47. Cartes sur table

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Nous quittâmes la salle d’eau en même temps, fuyant les soupirs obscènes de Rita. Au fond du dortoir, le lieutenant Conti était seule, allongée et regardait le plafond. Je chuchotai à Héloïse :

— Ça va ?

— Ouais, je vais aller au hangar.

Elle me fit un clin d’œil, avec un grand sourire. Lorsqu’elle fut sortie, je me dis qu’il fallait discuter avant que notre duo ne s’effondrât. Je coiffai mes cheveux longs, ajustai mon béret, puis longeai l’étroit couloir en direction du hangar. Elke était toujours en train de travailler sur le Furet. Héloïse était penchée sur l’établi à lire le plan affiché sur la tablette. Nous pensant à bonne distance pour ne pas être entendues, je murmurai :

— Je suis désolée.

— Pourquoi ?

— Je crois que je ne peux pas t’apporter ce que tu recherches dans notre relation.

— Je sais. J’ai compris. Je crois que je confonds amitié et… Tu sais, j’aime bien notre relation. J’aime qui tu es, je ne veux pas que tu changes pour moi.

— Je ne me sens pas à l’aise de ne pas vivre notre relation aussi intensément que toi, je suis désolée.

— Non, non y a pas de lézard ! Je viens de comprendre quelque chose avec Rita. Tu sais, j’attendais pas non plus une relation comme une de celles qu’on a avec un garçon. Je sais que je m’emballe toujours, et j’étais bourrée quand Sadjia m’a léchée, et j’ai tellement kiffé que je me suis persuadée que j’étais lesbienne. Mais quand Rita a mis Muller et Beck au défi, je me suis dit : c’est trop ce que je voudrais oser faire ! Et je me suis rappelée que les garçons, c’est quand même ma came. Je ne dis pas que je ne trouve pas les filles intéressantes. Depuis que je suis gynécienne, j’ai complètement revu ma position sexe versus sentiment. J’ai sans doute confondu l’amour et l’admiration. Parce que je t’admire, c’est certain, mais on ne vivra jamais ensemble. Je veux dire en dehors de l’armée. Enfin je n’en sais rien, mais je ne crois pas. Ce qui me fait mouiller chez toi, c’est aussi le fait que tu sois une super pilote, et super jolie. Mais en vrai, je veux que notre relation reste comme ça. T’es ma pilote et moi je suis ta mécano.

— Tu peux respirer, souris-je.

— Désolée, quand je suis stressée…

Je m’adossai à l’établi à côté d’elle et conclus :

— Au moins, c’est clair.

— Je t’embrasserai plus. Pas que ça ne me plait pas, mais que ça n’aurait pas de sens.

Nous restâmes les yeux dans le vague. Elke se retourna même pour voir si nous étions parties. Le silence m’inquiétant un peu je lui dis :

— Mais tu es une as du massage.

Le sourire embellit son visage.

— C’est vrai ?

— T’étais à ça de me faire crier. Tu devrais essayer avec le lieutenant.

— C’est mort. Elle préfère l’Iroquois. C’était une expérience et ça la fout mal à l’aise d’avoir essayé.

Alors que Elke revenait vers l’établi, Héloïse s’assit au sol, et soupira :

— L’amour c’est compliqué.

Je m’assis à côté d’elle et m’adossai au pied de l’établi. Rita avança vers nous, grimaçant de douleur. Elle nous sourit néanmoins en arrivant et déclara :

— Je n’avais jamais essayé en sandwich. Mais je ne recommencerai pas.

— Ce n’était pas agréable ? s’étonna Héloïse.

— J’ai oublié que la sonde d’un ESAO n’a pas le même calibre qu’une bite. Même avec du savon plein l’anus, j’ai derrouillé. J’ai beau les avoir obligés à me lécher jusqu’à la limite de jouir, ça n’a pas été aussi fun que je l’imaginais.

Je souris pour simplement indiquer¨que j’avais entendu et Héloïse lâcha une bombe :

— Moi, ma première fois c’était par le cul. Mais j’ai adoré ça… Mais je crois que c’est aussi parce que j’étais amoureuse.

Rita grimaça en s’asseyant et resta en appui sur ses mains, indiqua à Elke de s’asseoir avec nous avant de demander :

— Allez, raconte-nous.

— Ben, c’était lors de ma première mission dans l’armée de l’air.

