48. Eloges

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Enfin, nous étions en orbite terrestre. Les mineurs avaient été les premiers à être débarqués, et nous prenions place dans la navette de retour, avant l’équipage. Le sac une fois rangé dans le rack central, je m’assis à côté d’Héloïse, dos à la cloison. L’équipage de la marine partirait avec une autre navette. En revanche, Rita était assise face à nous à côté de sa gynécienne. Elle provoquait Beck d’un regard enflammé en passant la pointe de sa langue sur sa bouche. Je fermai le harnais. Il y avait une humeur légère à bord, et ce même si nous rentrions sans deux des nôtres.

Le lieutenant Conti se tira délicatement en impesanteur et se plaça à hauteur du cockpit. La navette se décrocha du Mustela Nivalis et dériva lentement vers la planète bleue.

— Gardez la tête haute, même avec la perte du Gulo Gulo, nous avons tué plus de vermine qu’ils n’ont réussi à tuer des nôtres. Avec les informations remontées par Fontaine, on devrait même jouir d’un beau spectacle à notre prochaine mission. Nous redécollerons rapidement, les permissions seront courtes, et accordées spécifiquement par les Régiments. N’espérez pas faire le tour du monde. Dès qu’on peut, on part les bombarder.

Conti s’assit et s’attacha. Le poing de Beck, à ma droite, frotta mon épaule.

— Grace à toi, sergent Congélo !

La navette plongea dans l’atmosphère, Héloïse m’écrasa contre Beck. Le cockpit s’enflamma quelques secondes et deux heures plus tard, les gratte-ciels de Luxembourg se découpaient les uns derrière les autres pour quiconque se penchait pour voir par le cockpit. Pas un nuage ne venait perturber le soleil dans son jeu d’éclats sur les tours de verre.

La navette déploya ses trains puis se posa sur la piste du spacioport. Son atterrissage fut d’une douceur inattendue. Et après cinq minutes d’errance sur la piste, elle s’arrêta. Conti se détacha et se leva, et chacun attendit son signal pour l’imiter. Elle s’entretint quelques secondes dans la cabine de pilotage. Lorsqu’elle revint elle déclara avant d’ouvrir la porte :

— Les femmes d’abord.

Nous nous levâmes toutes les quatre dans un brouhaha de protestations. Nous récupérâmes nos sacs.

— C’est quoi ce sexisme archaïque !

— Vos gueules ! — Ils obéirent. — Leur bus est dans quinze minutes. Vous devriez les applaudir pour ce qu’elles ont fait.

Un ban retentit dans l’habitacle. Rita se faufila avec sa gynécienne par l’écoutille et descendirent le petit marchepied télescopique sous le soleil. Je saluai mes camarades de la main. Héloïse leur envoya des baisers du bout des doigts. D’un regard je remerciai le lieutenant et je sautai les dernières marches à pieds joints. Le soleil de juillet pesait lourdement sur la piste, tranchant avec la température mitigée maintenue à bord des vaisseaux. Je plissai les yeux. Rita et sa partenaire attendirent Héloïse avec moi. Quand elle nous rejoignit, nous nous éloignâmes ensemble. Héloïse me dit :

— Conti m’a félicitée pour mon courage.

— Tu le mérites, dis-je. T’es allée au combat juste avec ton fusil.

— Ouais ! Je peux dire que ça n’a rien à voir avec les entraînements.

Je regardai le ciel bleu, profitai de cette chaleur brûlante sur mon visage. Après tant de jours enfermée dans le vaisseau, j’avais l’impression de respirer, comme si j’avais été en apnée durant vingt jours.

— On n’est pas partie longtemps, dis-je. Et pourtant, ça fait du bien.

— C’était le voyage le moins long de l’histoire de la marine spatiale, rit Héloïse.

— Pas pour nous, rappela la gynécienne blonde.

Nous arrivâmes au bâtiment, sous le regard de civils. Héloïse s’exclama en voyant un stand de babioles.

— Hey ! J’ai besoin de lunettes ! Qui en veut aussi ?

Elle se précipita puis me tendit une paire de Ray-Ban vintage.

— Des lunettes d’aviateurs. Tu vas avoir la classe. Faut protéger tes beaux yeux bleus.

