Nous marchons dans les rues désertes de Conques. Célestin passe un bras autour des épaules de sa soeur et lui avoue :

- Tu nous as fait une sacrée peur, tu sais. Tu m'avais caché ce talent de toujours te mettre en danger.

- Je n'étais pas en danger puisque Lamain était avec moi, rétorque-t-elle, mais il est vrai que je ne m'attendais pas à ce qu'il m'attaque. Il semblait réellement touché par mes paroles et honnête dans ses sentiments. . .

- Il est un excellent comédien, concédé-je, mais je ne pense pas qu'il nous ait toujours menti. Je crois même qu'il ne l'a fait que lorsque c'était nécessaire à l'atteinte de son objectif.

- Je n'arrive pas à croire que j'ai pu être ami avec un homme prêt à tout pour arriver à ses fins, même à faire du mal à ma soeur adorée. Je suis désolé.

- Tu n'as pas à t'excuser. Il nous a tous trompés. Nous sommes tous devenus ses amis.

- Tu ne veux plus l'être ? lui demande sa benjamine.

- Et bien. . . J'ai de la peine pour lui et je comprends maintenant ses raisons d'agir. Je ne peux pas le blâmer de vouloir venger son frangin, mais. . . Il a impliqué des innocents dans cette histoire. C'est ce que je ne comprends pas. Je ne sais pas non plus si je suis prêt à lui pardonner le mal qu'il avait l'intention de te faire. Tu es plus précieuse pour moi que tous les amis du monde, Elsa. Je ne laisserai personne te faire du mal.

Elle se blottit affectueusement contre lui, les yeux humides d'émotion. Je brise ce moment de tendresse en déclarant :

- Je le comprends parfaitement, moi. J'aurais aussi été prête à exterminer le monde entier pour venger un membre de ma famille. Nous en avons tous eu la preuve : j'étais prête à le tuer sans réfléchir quand il a blessé Lamain. Si tu ne m'avais raisonnée, Célestin. . . Si tu ne m'avais pas fait réaliser que nous nous ressemblons plus que nous ne le pensions, Félcien ne serait plus de ce monde.

- Tu as donc l'intention d'éliminer les bourreaux de Léo, alors même que nous les avons défendus quelques semaines plus tôt, dit-il.

- Oui. J'ignorais alors à qui j'avais réellement affaire. Je ne les aurais certainement pas défendus autrement. Je me suis promis de ne me nourrir que de criminels. Les harceleurs en sont. Je débarrasserai le monde de ces monstres, vengerai la mort de Léo et calmerai ainsi la fureur de Félicien. Tous nos soucis seront réglés.

- Les médias locaux vont encore parler du tueur en série de Conques, nous avertit Elsa.

- Qu'importe. Ce n'est qu'une questions de temps pour qu'ils cessent d'en parler et que la police classe l'affaire sans suite.

- Les disparitions des adolescents de Conques resteront donc une énigme pour l'éternité. . . conclut Célestin.

- Ce n'est ni le premier, ni le dernier cas dans l'Histoire, leur assuré-je.

Nous arrivons devant leur maison. L'adolescente échange une petite tape amicale avec mon domestique, caresse du bout des doigts mon araignée, puis me serre dans ses bras. Je me crispe. Jamais encore une personne extérieure à ma famille ne m'avait prise dans ses bras, mais son étreinte a l'avantage d'être aussi agréablement chaude que les Enfers. Je pose donc mes mains sur son dos et repose ma tête sur mon épaule. Elle rit, puis s'écarte et tourne les talons pour rentrer.

Je tourne mon regard vers Célestin. Il me fixe en silence de ses grands yeux bleus. J'en profite pour l'informer :

- Tu sais que même si elle n'avait pas l'intention de nous trahir, ta soeur ne mentait pas lorsqu'elle disait à Félicien qu'elle l'aimait.

- Quoi ? ! s'exclame-t-il.

- Est-ce que tout va bien ? demande la concernée en se retournant.

- Oui, oui ! Ne t'en fais pas. Rentre. Je te rejoins.

Elle hausse les épaules et obéit. Le jeune homme reprend la conversation :

- Comment peux-tu le savoir ?

- C'est mon amie : elle me l'a dit.

- Elle l'a dit à son amie et même pas à son grand frère. . . boude-t-il, déçu.

- Félicien ne semblait pas insensible à son charme, mais peut-être n'était-ce aussi que de la comédie, pour éloigner tout soupçon de lui et mieux se servir d'elle. . .

- S'il a osé jouer avec ses sentiments. . . se fâche-t-il.

- Comme il a l'intention de rentrer à Paris une fois que j'aurai éliminé les harceleurs de Léo, tu vas certainement devoir gérer un chagrin d'amour. . . Voilà de quoi je voulais te prévenir.

Il pousse un soupir :

- J'ai de la peine pour mon Elsa. Il a fallu que son premier amour soit un amour impossible. . .

- C'est la réalité de la plupart des histoires d'amour. . .

- Même de la notre ?

Mes joues s'empourprent et je lui réponds :

- Un ange et une démonne. . . Tu appelles cela une histoire d'amour possible ?

- Je ne suis pas un ange et tu n'es pas une démonne, rétorque-t-il.

- Es-tu sûr de toi ?

- Nous en avons déjà parlé, dit-il en hochant la tête.

- Tu es vraiment paradoxal dans tes décisions : tu acceptes d'être avec moi malgré tout le mal que j'ai fait, mais tu ne supportes pas l'idée de savoir ta soeur avec un homme qui a au plus tout autant de choses à se reprocher que moi.

- C'est différent. Tu n'as jamais volontairement impliqué des innocents.

- Combien de fois devrais-je vous dire que je l'aurais fait à sa place ?

- Oui, mais tu n'es pas à sa place et. . . quand bien même Félicien n'aurait absolument rien à se reprocher, dois-je te rappeler son âge ? Ce n'est pas du tout correct !

- Je tiens à te rappeler que j'ai 160 ans. . .

Il éclate de rire et déclare :

- Nous n'aurions qu'un an de différence si j'étais un vampire, n'est-ce pas ?

J'acquiesce.

- La question est donc réglée, me lance-t-il avec un sourire malicieux.

Je pousse un soupir amusé :

- Elle n'est pas ta soeur pour rien. . . Vous êtes tous les deux aussi têtus et inconscients. Tu es en train de commettre la pire erreur de ta vie et aucun retour ne sera possible.

- Je suis plutôt en train de commettre la plus belle erreur de ma vie, rétorque-t-il en se penchant sur moi. . .