Chapitre 33- Terre - Le dérapage d’Ethan.
Monde 1 : Terre
Le dérapage d’Ethan
Orthos, les oreilles dressées et le museau, en avant, capte une odeur inhabituelle. Amalié constate qu'Adam est sur ses gardes, il retient fermement son collier.
— Assis, murmura Adam à Orthos.
Le chien obéit, mais reste sur le qui-vive.
Non loin, un homme en costume soigné, appuyé contre un buisson, affiche un sourire énigmatique. Ses yeux gris fixent Amélia sans ciller.
Adam s’approche d’elle, méfiant.
— Tu le connais ? demande-t-il en se positionnant entre elle et l’homme.
Amélia n’a pas le temps de répondre. L’individu s’avance d’un pas rapide, réduisant la distance qui les sépare. Les babines retroussées, Orthos grogne. Adam réagit aussitôt, le rappelle à l’ordre, puis il se place de toute sa hauteur devant Amélia pour la protéger. Les deux hommes se toisent. La tension devient palpable. Puis l’étranger incline légèrement la tête sur le côté, tentant de mieux voir Amélia.
— Tu peux demander à ton ami de s’écarter, s’il te plaît ? exige-t-il en appuyant bien sur le mot ami.
Adam ne bouge pas. Ils se connaissent que depuis peu, mais dans cette maison isolée, loin de tout, dans un pays qui n’est pas le sien, elle reste vulnérable.
— Eth… Ethan ? murmure-t-elle, les yeux écarquillés. Qu’est-ce que tu fais ici ?
Adam arque un sourcil, intrigué.
— Ne t’inquiète pas, balbutia-t-elle en posant une main sur son bras. Je le connais… C’est… mon patron.
— Oh Amélia ! Je ne suis pas qu’un simple patron, mon Amour. Tu le sais très bien, rétorque Ethan avec un clin d’œil.
— C’est bon, Ethan. Que veux-tu ? souffle-t-elle en levant les yeux au ciel.
— Je suis venu te parler, Mon Amour, lance-t-il sans quitter Adam du regard.
Le mot Amour n’est pas anodin. Il claque comme une revendication de territoire. Amélia sent Adam se tendre, sa poigne blanchir autour du collier d’Orthos. Est-ce son animal qui tire, ou juste lui qui retient son envie de recadrer cet arrogant ?
La tension grandit. Il faut désamorcer avant que cela ne dégénère.
— C’est bon… Viens. Entre.
Amélia hésite un instant à le laisser franchir le seuil. Cet endroit était son sanctuaire, un lieu dans lequel elle pouvait occulter tout ce qui pouvait parasiter son esprit. Mais elle recule, lui ouvrant le passage. Ethan esquisse un sourire triomphant. Il rajuste sa cravate et contourne Adam pour se diriger vers la baie vitrée.
Elle s’apprête à le suivre quand Adam lui saisit le bras. Leurs visages se frôlent. Elle sent le souffle tiède de ce dernier dans le creux de son oreille, lui provoquant un doux frisson, frais et à la fois chaud…
— S’il y a le moindre problème...
Il marque une pause, jette un regard à l’intérieur. Ethan s’est installé sur le canapé.
— J’habite juste à côté, dit-il en montrant la maison voisine. Appelez-moi. Je viendrai dans la seconde.
Les iris vertes s’ancrent dans celles d’Amélia. Son cœur se serre.
— Merci… je n’y manquerai pas, arrive-t-elle à ajouter.
Elle lui adresse un sourire chargé de gratitude, espérant dissimuler son angoisse. Revoir Ethan n’était pas au programme. Elle était bien sans lui. Depuis leur rupture, il est devenu instable. Savoir Adam si proche la rassure… un peu...
Juste avant de rentrer, elle aperçoit son voisin s’installer sur un transat dans son jardin, les yeux fixés en direction de sa maison.
***
Amélia, s’efforce de paraître détendue. Cependant, les muscles de sa nuque la lancent.
— Que veux-tu boire ?
— Haha, tu sais très bien ! Comme d'habitude ! Soit un excellent whisky de vingt ans d’âge, ou bien un bon cru ! Il semblerait qu’ils font un vin acceptable dans le coin...
— Non, je n'ai pas ça ici. C’est soit un thé ou de l'eau, répond-elle sèchement.
Ethan esquisse un sourire contrit. Il sent qu’elle lui échappe.
— Ok ok... juste de l'eau, ça fera l’affaire.
