61. Folie ultime

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La prise à revers depuis les hauteurs de l’esplanade fut efficace. Les Carcajous envoyaient missiles sur missiles sur l’ennemi pris en étau. Les Lionnes étaient en difficulté avec le monstre véloce. Dans les airs, un Défonceur ne lâchait pas le cul d’un transporteur. Les salves lumineuses ne cessaient. C’était le matricule de mon père. Angoissée, je voulus armer un missile avant de me rappeler que j’étais à sec. Mon canon à plasma était opérationnel. Même si j’étais au sol, je pouvais avoir un dernier orgasme, un dernier pour sauver mon père.

— Papa, c’est Clarine ! TBK12. Tiens bon et passe au-dessus de moi à mon signal.

— Reçu ma chérie !

Je mis en marche mes sondes, et la roulette sur mon clitoris. Sur les premiers secondes, l’angoisse m’empêcha de savourer toutes sensations. J’activai la succion de mes tétons, ralentis les sondes pour trouver de la douceur et je me mis à penser à Héloïse. Le plaisir remonta, mécaniquement. J’avais envie de faire voler en éclat ce Défonceur, sauver mon père. Je voulais qu’il racontât partout, même si je mourrais que je lui avais sauvé la vie. Je pouvais presque l’entendre déconner malgré l’amertume en disant que sa fille avait joui pour lui.

— Vas-y papa ! Quand tu veux !

Son transporteur fit une vrille, puis se réorienta dans ma direction. Le Défonceur se plaça sur sa trajectoire. Je ne pouvais pas à attendre qu’ils fussent sur moi. J’accélérai la roulette, bandai volontairement mes muscles, et libérai mon plaisir. Deux secondes, deux secondes pour un dernier tir ! Mon baroud d’honneur !

Le Défonceur vola en éclat.

— Merci ma fille ! lança mon père.

— De rien, haletai-je.

— On a un ESAO démembré à terre, la pilote est en vie ! Demande permission de la remonter à bord.

— Négatif, répondit la voix du colonel. On essuie trop de tirs ! On rapatriera les blessés plus tard.

— OPL17 a buté le monstre !

L’exploit de Rita me soulagea. Mais je vis bien sur les affichages en réalité augmentée que Rita ne bougeait plus.

— Félicitations, ma Belle, dis-je.

Pas de réponse. Je serrai les dents. La rage montait en moi. Les combats ne cessaient pas, violents, interrompus. Les Humains commencèrent à avoir l’avantage, mais je notais bien qu’il y’ avait plus beaucoup de Carcajous de mobiles. Mourat, Beck, Muller et l’Iroquois étaient les seuls encore actifs.

— Ils sont en train de faire barrière, indiqua Conti. Vous allez vous faire encercler ! Dégagez !

Je voyais comment les derniers Carcajous étaient en train de se retrancher les uns vers les autres. Je ne voulais pas voir les derniers mourir. Sur ma gauche, des Crevettes décapitaient les cadavres de ceux qui étaient tombés, pour s’assurer de leur décès, puis elles dépouillaient les armes et munitions. Si elles arrivaient sur moi, j’étais fichue. Je lançai l’éjection. Le blindage ventral vola dans les airs et retomba juste à côté du Furet. Je débranchai ma poitrine, mon pelvis puis m’extirpai des sondes. Je roulai entre les cuisses morcelées de mon Furet. Je sortis le fusil et coiffai le casque. Je me relevai comme à l’entraînement et ouvris le feu sur les Crevettes. Elles tombèrent, balayées sous le coup de la surprise.

Je m’élançai, nue, juste protégée par mon casque en direction de l’esplanade. Arrivée en haut, je m’accroupis et j’avançai à quatre pattes pour observer le cercle que formaient les Crustacés vers mes amis. Je me laissai glisser sur les marches vers un bazooka. Je l’épaulai, et ouvris le feu. Une dizaine de Homards volèrent. Je plongeai aussitôt pour ne pas être aperçue des autres. Ceux qui se tournèrent furent reprit à la volée par les Carcajous. Mes camarades reprirent l’ascendant et les Homards battirent en retraite. Je vis des Crevettes galoper vers moi. Je sortis avant qu’elles n’arrivassent vers moi, ouvris le feu, et me cachai à nouveau sur les marches. Je rampai à distance, me relevai Il en restait deux. Je les flinguai, ramassai le chargeur près du corps d’un des miens, et réarmai mon fusil. À grandes enjambées, m’écorchant les pieds sur le sol jonché de bris de carapaces et d’armures humaines. Je rejoignis Mourat.

— Putain ! Qu’est-ce que tu fous à poil ? !

— Ils allaient me massacrer !

— Putain ! Mais t’es à poil !

— Ça ne m’empêche pas de tirer !

Il m’entraîna et nous nous accroupîmes derrière un tronc calciné.

— T’es vraiment une tête brûlée !

— Je sais !

— On converge vers le pont d’accès. Tu restes à côté de moi !

— À vos ordres !

Il fit signe à ses hommes, et ils repartirent aussitôt. Nos progressâmes, tuant un à un les Homards et les Crevettes esseulées par la panique. L’une d’elle, tapie derrière le corps d’un des siens bondit sur moi. Je bloquai ses bras. Un coup de griffe frappa mon flanc. Je la repoussai du fusil et mes balles lui éclatèrent la tête.

