Nous suivons notre professeur jusqu'à la salle de classe. Je m'installe au fond de la classe et la blonde qui s'est présentée à moi un peu plutôt s'empresse de s'asseoir à côté de moi. Je ne lui prête cependant aucune attention. L'enseignant nous dit :

- Bienvenue à toutes et à tous ! Je m'appelle monsieur Scire. Pour bien commencer l'année, et bien que la plupart se connaissent sans doute déjà, je vous invite à vous présenter tour à tour en donnant au moins votre prénom et votre nom.

Les présentations défilent donc les unes à la suite des autres, accueillies par un simple hochement de tête de la part de l'homme chargé de notre éducation. C'est ainsi qu'au bout de quelques minutes vient le tour de ma voisine de table :

- Bonjour ! Je m'appelle Elsa Asle et je vais fêter mes dix-sept ans au prochain printemps.

Le professeur lui adresse un nouveau signe de tête et tous les regards convergent vers moi. Je déclare donc simplement :

- Je m'appelle Horror Monvoisin.

- Comme la femme de l'affaire des poisons accusée de sorcellerie ? plaisante monsieur Scire avec un petit clin d'oeil.

- C'est exactement cela, lui répondé-je aussi sérieusement que possible.

C'est en effet de cette femme que descend papa. Notre enseignant ne semble cependant pas me croire, car il rit avant de nous expliquer le programme de l'année et de commencer la leçon.

Je suis attentivement le cours et comprends bientôt comment cet homme a directement fait le rapprochement entre mon nom de famille et celui de mon ancêtre : il est professeur d'histoire. La leçon est fort intéressante car elle présente les faits sous le point de vue des êtres humains alors que je l'ai moi-même apprise sous celui des créatures du diable. Je sens que je vais me plaire à comparer les différences entre les deux versions, bien qu'il existe des points communs.

*

Je range mes affaires dans mon sac et quitte la salle de classe. Je suis rapidement rejointe par Elsa qui me demande :

- Ça te dirait qu'on mange ensemble ? Je pourrai te présenter à tous mes amis !

- Je ne cherche pas à sociabiliser. J'apprécie même la solitude pour tout te dire. Elle m'aide à mieux réfléchir et à me concentrer sur l'essentiel.

- Quel est l'essentiel pour toi ?

- Je te retourne la question.

- Je pense que le plus important c'est la famille et les amis.

- Ça fait deux choses, là.

- On peut avoir deux priorités, dit-elle en haussant les épaules.

Nous arrivons à la cantine, mais à peine ai-je fait un pas à l'intérieur que je recule en grimaçant :

- Je sens de l'ail. . .

- Oui. . . Ils en utilisent parfois pour cuisiner certains plats. . . Ça donne bon goût aux légumes et à la viande.

- Je suis fortement allergique à cet aliment, rétorqué-je en tournant les talons.

- Où est-ce que tu vas ? Je pensais que tu avais faim.

- Je ne supporte pas l'odeur de l'ail. Je mangerai plus tard. . .

Elle me fixe avec hésitation, mais finit par entrer dans le réfectoire pour retrouver ses amis.

J'en profite pour trouver un coin tranquille sous un arbre dans la cour de récréation. J'hésite encore à faire d'Elsa ma cible. Elle fait un peu trop de bruit à mon goût. . .

C'est alors qu'une voix me lance :

- Salut ! Aurore, c'est bien ça ?

Je regarde celui qui se tient désormais face à moi et lui réponds :

- En effet.

Je ne reconnais pas ce garçon aux cheveux clairs et aux yeux dorés. Il ne fait donc pas partie de la classe que j'ai intégrée. Voilà qui ne m'étonne pas étant donné qu'il me semble plus âgé que mes camarades.

- Qui es-tu ? lui demandé-je. Et comment connais-tu mon nom ?

- Je m'appelle Félicien. J'ai entendu Elsa parler de toi en passant par le réfectoire. Je pense que tout le monde dans l'école te connaît déjà au moins de nom tant ton arrivée fait grand bruit. C'est que tu ne ressembles à aucune fille que j'ai rencontré jusque là. . .

- Je n'en doute pas.

- Qu'est-ce que tu fais ici toute seule ? Tu n'as pas faim ?

Je secoue la tête et ajoute :

- Je te retourne la question.

- C'est tout pareil. Je n'ai pas d'appétit.

Il s'assied à côté de moi et reprends :

- Dis-moi d'où tu viens.

- Je ne viens peut-être pas de ce village mais je suis née dans cette région. J'ai juste décidé d'intégrer l'école publique cette année.

- Je vois. Je suis ravi que tu l'ais fait parce que je ne serai plus ici l'an prochain.

- Tu es en terminale ?

- Oui.

Je reçois sa réponse avec un simple hochement de tête et regarde à nouveau droit devant moi en me disant :

"Voilà une cible plus calme. Je vais peut-être opter pour lui en fin de compte. . ."

Au moment où cette pensée me traverse l'esprit, la voix assombrie de Félicien me parvient :

- Je dois te prévenir : il faut que tu te méfies. Cette école est pleine de harceleurs qui n'hésiteront pas à faire de ta vie un enfer. . .

- Je vais m'amuser encore plus que prévu dans ce cas.

Son expression sombre se mue en surprise. Nous sommes interrompus dans cette conversation par la voix d'Elsa qui nous demande :

- Est-ce que je vous dérange ?

- Non, lui répond mon interlocuteur. J'allais partir de toute façon. Au revoir !

Il quitte le banc et s'éloigne. L'adolescente aux yeux bleus me lance :

- Et toi qui disais que tu ne voulais pas sociabiliser. . . Je suis contente de voir que tu as changé d'avis.

- Je n'ai pas changé d'avis. C'est lui qui est venu me parler.

- Si tu le dis. . . En fait, veux-tu que je te raconte les derniers bruits qui circulent histoire de te mettre à jour comme tu viens de débarquer dans cette école ?

- Je pense qu'aller en cours est une option plus intéressante pour moi. La sonnerie va bientôt retentir, ajouté-je en sortant ma montre à gousset pour voir l'heure.

- Wow ! Ta montre est magnifique ! Tu l'as achetée à un antiquaire ?

- C'est le cadeau d'anniversaire que j'ai reçu à mes 50 ans.

Elle éclate de rire et reprends :

- D'accord. Dis-moi si tu changes d'avis à propos des potins. Je suis la reine des ragots ici ! Tu ne trouveras pas meilleure informatrice que moi.

- C'est noté, dis-je en me levant.

Je pousse un soupir pendant le trajet jusqu'en classe parce que je réalise que je n'ai pas toujours trouvé de réponse à ma question : qui, d'Elsa et Félicien, sera ma victime ?