La maison

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Je traverse les rues encore vides, observant d'un regard distrait l'aube pointant. Je longe les maisons et les boutiques aux volets clos. Clos. . . sauf l'un d'eux, dont la fenêtre est éclairée. Aurions-nous quelques matinaux, ici ?

Je détourne le regard, désintéressée par ce spectacle des plus banaux, et poursuis tranquillement mon chemin jusqu'à atteindre les grilles de l'école. Je me suis levée bien trop tôt, aujourd'hui, mais ne parvenant pas à trouver le sommeil, j'ai préféré sortir plus tôt pour profiter des derniers instants de la nuit.

J'entends bientôt une respiration essoufflée s'approcher de moi et une voix masculine me lancer :

- Bonjour, Aurore !

- Bonjour, Félicien, lui dis-je sans même me retourner.

Il vient se positionner à côté de moi et me demande :

- Qu'est-ce que tu fais ici de si bonne heure ?

- Je n'ai pas dormi de la nuit.

- Ha ha ha ! C'est marrant, ça, parce que j'ai aussi du mal à dormir ces derniers temps. . . Enfin, quand je dis que c'est marrant, je veux parler de la coïncidence, pas du fait que tu ne parviennes pas à dormir. . .

- Quel dommage. . . Moi qui pensais enfin avoir trouvé quelqu'un d'aussi sadique que moi avec qui m'amuser. . . Vous êtes vraiment trop gentils pour être drôles, dans ce village. . .

Il éclate de rire et dit :

- Je ne remplis peut-être pas tes attentes en sadisme, mais tu remplis les miennes en humour noir. Je te trouve vraiment marrante. . . dans le bon sens. Tu es différente de toutes ces filles si superficielles que l'on croise partout de nos jours. . . Je suis ravi de te connaître.

Je l'écoute en silence, puis lui demande :

- C'était donc toi à la fenêtre de cette maison ?

Je lui détaille de laquelle je veux parler. Il réfléchit un instant, puis réponds :

- Oh, cette maison. . . Non, je ne vis pas là-bas, mais dis-moi, qu'est-ce qui t'empêchait de trouver le sommeil, si je ne suis pas indiscret ?

- Je pense à cette affaire de harceleurs. . .

- Tu te soucies de ceux qui ont disparu ?

- Ce ne sont pas eux qui me tracassent, même s'ils ne sont pas sans lien avec mon enquête. Nous avons constaté, Célestin, Elsa et moi, qu'ils s'en prenaient à toutes les personnes qui avaient harcelé Léo.

À l'entente de ce nom, son visage s'assombrit.

- C'est de ceux qui ont causé la mort de ce garçon que tu me mettais en garde, le premier jour.

- Oui. Je préférais te prévenir que si tu pensais que tout le monde serait chaleureux et amical juste parce que tu te trouves dans un petit village où tous se connaissent, tu te trompais.

- Je n'ai jamais pensé cela une seule seconde, le rectifié-je. Le mal est partout, au fond de chacun d'entre nous, j'en ai toujours eu conscience.

- Peut-être pas au fond de tous, rétorque-t-il avec un sourire. Tu n'es pas une mauvaise personne, même si tu as un humour un peu sombre, sinon, tu ne serais pas allé défendre Gaston l'autre jour et tu ne te soucierais pas de toute cette affaire, quoique. . . ajoute-t-il en optant pour un visage perplexe, j'ai du mal à comprendre pourquoi tu ne t'intéresses pas à ceux qui ont disparu, mais au fait qu'ils harcelaient d'anciens harceleurs. Personnellement, je ne trouve rien d'étonnant à cela. La roue tourne et le destin sait se montrer juste. Ceux qui ont fait du mal doivent payer un jour ou l'autre. C'est ainsi.

- C'est bien plus complexe que cela, en vérité. D'ailleurs, n'affirme jamais rien sur une personne que tu ne connais pas réellement. J'ai commis cette erreur plus d'une fois et je. . . j'aurais voulu ne jamais le faire. Je sens mon coeur se serrer dans ma poitrine à chaque fois que je pense à cela, je ne comprends pas pourquoi. . .

- Tu es prise de regrets.

- Comment ?

- Tu te sens mal à chaque fois que tu penses à ton erreur. C'est parce que tu la regrettes, tout simplement.

Je fixe le jeune homme en silence. Il a réussi à mettre un mot sur un sentiment que je ne comprenais pas moi-même. Je lui en suis reconnaissante et je le lui exprime :

- Merci.

- Pourquoi ?

- Pour m'avoir aidée à comprendre ce que je ressens. Je n'avais encore jamais ressenti de. . . regret auparavant.

- Tu as de la chance, alors, lâche-t-il avec un petit rire nerveux.

- Plus maintenant, du coup.

Il éclate de rire et je ne peux retenir un sourire en coin.

*

Je prends place à côté d'Elsa. Célestin et Félicien sont assis face à nous. Nous entammons notre repas tous ensemble. Je profite des rares fois où l'ail n'est pas mélangé aux aliments pour manger avec ces trois-là et glaner ainsi des informations intéressantes. Leur compagnie n'est pas désagréable, de toute façon. Ou disons plutôt qu'elle ne l'est plus parce que je me suis habituée à eux. Quoiqu'il en soit, le sujet du jour se porte sur le jeune homme aux yeux dorés et sur moi :

- Vous êtes arrivés drôlement tôt au lycée, aujourd'hui ! remarque la jeune blonde.

- Et alors ? lui demandé-je.

- C'est surprenant. Je suis toujours celle qui arrive le plus tôt, d'habitude.

- Nous n'avions pas sommeil alors nous en avons profité pour sortir plus tôt, justifie Félicien.

- Nous ne sommes pas les seuls à nous lever d'aussi bonne heure, de toute façon, alors je ne vois pas en quoi cela te surprend.

- Qui d'autre ? demande Célestin en piquant sa fourchette dans son assiette.

- Je ne sais pas qui c'est, mais sa maison était éclairée quand je suis passée devant.

Je leur décris le lieu. Les visages des deux jeunes gens aux yeux bleus pâlissent et ils échangent un lent et long regard, avant que Célestin ne lâche d'une voix blanche :

- C'est impossible. . . Tu es bien sûre de ce que tu racontes ?

- J'ai encore une excellente vue et une toute aussi bonne mémoire.

- Ce ne sont peut-être que des squatteurs, tente de relativiser l'adolescente, mais tout le monde ici sait ce qui s'est passé. . . Ce serait tellement injuste et irrespectueux de leur part !

- Dîtes-moi ce qui vous rend presque plus pâles que moi, leur intimé-je.

- Cette maison dont tu parles. . . commence le jeune homme, mais il semble hésiter sur les mots à employer, alors sa soeur poursuit :

- Elle est inhabitée depuis la mort de Léo, tout simplement parce que c'était la sienne !

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