Je poursuivis, suivant les équipiers, de cadavre en cadavre, de stèle en stèle, jusqu’à être à portée du groupe qui attaquait les dernières résistances à l’entrée de la pyramide. Notre arrivée par le côté nous permit de faire un carton. Beck me redonna des munitions. J’armai tout en poursuivant le déplacement vers le pont, abrité par le groupe. C’est seulement en épaulant à nouveaux que je vis les jambes d’une Lionne, en appui contre la créature. Le bassin de sa pilote était toujours emprisonné dans sa coque pelvienne et sa colonne vertébrale pendait en dehors du bassin avec ses viscères. J’eus un haut le cœur. Mourat me poussa sur le pont et je vis alors le buste de Rita au pied de l’ESAO. Il n’en restait que la tête et les seins, les yeux grands ouverts, la bouche rouge.

Honnêtement, la bataille sur le pont qui nous assura l’accès au commandement des Crustacés fut longue, mais je n’en vis rien. Je me souviens des premières minutes, d’avoir tiré, d’avoir vidé mon chargeur, mais les heures qui suivirent furent comme un rêve, abstraites, jusqu’à ce Mourat posât la couverture de survie sur mes épaules et me soulevât dans ses bras.

Couvert de salissure, de sucs extraterrestres, claudiquant, il marcha jusqu’aux transporteurs qui chargeaient les blessés. Nous entrâmes dans la tente des urgences montés au pied. Il grogna d’une voix calme mais dont l’autorité de laissait pas la place à la contestation :

— Que quelqu’un s’occupe d’elle. Elle est blessée.

— Allongez-la, répondit un infirmier en combinaison de combat.

Presque hésitant à se séparer de moi, Mourat me déposa sur la civière comme si j’étais une poupée de porcelaine. L’homme ouvrit ma cape dorée, passa ses doigts sur les plaies laissées par la griffure, puis apposa une compresse qu’il fixa aussitôt. Il referma le drap, ensuite passa son scanner devant mon visage. Un bip indiqua la température élevée de mon corps. Il se saisit dans la foulée d’un pistolet médical et me le plaqua sur la cuisse. Le pincement fut douloureux, mais mon corps ne réagit pas. Je ne voyais que Rita, comme si on me l’avait imprimé sur les lentilles de contact.

— On la met avec le prochain départ.

Mourat lui répondit par un grognement affirmatif, me dévisagea et me dit :

— À tout à l’heure, sergent.

Il quitta la zone de soin, et deux femmes soulevèrent ma civière au signe du médecin. Je fus emmenée dehors, puis dans le transporteur. Les civières étaient alignées, maintenues dans supports du rack central. On me plaça un côté d’un soldat qui avait la jambe arrachée, puis on me ceintura sur ma couche. Dix minutes plus tard, le transporteur s’éleva. J’avais envie de dormir, mais mes yeux ne le voulaient pas. La projection en réalité augmentée de la position de chacun défilait en permanence.

Après un voyage agité par quelques turbulences aériennes, la pesanteur me surprit, réactivant la douleur de ma plaie. Puis le transporteur stationna à bord du Lycaon-Pictus. Nous attendîmes que la pressurisation soit complète, puis étant dans les dernières embarquées, je fus dans les premières à être débarquées. Un infirmier en scaphandre demanda :

— Vous pouvez marcher ?

J’opinai du menton et descendus, pieds nus et meurtris sur le sol métallique glacé. Il me désigna le couloir de l’infirmerie en posant une main sur mes épaules. J’avançais, tremblante, anormalement frigorifiée et brûlante à la fois. Nous passâmes un premier sas, puis entrâmes dans les couloirs de quarantaine. Nous passâmes un second sas vitré pour entrer ans une pièce avec une simple couchette et un siège de toilette, aussi peu intimiste qu’une cellule de prison. Il articula :

— On s’occupe de des cas graves et on revient vers vous.

J’opinai du menton restant drapée plus par pudeur que par froid. Il ferma la porte vitrée et s’éloigna.

Deux minutes plus tard, Héloïse déboula dans le couloir et s’arrêta à la vitre de la porte d’accès opposée donnant sur le couloir hors quarantaine, l’air submergée par ses émotions, au point qu’il m’était impossible, si c’était de la panique, du soulagement, de la joie ou de la tristesse.

— Ça va mon amour ?

Je levai des sourcils étonnés et plaisantai en m’approchant de la vite.

— Je ne suis plus ton lieutenant ?

Elle posa son front sur la vitre.

— Je suis tellement content que tu sois en vie.

— Moi aussi.

— Je me suis pissée dessus quand t’as été mise en pièce.

Je portai mon regard vers son treillis. Elle rit

— Je me suis changée.

— Tu t’es vraiment…

— Si tu savais combien j’ai envie de te serrer dans les bras.

— Ben viens.

Elle secoua la tête et renifla un fil de morve avant qu’il ne sortît de sa narine.

— T’es en quarantaine. Ce n’est pas une planète abiotique.

— Ah…

— Tiens bon, mon amour.

Elle embrassa la vitre. Je ne savais pas si je devais être gênée ou émue de ce sobriquet. Héloïse resta derrière la vitre, calma ses sanglots et refit le parcours avec moi de ce qui venait de se passer.

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