— Tu veux dire que tu ne l’avais jamais fait avant ?

— Non. Je suis tombée amoureuse qu’une fois, c’était au lycée. J’ai été amoureuse d’un mec pendant trois ans, je n’ai jamais osé lui dire. J’ai continué à l’aimer après ça, puis j’ai flirté avec un type à la base aérienne de Lille, là où j’ai fait mes classes, mais je ne me sentais pas toujours à l’aise avec lui. Bref, j’ai été affectée auprès de l’escadrille des Yodles.

— Sérieux ? s’étonna Elke.

— Ouais. Et je suis tombée sous le charme du chef d’escadrille, le beau capitaine des Yodles, l’unique : Enrique.

— Le prénom de charmeur, se moqua Rita.

— Je n’avais pas besoin de lui dire que je le kiffais, mais j’étais grave accroc. Il était beau, il était réputé. J’étais une novice dans la mécanique, les mecs refusaient que je touche à leurs appareils, mais pas lui. Il me faisait confiance. Il ne fallait pas trop qu’on s’affiche, mais il était OK et du coup, on l’a fait.

— Par derrière ?

— Ouais, derrière un Rafale 700. Il avait un fantasme un peu bizarre. Il voulait que je garde l’uniforme, et faire ça par derrière. Je bandais ma poitrine pour pas qu’on pense qu’il était avec une fille si jamais on se faisait choper.

— Ce n’est pas un fantasme bizarre, il était gay, rit Rita.

— Oh non ! nia Héloïse.

— Laisse-la raconter, s’agaça Elke.

— OK. N’omets aucun détail, souligna Rita.

— On s’est embrassés je ne sais pas combien de temps, il a juste descendu mon pantalon sous les fesses, ses mains m’ont caressée pendant des minutes entières. Et moi je tenais entre mes mains pour la première fois une bite. J’étais trop en feu. Après il est passé derrière il m’a mordillé la nuque et je me suis mise à genou et il a pris son temps. Il m’a préparée et lorsqu’il est entré, c’était… Wouuah ! Et puis c’était doublement wouah parce que c’était Enrique qui était en moi ! Enrique des Yodles !

L’émotion que transpirait Héloïse me fit sourire, mais je ne fis aucun commentaire. Elle ne vivait que dans l’émotion, et du coup, elle n’en avait retenu qu’un moment magique, alors que Rita avait sans doute raison sur la sexualité cachée du capitaine des Yodles. Elle insista :

— Et vous avez recommencé ? Je veux dire par l’entrée principale.

— Non. Il aimait trop par derrière.

— T’avais déjà les cheveux courts à l’époque ?

— Il n’était pas gay, insista Héloïse.

— Et il te demandait de cacher ta poitrine.

— Même s’il était gay. C’était puissant !

— Et qu’est-ce qui a mis fin à votre relation ? interrogea Elke.

— Il s’est fait exploser par une escadrille de Crustacés. On ne reste invaincu que tant qu’on est en vie.

— Ça a dû être dur pour toi, devinai-je.

— Ouais. Et c’est là que ça s’est dégradé et que j’ai dû faire une reconversion dans la gynétique.

— Du coup t’es pucelle de la chatte ? interrogea Rita.

— La langue ça ne compte pas ?

— Il t’a léchée ?

— Non. Ça c’était une fille.

— Mais comment t’es passée des mecs aux filles ? demanda Rita.

— Un peu d’alcool. Et puis la gynétique ça m’a intéressé à mon propre corps et à celui des filles. Mais c’est ce que je disais à Clarine, je crois que je garde une préférence pour les hommes. Il faut que je trouve le bon. Mais le cunni de Sadjia était tellement bon que je me suis dit : c’est pour ça que je suis faite.

Elke pouffa de rire. Rita rebondit en s’adressant à moi :

— OK. A toi, raconte-nous ton premier.

— Pourquoi moi ?

— Ben Elke, je connais tout son palmarès.

— Toi d’abord.

— OK. Il s’appelait David, j’avais quinze ans, et lui dix-huit. Et on a fait ça après la soirée de fin de seconde. Classique, pas très mémorable. Après y en a eu d’autres.

— Et ta première fille ?

— Au service militaire. Y avait dans la piaule d’à côté une fille un peu garçon avec le tatouage sur… — Je levai un sourcil d’incrédulité. — Quoi ? elle avait un charme fou.

