Assise sur le rebord de la fenêtre de ma chambre, je parcours la messagerie de ma plus récente victime. Il a des contacts que je qualifierais d'ordinaires avec ses parents, d'autres membres de sa famille et ses amis, mais au milieu de toutes ces banales conversations se glissent quelques unes étranges :

"Bonjour, Antoine. Montre-moi ta valeur en faisant de la vie du dénommé Gaston un enfer. Sache que j'ai des yeux et des oreilles partout et que si je constate que tu n'es pas à la hauteur de cette mission, je me ferais un plaisir de faire en sorte que ta génitrice ne rentre pas du travail à dix-huit heures comme à l'accoutumée. Peut-être même ne rentrera-t-elle plus jamais. . . Tout dépend de toi."

"Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? ! T'es qui ?"

"Si j'étais toi, je me soucierais du sort de ma famille plutôt que de l'identité de mon interlocuteur, mais souhâtes : je suis Némésis et je ne faillis jamais à ma parole : plonge Gaston en enfer ou c'est moi qui t'enverrais au Tartare !"

C'est la plus ancienne conversation que j'ai pu trouver entre les deux. Les autres sont similaires : des menaces divulguant des informations précises sur la vie d'Antoine et de ses proches, sans doute destinées à l'intimider pour le rendre docile et plus il pose de questions, plus "Némésis" devient menaçant(e). . . Le message que j'ai lu tout à l'heure est le dernier qu'il ait reçu, le jour même et fait donc référence au moment où nous sommes arrivés pour secourir Gaston.

- Je crois que j'ai commis une énorme erreur, confié-je à Aracnée, blottie sur mes genoux, et Lamain, qui m'apporte un verre de sang.

J'attrape le récipient, contemple le liquide écarlate et lui demande :

- C'est le sien ?

Il brandit son pouce en l'air. Étonnemment, je perds toute envie de le boire, moi qui pourtant adore le sang frais ! Qu'est-ce qui m'arrive ?

Je le pose sur la table la plus proche et leur explique :

- Je dois confirmer mes doutes, mais je crois que toutes les personnes que j'ai éliminées ne sont pas réellement responsables de ce qui se passe au lycée. Elles sont manipulées par quelqu'un qui se fait appeler "Némésis". Il faut que j'aille fouiller dans leurs affaires pour en avoir le coeur net. Où sont-elles Lamain ? Conservées dans le sous-sol ? C'est parti.

Je sors de ma chambre, suivie par l'araignée et le domestique, pour me rendre dans le sous-sol du château. C'est là que nous conservons les possessions de nos victimes en attendant de décider quoi en faire.

Je me dirige vers les affaires des trois adolescents et fouille dedans. Heureusement que les êtres humains d'aujourd'hui ne se séparent jamais de leurs téléphones. Je n'ai ainsi aucun mal à mettre la main dessus et me rends aussitôt sur leurs messageries respectives. Ils ont tous eu plusieurs conversations avec "Némésis", similaires à celles que j'ai lues plus tôt. Mes doutes sont confirmés : j'ai commis une erreur de jugement. Je n'ai pas tué des monstres s'en prenant à leurs semblables sans bonne raison. J'ai tué des êtres humains manipulés qui ont agi dans le seul but de ne pas voir les menaces d'un inconnu se réaliser.

Cette pensée suffit à faire se serrer mon coeur. Je n'avais encore jamais ressenti cela. Je serre les dents et déclare :

- Je vais réparer mon erreur !

Je me précipite dans la tour nord et toque à la porte. Elle s'ouvre, révélant papa, vêtu de sa longue robe noire de sorcier, qui me demande :

- Que veux-tu, Horror ?

- J'ai découvert que quelqu'un manipulait certains adolescents du village dans le but de les pousser à harceler leurs camarades. J'ai besoin de savoir de qui il s'agit. Puis-je utiliser ta boule de cristal ?

- Tu as toujours été d'une nature curieuse, murmure-t-il, tu as certainement hérité cela de moi, ajoute-t-il en caressant ma joue du bout des doigts. Je dois cependant te prévenir que les réponses de la boule de cristal sont souvent floues et énigmatiques.

- C'est déjà mieux que rien.

- Bien. Entre.

Il s'écarte pour me céder le passage et ce n'est qu'alors qu'il remarque Aracnée et Lamain, qui me suivent toujours. Il nous conduit jusqu'à une table en bois sur laquelle reposent plusieurs artéfacts et s'empare d'un coffre en métal, qu'il ouvre pour en sortir la fameuse boule de cristal, l'un de ses plus précieux objets. Il la pose sur un coussin de velours violet et me dit :

- Approche et dis à la boule de cristal ce dont tu as besoin.

Je franchis les quelques pas m'en séparant et je dis d'une voix haute et claire, en articulant bien chaque mot :

- J'ai besoin de savoir qui pousse les lycéens de Conques à harceler leurs semblables.

Je dois réparer mon erreur et venger ces doubles victimes : victimes du dénommé "Némésis" et victimes de ma précipitation. . .

Une fumée bleue envahit la boule de cristal. Je me penche sur elle pour mieux voir. Deux silhouettes apparaissent. Elles deviennent de plus en plus nettes, jusqu'à ce que je les reconnaisse :

- Célestin et Elsa ? !