est pas drôle !

Profitant que je gardais le dos tourné, elle posa son menton sur mes épaules en m’enlaçant :

— Ça te manque déjà ?

— Ça me manque toujours.

— Ça se comprend, confia Elke.

— T’en as déjà piloté un ?

— Toutes les gynéciennes en ont déjà piloté un, me dit Héloïse, une fois à la formation pour comprendre. En ensuite, si tu dois tester une selle, ou même juste en déplacer un, c’est plus facile que d’aller chercher une grue. Je pense que je serais une super pilote si on utilisait des ESAO pour autre chose que le combat. Je n’ai pas un cerveau aussi bien fait que le vôtre.

— Est-ce vraiment nous qui avons le cerveau bien fait ? questionna Rita. Allez, je vous laisse, les amoureuses. Elke, tu viens ?

Rita fit un clin d’œil en s’éloignant avec sa gynécienne. Une fois que la porte du hangar eu claqué, Héloïse m’embrassa sur la joue et demanda :

— Les amoureuses ?

— Elle parlait pour toi.

— Hmmm.

Son nez glissa sur ma nuque, puis elle déposa un baiser. Je protestai :

— S’il te plait.

— Je fais juste un câlin. Tu m’en veux encore pour le lieutenant ?

Je secouai la tête. Ses doigts longèrent mes bras pour trouver le dos de mes mains. Elle susurra.

— Ferme les yeux, et laisse-moi faire.

J’obéis, reposant les mains sur la jambe du Furet. Ses dents griffèrent ma nuque et ses mains passèrent sur mes hanches, puis sortirent mon t-shirt du pantalon. Ses doigts se faufilèrent sur ma peau et ses bras m’étreignirent. Héloïse resta une minute, figée dans une longue étreinte. Ses doigts effleuraient mes flancs, parfois mes seins et faisaient monter la température. C’était physiquement très agréable, cependant mes émotions restaient neutres. Je finis par me retourner et je me retrouvai face à son visage souriant. Je lui confiai, inquiète :

— Je ne veux pas que tu te fasses de fausses idées.

— Laisse-moi juste t’aimer, c’est tout ce que je veux.

Elle posa sa bouche sur mes lèvres puis se lova pour ne pas que je m’enfuisse. Je la laissai faire. Ses caresses sur ma nuque et dans le creux de mon dos étaient aussi douces qu’irrésistibles. Je me sentis obligée de lui rendre la pareille, même si ça m’ennuyait plus que tout. Elle murmura :

— Là, c’est tout ce que je veux.

Les caresses, c’était agréable et j’étais très attachée à elle, mais je ne ressentais aucune attirance. J’étais comme ma mère, pas faite pour en ressentir. Ni amour exacerbé, ni peine pour ceux qui restaient sur le champ de bataille. Etais-je normale ?

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