— Elle faisait tout le temps la gueule.

— Ouais, mais la première fois qu’elle m’a vue à poil, j’ai tout suite vu qu’elle me kiffait. Ça m’a fait de ces frissons. Je me suis dit, ça c'est un défi ! Comme ta grande copine Mako. Elle faisait une fixation sur sa petite poitrine, du coup, elle voulait trop toucher la qualité. Je n’ai jamais pris autant mon pied avec des garçons, qu’avec des filles. Mais les deux ont un côté intéressant. Allez, à toi. Ton premier mec ou ta première gonzesse ?

— Je n’en ai jamais eu.

— Allez, c’est ça !

— Non.

— Allez !

— Je te l’ai déjà dit à l’époque.

— Ouais mais je n’y crois pas. T’es mignonne. Ce mec à qui t’as mis un râteau, ce n’était pas possible que ce soit le premier, pas avec ta jolie gueule.

— Et ben si.

— Même pas une expérience ?

— Ça ne m’intéresse pas. C’est quelque chose qui ne me fait pas du tout envie. Et puis ça ne sert à rien. J’arrive très bien à me donner du plaisir avec mes doigts, pourquoi j’irai mettre ceux d’un ou d’une autre. Et encore moins une langue.

— Donc Héloïse t’a mis ton premier coup de langue ?

— Ben ouais. Et mon premier doigt dans le cul si on compte mon baptême d’ESAO.

— Et avant l’ESAO, t’avais jamais dans ta…

— Non.

— Donc quand t’es montée sur le simulateur, t’étais vierge.

— Je le suis toujours. Je m’étais préparée si c’est le sens de ta remarque.

Elle pointa Héloïse et moi de l’index :

— J’ai face à moi les deux seules pucelles de l’armée européenne.

— Parce qu’Enrique, ça ne compte pas ? chouina Héloïse.

— C’est un peu réducteur de réduire la virginité à une pénétration vaginale, acquiesça Elke.

— Si c’est le cas, je considère que l’ESAO ça compte, déclarai-je Et pour le moment, c’est une relation stable. Peut-être mon Furet sera-t-il mon unique prince charmant.

— C’est romantique, se moqua Rita.

— Techniquement, si on compte le simulateur, c’est le second.

— Mais ce n’est pas pareil, ce n’était pas par amour, ris-je. C’était le coup d’une fois.

Elles rirent, puis Rita me demanda :

— Et tu t’es préparée comment ?

J’hésitai à répondre, puis sentant que les confidences nous rapprochaient les unes les autres, je confiai en rougissant un peu :

— Avec une carotte.

— Et toi ? demanda Rita à Héloïse.

— Avec un transmetteur, répondit ma gynécienne avec un ton détaché.

Notre discussion se poursuivit, sans aucun tabou. Durant le service militaire, nous avions toujours abordé les choses sur l’humour, éludé ce qui nous dérangeait. C’était la première fois que je me confiais à livre ouvert face à d’autres livres ouverts. Celle à qui cette discussion profita le plus fut Rita. Elle voyait sa sexualité comme une norme face à laquelle la société se mettait des œillères. Au fil de la discussion franche et sans filtre, elle se rendit compte que nous étions toutes les quatre très différentes, et qu’il y avait autant de perception de la sexualité qu’il existait d’individu dans la galaxie. Elke était une romantique patiente, à la recherche de l’homme idéal. Malgré ses déceptions, elle espérait qu’un jour ou l’autre, il viendrait à elle. Cet idéal pouvait être en chaque homme. Héloïse reconnut qu’elle abordait tout avec exubérance. Ses coups de foudre étaient violents, et elle interprétait le moindre signe en sa faveur, alors qu’elle était principalement attirée par les leaders. Rita quant à elle voulait profiter de la vie. En tant que soldat, elle savait que chaque instant pouvait être écourté. Elle n’avait que vingt ans, et elle ne voulait surtout pas s’attacher à quelqu’un, mais juste prendre du bon temps, surtout après une mission tendue. C’est ce qui la faisait décompresser. Le corps humain ne m’attirait pas, le sentiment amoureux m’était inconnu, mais dans cette discussion je devenais l’une d’elles, une variante comme une autre.

Après ce jour, ni Rita ni Héloïse n’essayèrent de me convertir à une sexualité qui n’était pas la mienne. Je pus prendre mes douches seule et en toute sérénité.

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