La présentatrice réunit ses feuilles, s'éclaircit la gorge et déclare :

- Trois adolescents, dont deux soeurs, ont disparu dans le village de Conques cette semaine. Ils avaient pour autre point commun de tous étudier dans l'unique lycée du village.

Les photographies des trois concernés et leurs noms apparaissent à l'écran. La femme poursuit :

- Les disparitions ont été déclarées par les familles des trois jeunes gens, qui n'ont pas la moindre idée de ce qui aurait pu arriver à leurs proches. La théorie de la fugue ne semble envisageable pour aucun d'entre eux. Cette certitude a été confirmée par la découverte de traces de sang séché dans la cour de l'école et dans l'une des ruelles proches. La piste d'un tueur en série semble fort probable pour les enquêteurs, même si aucun autre indice n'a été trouvé, pas même les corps des disparus. Nous espérons de tout coeur qu'ils soient retrouvés sains et sauf et encourageons leurs proches à rester forts et optimistes dans cette difficile épreuve.

La publicité interrompt le programme d'informations. Célestin et Elsa restent bouches bées face à ces nouvelles. Je me contente de fixer l'écran d'un air impassible, caressant toujours le dos de mon araignée.

La jeune fille finit par s'exclamer :

- C'est terrible ! Nous étions déjà au courant pour Pierre, mais ces deux filles en plus. . .

Elle semble au bord des larmes. Son aîné s'approche pour l'entourer de ses bras en la rassurant :

- Ne t'en fais pas, je suis sûr qu'ils vont les retrouver sains et saufs. Nous nous connaissons tous dans ce village, si quelqu'un était un tueur, on le saurait, et on aurait aussi remarqué un nouvel arrivant.

- Tu as raison, lui répond-elle avec un sourire plein d'espoir.

- Pourquoi es-tu aussi touchée par leur disparition ? lui demandé-je. C'étaient des proches ?

- Non, on ne peut pas dire ça, mais je les connaissais tout de même un peu, comme tout le monde ici et quand bien même je n'aurais jamais entendu leurs noms jusque-là, je me sentirais touchée par leur histoire.

Je la mets en garde :

- Ce n'est pas bon d'être aussi sensible. Cela te rend faible et les faibles se font manger dans ce monde.

Célestin fronce les sourcils et rétorque :

- Elsa n'est pas faible et elle n'est pas seule.

Je prends Aracnée dans mes mains, quitte le canapé et marche lentement jusqu'au jeune homme pour lui murmurer à l'oreille :

- Si elle est aussi forte que tu le prétends, pourquoi te montres-tu aussi protecteur envers elle ? Les forts n'ont pas besoin de protection, elle n'est nécessaire que pour les faibles. C'est parce que tu sais qu'elle n'est pas suffisamment solide pour ce monde que tu la couves comme une poule couve ses oeufs si fragiles. . .

Je m'écarte ensuite de lui pour observer sa réaction. Il a une expression fermée, frustrée, qui ne dure qu'un instant car il reprend aussitôt son sourire chaleureux pour me demander :

- Est-ce que tu comptes rester parmi nous ou est-ce que tu dois rentrer ?

- Je rentre. Merci pour votre accueil et pour cette. . . intéressante découverte, ajouté-je à l'intention d'Elsa.

Elle me sourit en retour. Célestin retire ses bras d'elle en lui disant :

- Je raccompagne ton amie jusqu'à la porte et je reviens.

Elle acquiesce docilement et se dirige vers Nala pour la prendre dans ses bras.

Nous marchons côte-à-côte jusqu'à l'entrée. J'en profite pour lui glisser :

- Tu sais que ce n'est pas parce qu'on croit connaître quelqu'un qu'on le connaît réellement. Combien ont été surpris de découvrir qui étaient vraiment leurs proches et les secrets qu'ils cachaient.

Il hoche la tête, puis dit :

- Nous devons rester optimistes. L'espoir est souvent la seule chose qui reste aux êtres humains.

- C'est bien pour cela que vous êtes aussi faibles, murmuré-je en ouvrant la porte pour sortir.

Je traverse le jardin et ne me retourne qu'une fois avant de m'engager dans la rue : Célestin me salue avec un grand sourire.