Chapitre 30 - Terre - Justine se réaligne

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Monde 1 : Terre

Justine se réaligne

  — Quoi ? J’ai fait quelque chose de mal ? demandai-je, surprise par la réaction de ma cousine.

  — Mais bien évidemment ! Quand je lis, la procédure écrite par ta grand-mère, je vois bien que ça requiert une énergie de dingue. Comment tu t’es sentie après ?

  Le rouge me monte aux joues, un peu tard pour me rendre compte de ce petit détail.

  — Eh bien… je…, je baisse la tête, évitant son regard. Je me suis évanouie…

  Ma cousine arque un sourcil.

  — Hum, ça ne m’étonne pas.

  Elle se lève et, comme toujours, se dirige vers la théière avec une grâce impressionnante, remplissant à nouveau sa tasse.

  — Et qu’en pense ta mère ?

  — Ma mère ? Pas grand-chose. Je ne lui ai pas dit. Depuis la disparition de ma grand-mère, elle n’a jamais vraiment accepté son départ. Tout ce savoir qu’elle nous a transmis, elle a choisi de l’oublier. Du coup, je me débrouille toute seule, avec les carnets laissés par nos ancêtres… enfin, ceux qui ont survécu à l’incendie... les carnets, hein, pas les ancêtres.

  Alma sourit avec une lueur malicieuse dans les yeux.

  — Je vois… Je vais devoir t’enseigner quelques petites choses, alors.

  Elle descend de la terrasse, ses sandales claquant doucement contre le bois chaud. Son gilet resserré autour des épaules, elle marche d’un pas mesuré, vers la rive de la Coomera River. L’eau scintille sous les reflets du soleil.

  — Et surtout, tu ne dois plus agir sans réfléchir à l’impact que cela peut avoir sur ton corps. Notre don, ma chère, c’est de l’énergie pure. Si tu l’utilises mal, tu ne fais qu’éroder ta propre lumière. Ce n’est pas ça qu’on veut. Tu dois apprendre à puiser dans la générosité de la Terre, qui nous prête sa force à bras ouverts.

  Elle lève la main vers l’horizon, comme si elle désirait capturer les rayons du soleil dans sa paume.

  — Regarde autour de toi… tout est vibration.

  Je hoche la tête, une brise légère soulève une mèche de mes cheveux. Oui, je le sens...

  — Le taux varie… selon que ce soit une plante, un oiseau, un chien… chaque être a sa propre fréquence, ajoutai-je.

  Alma se tourne vers moi, ses yeux brillants d’un éclat doux, mais intense.

  — Tu as un don incroyable, ma chéwie. Tu l’utilises avec sagesse. Ton aura est limpide. Mais il te manque encore quelque chose. Le savoir ancien, celui qu’on ne trouve pas dans les livres. Les textes n’en captent qu’une infime partie. Le reste, il faut le vivre, l’entendre. Et si tu es prête, j’aimerais te transmettre quelques secrets. Tu es proche de ton plein potentiel.

  Un frisson me parcourt, une chaleur s'installe au creux de mon ventre. Mon cœur semble se gonfler, puis s'ouvrir.

  — J’en serais plus que ravie ! Merci ! Je te promets de suivre tes conseils à la lettre, ma cousine, dis-je avec ferveur.

Elle sourit...

  — Très bien. Mais d’abord, il faut rééquilibrer ton énergie.

  Alma pose sa tasse sur les planches du ponton. Le liquide ambré diffuse encore une vapeur parfumée, et elle s’approche de moi. Ses mains s’élèvent lentement autour de mon corps, sans jamais me toucher. Ses paupières se ferment.

  Un picotement grimpe le long de ma colonne. L’air devient lourd, dense.

  — Ton aura est affaiblie, murmure-t-elle. Elle vibre de façon instable, désordonnée. C’est le résultat de ta dernière expérience. Profite de ce havre de paix. Laisse cet endroit te réaligner. La nature sait. Elle répare, si tu l'écoutes vraiment.

  Je ferme les yeux, inspire profondément, puis tends l'oreille.

  Le clapotis de l’eau qui s’écoule, le doux tangage d’une barque amarrée au ponton, un oiseau qui piaille à quelques mètres, et la brise qui me caresse le visage, en soulevant mes cheveux.

  Mais surtout, je perçois l’incroyable aura d’Alma. J’ouvre les paupières et je vois une lueur entre le bleu et le violet, une sorte de bulle lumineuse qui enveloppe tout son corps. Elle dégage une puissance tranquille, une sagesse, comme si elle portait le poids de toute l’humanité.

  Je pourrais presque m’incliner devant cette force naturelle.

  Puis soudain,celle d'Amélia me revient en tête.

  — Alma ? As-tu déjà observé une aura qui ressemble à une aurore boréale ? Une où toutes les couleurs existantes sur Terre s’entremêlent tout en restant distinctes les unes des autres ?

Alma fronce les sourcils, pensant à ma question.

  — Hum… jamais vu ça. Deux teintes peuvent se mélanger pour symboliser les émotions d’une personne, mais toutes à la fois ? Jamais. Elle se tourne vers moi. Pourquoi me pôses tu cette question ? Quelqu’un possède une de la sorte ?

  — Oui, lors de mon entretien d’embauche. j'ai rencontré une femme et elle m'a fascinée, presque obsédée. Je n'avais qu'une question en tête. Qui était elle ? C’est cette femme qui m’a poussée à calculer son taux vibratoire, qui était complètement hors norme. Et après, je me suis plongée dans les carnets… les écrits de grand-mère… et puis l’idée d’un monde parallèle est venue.