Amélia sort un verre décoré du drapeau australien, le remplit à l’évier et le lui tend. Elle s’installe dans le fauteuil face à lui.
— Qu’est-ce que tu veux, Ethan ? Ce n’est pas pour le boulot, j’imagine. Le contrat avec M. Anderson sur la protection des fonds marins a échoué. Alors pourquoi es-tu là ?
— Tu couches avec le blondinet ?
— Ethan… s'exaspère Amélia
— OK, j’arrête, dit-il en levant les mains. En effet, je ne suis pas ici pour ça…
Amélia s’attendait à de l’arrogance, voire de la colère. Mais les traits d’Ethan s’affaissent. Ses yeux gris, d’ordinaire durs semblent plus doux. Presque humides.
— S’il te plaît…, dis-moi pourquoi… J’aimerais tant comprendre !
Amélia se redresse, mal à l’aise, et se dirige vers la cuisine. Elle verse l'eau chaude de la bouilloire, ajoute du miel à sa tisane d'une main tremblante. Alors qu’elle est sur le point de saisir sa tasse, elle sent sa présence.
Son souffle, paradoxalement tiède et glacé, effleure sa nuque et fait se dresser son duvet — non de plaisir, mais d’alerte. Une proximité peu rassurante.
Une main, chaude, traversée de décharges invisibles, se pose sur son épaule — trop doucement pour être innocente. Puis vient la sensation râpeuse d’une barbe naissante, à quelques millimètres de son oreille, promesse de mots doux ou de menaces.
— Pourquoi ? murmure-t-il. Pourquoi as-tu refusé ma demande ? s’il te plaît, je veux savoir, termine-t-il suppliant.
Amélia se fige. Son rythme cardiaque s’accélère. Elle pivote…
Ethan est beaucoup trop près. Bien trop proche à son goût. Une décharge d’effroi lui traverse l’échine.
Elle pose les mains sur son torse et tente de le repousser.
Tel un arbre enraciné, il ne bouge pas.
Il la fixe. Son regard larmoyant se transforme en un foudroyant. Amélia sent les nerfs tendus de son ex-compagnon se crisper de plus en plus. Elle exerce une dernière pression sur son torse. Cette fois, il recule.
Il fait le tour du salon, visiblement fébrile.
— Merde, Amélia… Je pige pas. On était bien, non ? Les sorties, le yacht, le champagne… Le sexe de dingue. C’était pas suffisant ? On s’amusait, on a visité des coins improbables dans le monde, on était un couple, on était heureux…
Amélia lève les yeux et fixe les pupilles étroites d’Ethan. Il tremble, et ne tient plus en place…
— Oui, Ethan, et pourtant tu le savais dès le début. Nous étions dans une relation libre. Tu pouvais voir d’autres personnes et moi de même… C’était le deal.
Il s’arrête net. Son visage s’est durci, tiré par la frustration et une colère à peine contenue.
— Le mariage, ce n’est pas pour moi, ajoute-t-elle.
Elle regrette aussitôt ses mots... Trop tard…
En une seconde, il bondit, la pousse violemment. Elle recule, perd l’équilibre, et chute lourdement contre le rebord du plan de travail. D’un geste ferme, sans ménagement, il la soulève et la pose dessus. Il se colle à elle, l'obligeant à écarter les jambes pour se rapprocher davantage. La proximité est telle qu’elle peut sentir qu’il n’est pas sous l’emprise de l’alcool. Son souffle est chargé d’une odeur de café mal digéré — preuve qu’il a pleine conscience de ses actes. Elle ne sais pas si c'est ce qui l'effraie le plus.
— Oh Amélia..., murmure-t-il d’une voix basse et lourde, tu ne peux pas comprendre dans quel état je me trouve !
Elle sent les mains d’Ethan trembler sur sa taille, la serrer de plus en plus fort.
— À cause de toi, je ne sais plus où j’en suis… Je ne pensais pas être tombé amoureux de toi comme ça… Ton refus, ton absence m’a permis de me rendre compte que tu es la femme de ma vie… ajoute-t-il d’une voix fébrile tout en la maintenant toujours d’une main de fer.
— Eth… Ethan… S’il te plaît, tu… tu me fais mal !! articule-t-elle avec difficulté.
À ces mots, il relâche sa prise, recule d'un pas et la regarde, abasourdi, comme s’il réalisait à peine ce qu’il vient de faire. Elle est là, assise, les jambes écartées, les cheveux défaits, et surtout, il la voit se redresser lentement, une main pressée contre ses côtes.
