Mes yeux rouges brillent dans l'obscurité de ma chambre. Aujourd'hui est le grand jour. Je sors de mon cercueil et ôte ma chemise de nuit sombre pour revêtir une robe couleur de jais me tombant jusqu'aux genoux. Je m'installe ensuite face à ma coiffeuse pour démêler et ramasser mes cheveux en une queue de cheval haute. Heureusement que, grâce au sang humain qui coule dans mes veines, je peux voir mon reflet dans la glace et ainsi m'assurer que mon apparence reste toujours correcte.

Je finis tout juste de les attacher à l'aide d'un ruban noir lorsque l'on toque à ma porte. Je reconnais ces petits coups donnés sur le bas du bois. Je dis donc :

- Entre !

La porte s'ouvre et une main au teint aussi pâle que le mien et recouverte de cicatrices fait son entrée, marchant sur le bout de ses doigts. Un plateau en or repose sur son dos. Il soutient un verre contenant un liquide vermeille. Je m'en empare en adressant à la créature ce simple mot :

- Merci.

Je bois ensuite le contenu du récipient d'une traite. Rien de mieux pour commencer la journée qu'un bon verre de sang frais.

Lamain repart en sens inverse afin de ranger le plateau en or à sa place. Nous n'avons pas d'argenterie. Cela tuerait maman et me provoquerait de graves réactions allergiques.

Je quitte à mon tour ma chambre afin de me rendre dans la salle de bain pour laver soigneusement mes dents. Il ne faudrait pas qu'il reste des traces de sang dessus. Elles gâteraient leur blancheur. J'aime cette couleur parce qu'elle me rappelle celle que prennent les gens une fois qu'ils sont morts. La mort. Quel doux mot, empli de promesses et de poésie.

Je lâche un soupir et descends les escaliers pour me rendre dans le salon où mes parents sont assis côte-à-côte. Maman me dit dans un sourire plein de fierté, sans cesser de caresser d'une main sa plante carnivore préférée :

- Horror. . . Aujourd'hui est un jour spécial pour toi.

- Je sais. Je vais enfin commencer à chasser par moi-même et lorsque j'aurai fait une victime, je deviendrai enfin une véritable femme.

- C'est exact, confirme papa. C'est l'étape la plus importante dans l'existence de chaque jeune vampire. Tu as fêté tes 160 ans la veille. Il est donc grand temps pour toi d'entrer dans le monde des adultes en menant tes propres chasses.

Il parle comme un connaisseur alors qu'il est totalement humain, mais il a étudié les créatures du diable, comme tout sorcier qui se respecte. Il poursuit :

- T'infiltrer au sein d'une de leurs écoles en te faisant passer pour l'une des leurs est pour toi la meilleure façon d'approcher facilement tes cibles et de chasser sans être suspectée. Reste cependant prudente, car même si les êtres humains qui croient en l'existence des créatures "surnaturelles" sont désormais une minorité, cela ne les empêchera pas de te suspecter de meurtre si jamais tu leur laisses des raisons de penser que tu es responsable de toutes ces morts que tu t'apprêtes à engendrer.

- Ne t'en fais pas, lui dis-je de mon habituelle voix calme et posée. J'ai bien étudié les êtres humains et je connais par coeur tout ce que tu m'as révélé sur eux, sans compter que je suis à moitié humaine grâce à toi. Je partage donc un certain nombre de points communs avec mes futures victimes.

- Sers-t'en à ton avantage, me recommande maman en caressant mes cheveux du bout de ses griffes. Tu es une fille intelligente. Je sais que tu peux le faire.

- J'ai moi aussi confiance en mes capacités. Je reviendrai bientôt avec le repas de ce soir.

Je tourne les talons pour faire face à notre domestique sur doigts, qui me tend mon sac. Je m'en empare et lui ordonne :

- Apporte-moi aussi mon ombrelle. Le soleil frappe bien trop fort aujourd'hui. Tu sais combien je suis sensible à ses effets. Je ne veux pas qu'il gâche mon teint mortel.

Il remonte les escaliers en courant et redescend tout aussi vite quelques minutes plus tard. Je prends ce qu'il me donne et le félicite :

- Tu es une bonne main. Je t'offrirai un nouveau vernis pour te remercier de tes bons services. Quelle couleur te plairait ? Violet ? C'est noté. À ce soir.

Je marche jusqu'au hall où j'enfile mes bottines, puis ouvre la porte d'entrée. Le soleil m'accueille à l'extérieur. Je lui lance un regard noir en me disant que j'ai bien de la chance de n'être qu'à moitié vampire, sans quoi je serais déjà réduite à l'état de cendres.

L'école où je dois me rendre étant éloignée de notre château familial, je me change en chauve-souris pour faire le trajet jusqu'à l'entrée du village.

Je pense à cette rentrée avec délectation pendant que je survole la forêt environnante. Elle promet d'être sanglante, comme tout le restant de l'année, et il se trouve justement que je n'aime rien tant que le sang frais. . .