  — Ah… Je vois. Ça éveille la curiosité, en effet. Je t’avoue qu’à ton âge, j’aurais eu la même réaction.

  Elle prend sa tasse, pensant à tout ce qu'elle a entendu.

  — Hum, intéressant… tout ça. Elle fait demi-tour, et ajoute, je te retrouve ici demain matin à l’aube pour commencer ton entraînement !

  Mon entraînement ?

  Je n’ai pas le temps de répondre qu’elle est déjà en train de rentrer dans la maison. Mon cœur s'emballe. Je ne m’y attendais pas du tout. Je ne suis pas venue ici pour ça à la base, mais cette femme va m’aider à améliorer ma pratique… Et je n’en demande pas plus.

  — Je serai prête, murmurai-je, serrant mon mug entre mes mains, le coeur gonflé d'espoir.

  Le lendemain matin, je suis effectivement sur les chapeaux de roues.

  Je me jette du lit, toute excitée, j’enfile mon pantalon sarouel, une brassière assortie, et je n’oublie pas de me tartiner de crème antimoustique. Parce qu'en Australie, ces insectes adorent me retrouver. Puis je sors, tout en attachant mes cheveux en queue de cheval.

  Le soleil pointe à peine, et Alma est déjà dehors. Deux tapis sont étendus sur l'herbe, face à la Coomera River. Nous enchaînons quelques mouvements de yoga, puis nous finissons par une longue méditation.

  C’est une pratique que je connais bien, et pourtant je ne suis pas vraiment habituée à la faire dans un environnement aussi... comment dire… vivant. Rien à voir avec mon petit cocon de cave, aménagé sur mesure pour atteindre la paix intérieure à coups de silence et d’encens. Ici, tout semble conçu pour tester ma concentration.

  Pieds nus sur mon tapis, je sens parfois un insecte me chatouiller la voute plantaire, puis entreprendre l’ascension de ma cheville, tel un alpiniste miniature motivé. Je tente de rester stoïque, zen, alignée… mais ces minuscules pattes réveillent un peu trop intensément la surface de ma peau, et me voilà à évacuer l’intrus d’un geste brusque, à la limite du kata.

  Et pour certains, c’est mon visage qui se transforme en terrain d’exploration, déclenchant une série de tics et de grimaces peu dignes de l’illumination spirituelle. Bref, toutes sortes de petites choses peuvent me sortir de ma transe — si toutefois j’y suis vraiment entrée.

  — Détends-toi, dit Alma. Ces bestioles ne te feront rien. De plus, tu sens l’antimoustique à plein nez. Tout ce qui pourrait te nuire n’osera même pas s’approcher. Alors, laisse-toi aller… et deviens une avec la nature.

  Je jette un œil discret. Facile à dire.

  Quand soudain, je vois un magnifique papillon blanc et bleu atterrir sur la main d’Alma, dont les doigts sont en position du Chin Mudra. À la vue de cette pure beauté, je me sens petit à petit apaisée. Je ferme les yeux, contrôle ma respiration, et au bout de quelques minutes, j'arrive enfin à m'emporter…


***


  Trois jours maintenant que je médite sans relâche, dans le jardin ou sur la terrasse, entourée des plantes expérimentales de ma cousine. Je suis toujours accompagnée d’un thé dont la composition reste un mystère total… mais il est bon, alors je ferme les yeux et je fais confiance.

  Je commence à sentir la différence : j’ai appris à lâcher prise, à me ressourcer, à fusionner avec la nature. Pourtant, il y a un endroit que je préfère pour mes séances de relaxation. C’est la pièce du deuxième étage, un ancien grenier réaménagé, un sanctuaire spirituel qui occupe toute la surface de la maison. Deux immenses baies vitrées s’ouvrent sur des balcons à l’Est et à l’Ouest. Le matin, les premiers rayons de la journée inondent le centre et viennent caresser une estrade ronde, recouverte d’un tapis. Le soir, le soleil couchant prend le relais, comme si cet espace était branché en direct sur le cycle cosmique.

  Cet endroit ? C’est le paradis. Pas besoin d’une « Alexa » pour tamiser la lumière, ni d’encens à la lavande pour parfumer l’air : les fleurs font ça gratuitement. Et pour la bande-son, oubliez les playlists YouTube dédiées à la méditation. Ici, ce sont les oiseaux qui font leur concert en plein air, les feuilles qui murmurent sous la brise et les criquets (ou est-ce des grillons ?) qui offrent leur propre symphonie. Je crois qu’on m’a dit qu’il y avait aussi des crapauds, mais, pour être honnête, je n’ai pas encore vu ces derniers faire un solo. Rien ne vaut la nature pour s’ancrer et se reconnecter à l’essentiel.

  Avant, je pensais que ma cave aménagée était le summum de l’espace vibratoire, que mes murs étaient remplis de l’énergie pure du silence avec mes bougies parfumées à la cannelle. Mais en fait, je me rends compte que j’avais beaucoup à apprendre. La vraie concentration de l’énergie, ça ne se trouve pas entre des étagères de livres et des piles de coussins.

  Je me sens… bien, en harmonie, peut-être même un peu plus légère. Revigorée. Et maintenant, un sentiment étrange me traverse… Je veux recommencer.

  Sous les derniers rayons du soleil qui inondent le centre de la pièce, je m’installe en tailleur sur le tapis, face à cette lumière qui semble m’envelopper. Je sors le carnet de ma grand-mère, l'ouvre. Une feuille blanche, soigneusement pliée en quatre, tombe doucement.

  C’est Alma. Elle me conseille d’ajouter certaines pierres qu’elle me cite, pour que je puisse puiser de l’énergie en elles, afin de ne pas trop solliciter la mienne.

  — Merci cousine…

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