Je les chaussai et me regardai dans le miroir. Rita refusa de deux mains levées la paire que lui tendait Héloïse, alors Elke accepta le cadeau. Héloïse paya les lunettes, puis nous repartîmes vers la sortie du terminal. Dans le hall principal certains mineurs étaient encore présents, interviewés par la presse.

— Les journaleux, vaut mieux qu’on s’éclipse, commenta Héloïse.

Nous longeâmes la baie vitrée jusqu’à l’extérieur, puis gagnâmes notre arrêt, auquel le bus venait tout juste de s’arrêter. J’aurais bien marché sous le soleil encore une bonne heure, mais le Régiment était trop loin pour ça.

Le bus referma ses portes et décolla alors que nous étions presque seules à l’intérieur.

— J’espère qu’on s’entraînera avec les nouvelles recrues. J’ai hâte de revoir les nouvelles minettes du Régiment ! s’exclama Rita

— Dis la bouche qui a tété plus de bites que de clitoris durant le vol, clasha Héloïse.

— Je n’ai sucé personne. Et j’insiste sur le fait que je préfère la compagnie des filles. Les mecs, j’ai plus de mal sur les sujets des discussions. Surtout que depuis que la guerre a éclaté, on dirait qu’il y a une course à une virilité perdue. Y a beaucoup de fun avec les mecs, et avec les nanas, c’est plus fusionnel.

— La virilité des mecs, c’est clair que dans l’armée, c’est un truc de fou, souligna Héloïse.

— Il redevient l’homme d’un autre siècle, opina Elke.

Lorsque le bus arriva au régiment, interprétant nos rictus pour du doute, Rita continuait à rationnaliser sa bisexualité assumée. Elle ne comprenait pas qu’on voulût à tout prix la classer dans une orientation particulière.

— Clarine n’aime ni les femmes, ni les hommes, on ne lui dit rien.

— Mais nous ne t’avons rien reproché, soulignai-je en me levant.

Je descendis du bus en première. Revoir ces murs me fit une petite émotion, et lorsque nous entrâmes dans le hall, ce fut le visage méprisant du major Barkle que je vis en premier. Heureusement, elle s’éloigna après nous avoir aperçues. Le colonel Orinta Paksas ne tarda pas à arriver et lâcha d’une voix forte :

— Sergent Fontaine. Vous m’impressionnez davantage que je ne l’espérais. Vous nous quittez après vingt jours de formation et vous revenez vingt jours plus tard avec le grade de sergent.

Je déchaussai mes lunettes de soleil et la saluai avant de me défendre :

— C’est une requête du lieutenant Conti, me défendis-je.

— Requête que j’ai appuyée personnellement. Si j’avais supervisé cette mission, j’aurais eu envie de vous étrangler, parce que nous aurions pu perdre à la fois un ESAO et une pilote compétente. Donc, ne le refaites jamais.

— A vos ordres, mon colonel.

— Vous auriez dû rouvrir la porte aux fusiliers, et ils auraient fait largement le travail, à moindre risque.

— Oui, mon colonel.

— En revanche, votre courage dans le bunker mérite notre reconnaissance. Vous récupérerez vos galons au magasin, je vous invite à passer à la cantine sitôt après, vous y retrouverez vos anciennes camarades, elles devraient avoir terminé leur exercice. Vous aurez quartier libre toute la journée. Demain, à huit heures, vous reprendrez l’entraînement en attendant votre nouvelle affectation. De ce que je crois savoir, c’est l’affaire de quelques jours.

— Bien, mon colonel.

— En tout cas, votre baptême de feu m’a été d’une lecture agréable. Si nous pouvions transposer votre gestion du stress à toutes les recrues, nous perdrions moins d’ESAO sur le terrain. J’espère que vous vous rendez compte de vos facilités.

— Pas vraiment mon colonel.

— Et vous, caporal Perugini, vos impressions sur votre premier déploiement ?

— L’équipage du Mustela Nivalis m’a bien accueillie, répondit Rita.

— J’ai entendu dire que vous aviez commencé par un petit combat en EVA qui a fait l’honneur de notre régiment. — Rita sourit, assez fière. — Le pilotage a été d’autant plus facile après ?

— Oui, mon colonel. Et les relations humaines aussi.

— Je lis sur votre visage l’expérience de ces quelques mois. Vous voyez, c’est le regard des autres qui change nos propres perceptions de nous-mêmes. Et vous, caporal Krabbe, votre nouvelle pilote ?

— Ça m’a fait bizarre de n’avoir qu’une seule pilote, mais ça s’est bien passé. J’ai plus travaillé sur la maintenance de bord que sur la Lionne, malgré les réparations qu’il y a eu à faire.

— En tout cas, l’espionnage, c’est super intéressant, ajouta Rita.

— Les Crustacés sont pleins de surprises, acquiesça Paksas.

— Pas que les Crustacés ! rit Rita en me regarda.

— C’est-à-dire.

— Clarine dans un ESAO !

Orinta Paksas fronça les sourcils et fouilla sa mémoire :

— Vous venez de la même école militaire.

— Tout à fait.

— Et bien quand vous reprendrez les entraînements, je vous invite à vous inspirer d’elle. Et vous caporal ? Cette première opération dans l’armée de terre ?

— Ça m’a fait revivre des souvenirs, confia Héloïse. Je ne m’attendais pas à ce que le lieutenant Conti m’envoie sur le terrain. Je pensais aider depuis le pont, mais, visiblement, elle préférait que je participe. Mais je suis encore là, donc, c’était une bonne expérience.

Orinta Paksas nous regarda une dernière fois toutes les quatre.

— Bon retour sur Terre.

Elle s’éloigna, et alors que je commençai à avancer vers le magasin, Rita m’emboîta le pas pour me charrier :

— Je dois m’inspirer de toi ?

— Inspirer, pas aspirer, souligna Elke.

Je ne répondis pas. Je ne me sentais en rien exceptionnelle. Même si j’avais des facilités à gérer le stress par rapport à d’autres, j’en éprouvais tout autant la difficulté. Le robot-poulpe derrière la grille du magasin souffla dans notre direction, alors je me présentai.

— Sergent Clarine Fontaine.

Ses deux tentacules saisirent une boîte en aluminium, et la glissèrent sous la grille du comptoir. Lorsque je l’ouvris, j’y trouvai un nouveau costume pour les cérémonies. J’ouvris mon sac et retournai l’ancien que je n’avais pas porté une seule fois. Je troquai les patches de galons première classe pour ceux de sergent. Cette ascension me laissait malgré tout mal à l’aise vis-à-vis de mes camarades, toutes trois caporales, pourtant toutes trois plus expérimentées que moi. Même Rita avait sans doute plus de Crustacés à son tableau de chasse.

— Tu ne l’accroches pas ? questionna Héloïse.

— Si, si.

Je le posai sur ma manche de t-shirt.

— Cache ta joie, me dit Héloïse.

— Je n’ai pas envie de foutre les boules à Rita.

— Je ne suis pas allé buter des Crevettes la limace à l’air, répliqua Rita.

— La reine de la poésie, soupira Elke.

— Si la colonel a accepté, supposa Héloïse, c’est qu’on va te demander de diriger une équipe en même temps que tu pilotes. Je pense que tu en es capable.

— À table, soupirai-je.

— Vous ne trouvez pas ça trop bien de revenir ici après avoir été en mission ? demanda Rita en m’emboîtant le pas. C’est comme revenir dans son école en héroïne.

N’en étant pas partie plusieurs mois, je ne sentais pas cette sensation. Même s’il s’était passé plein de chose, que j’avais vécu avec d’autres personne et adopté un autre rythme, je me sentais encore membre du groupe de filles avec qui j’avais commencé la formation. Comme Paksas nous l’avait dit, elles étaient là avec Peter. Sadjia nous aperçut et lâcha un cri suraigu. Toutes les filles se retournèrent puis se levèrent. Nous nous étreignîmes brièvement. Kirsten me toisa d’un regard moqueur :

— Sergent ? Toujours aussi suce-moule, la Teigne ?

— Quoi ? Répliquai-je. Toujours là ? Je pensais que t’aurais abandonné.

Elle eut un rictus amical. J’esquivai les yeux pétillants de Mercedes. Je notai qu’Héloïse cherchait le regard de Sadjia, sans nul doute dans l’espoir de revivre l’expérience de la soirée d’adieux. Une fois que Rita et Elke furent présentées, nous pûmes aller nous servir aux îlots de présentation. La seule chose qui me manquait à bord des destroyers : les aliments frits. L’odeur seule fit vibrer mon estomac à travers tout mon corps et saliver ma bouche comme jamais. Je remplis mon assiette de frites et je rejoignis mes camarades.

— Mademoiselle Frite est de retour, sourit Caitlin.

— C’est clair, se moqua Rita. Ça a dû te manquer à bord ?

Héloïse ne s’assit pas et nous interrompit :

— Vous voulez savoir pourquoi Clarine est sergent ?

— Non, soupirai-je.

— Tout le monde autour de cette table t’a déjà vue à poil.

— Pas moi, indiqua Peter.

Héloïse posa son smart-data et mis en marche la vidéo.

— T’as le droit d’avoir une vidéo de mission sur ton smart-data ? demanda Mercedes.

— C’est un souvenir, vous ne direz rien.

Elles me virent descendre de l’ESAO et s’exclamèrent lorsque je m’éloignai avec le fusil. Je dus alors narrer ce qui s’était passé par la suite.

Cela faisait plaisir de retrouver les filles. Peter restait un peu en retrait Caitlin nous raconta leurs entraînements, notamment le premier module déplacement en impesanteur que j’avais manqué.

Quand ce fut l’heure de repartir en entraînement pour elles, nous nous levâmes de table également. Mercedes me retint un peu en arrière en ralentissant le pas et me confia :

— Ça fait plaisir de te revoir.

— Ne me fais pas de déclaration, s’il te plaît.

Elle s’arrêta lorsque nous fûmes hors du réfectoire. Les autres continuèrent à s’éloigner en parlant et elle planta ses yeux dans les miens :

— Je pense à toi tout le temps. Je bats des records avec mon ESAO juste en pensant à toi.

— Ecoute, je ne sais pas pourquoi je te plais. Mais moi, ni les filles, ni les garçons ne m’attirent.

Mercedes baissa les yeux, confuse, et cela me choqua de voir cette fille si forte être gênée par mon refus. Je lui dis :

— Ce n’est pas après toi.

— Je sais.

Elle s’éloigna sur un sourire. Un pincement au cœur me cloua sur place. Peter, resté en retrait me demanda :

— Ça va ?

— J’ai l’impression d’être un personnage de film d’action qui se retrouve dans une sitcom à l’eau de rose. Je dois émettre une hormone qui attire les filles.

— Et pas les hommes ?

— Ça t’en fait à toi ?

— T’es pas mon genre.

— Merci Peter.

— C’est la première fois qu’une fille sourit quand je le lui dis.

— Tu devrais les rejoindre.

Il opina du menton et s’éloigna. Au moins, j’avais remis la barrière avec chacune, et ça me mettait plus à l’aise. Je longeai le couloir, Rita et Elke discutaient, visiblement énervées. Héloïse semblait vouloir les apaiser. Je les questionnai :

— Que se passe-t-il ?

— On devait avoir deux semaines de permission, expliqua Rita en brandissant son smart-data. Ils viennent de la suspendre.

— C’est qu’une suspension en attendant la décision de l’Etat Major, précisa Héloïse.

— Ça veut dire qu’on va repartir en mission, dit Elke. Le lieutenant Conti avait raison, avec les infos qu’on a, on va lancer une grande offensive.

— Le temps de l’organiser, vous l’aurez, votre permission, insista Héloïse.

— On va où ? demandai-je. Vous faites un tour en ville ?

— Allez ! Au bar ! lança Héloïse.

Nous rentrâmes tard, et plutôt ivres. Rita, Héloïse et Elke avaient un gros besoin de décompresser, et je les avais suivies sans trop faire attention. À pas feutrés, nous avions gagné le dortoir aux parfums de soldates ensommeillées. J’avais repris mon lit au-dessus de celui de Mercedes, comme s’il ne s’était passé que vingt-quatre heures depuis mon dernier départ.

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