— Merde... Amélia… je… je ne voulais pas…
— Dégage, souffle-t-elle, les larmes aux yeux. Sors de chez moi.
— Attends… Je t’aime, tu comprends ça ? Je suis fou, c’est tout. C’est toi qui me rends dingue.
Elle chancelle, s’agrippe au plan de travail pour ne pas tomber. Sa respiration est saccadée.
— Va-t’en ! ordonne-t-elle malgré son souffle court.
— Non, pas comme ça. Je… je suis venu pour qu’on parle, pas pour te faire du mal. Je… C’est pas moi, ça, j'te jure.
Il s’approche à nouveau.
— Ne me touche pas ! hurle-t-elle, debout, droite, faisant front malgré la douleur — et surtout face à cet homme qu’elle ne reconnaît plus.
Surpris par le ton, il recule et trébuche contre la table basse.
— Je suis désolée, ma puce… Je … je reviendrai pour qu’on …
— je t'ai dit dé-ga-ge ! cri-t-elle le droit tendu vers la porte d'entrée.
Après l'avoir vu quitter la maison, dos au plan de travail de la cuisine, Amélia peut enfin respirer. Elle glisse lentement le long du meuble jusqu’à s’asseoir sur le sol carrelé. Elle replie ses jambes contre sa poitrine et pose la tête sur ses genoux. Les larmes se libèrent de leur prison.
Jamais elle n’aurait imaginé que cela puisse dériver ainsi… Ethan…
Seule. C’est la sensation qui l’habite à présent. Une solitude familière, celle qu’elle ressentait déjà après ses longues journées de travail. Mais cette fois, c’est différent. Ce vide-là est plus profond, plus brutal.
Son cœur cogne, bien trop fort. Ses mains moites tremblent, et, comme si chaque cellule de son corps la réclamait, une unique image s’impose à son esprit : Émelie.
Elle a tellement envie de la revoir. Elle ne comprend pas ce besoin viscéral de la retrouver — comme si sa présence pouvait apaiser le tumulte en elle.
— Amélia ! Amélia !
— Ouaf !
Adam, accompagné d’Orthos, surgit et la découvre sur le sol. Il se précipite vers elle, ses pieds glissant sur le carrelage juste avant qu’il ne s’accroupisse à ses côtés.
— Je t’ai entendue crier, est-ce que ça va… Où est ce connard ?
Il tourne la tête dans tous les sens, à l’affût.
— Il est parti…
— Tu veux que j’appelle les secours ?
— Non, c’est bon… je…
Amélia se redresse en prenant appui sur le plan de travail, le visage crispé par la douleur.
— Ce n’est pas la peine. J’ai rien, murmure-t-elle, en s’efforçant de garder la tête haute.
— Tu en es certaine ? Alors pourquoi te tiens-tu la hanche ? Est-ce que... — ses yeux émeraude fixent Amélia essayant de déceler un détail qu'elle cacherait — Est-ce qu'il t'a battu ? Ne... ne me dis pas qu'il a osé ! fustige-t-il en se levant, prêt à en découdre...
— Non, mais il m'a poussé et j'ai mal atterri... et voilà, mais je t'assure je n'ai rien de cassé...
— Si jamais je le recroise celui-là... fulmine-t-il, écoute je vais rester un peu avec toi et...
Adam est interrompu par la sonnerie de son téléphone, reconnait le destinataire et décroche.
— Oui ? … Comment ça, le cours se termine plus tôt ? Le prof doit quoi ? … OK, j’arrive.
Pendant ce temps, Amélia boit une gorgée de sa tisane, désormais tiède.
Adam hésite, pris entre deux responsabilités. Il voudrait accompagner cette jeune femme en détresse, cependant...
— Je suis vraiment désolé, je dois y aller. La séance de footy* de mon fils est finie… je… je dois aller le récupérer.
Confus, il replace ses cheveux hirsutes bien embêté de la laisser seule. Amélia sourit tendrement.
— Je ne savais pas que tu avais un enfant, ajoute-t-elle surprise... tu peux partir tranquille...
Elle boit une gorgée de sa tisane et observe avec une attention nouvelle ce voisin si charmant.
— Écoute, j'y vais et je reviens juste après ok ?
— T’en fais pas… finit-elle par dire.
Alors qu’il est sur le point de franchir le seuil de la mai
— hey ! il s’appelle comment ?
Adam sourit.
— Liam…
Puis il sort d’un pas pressé, toujours accompagné de son fidèle animal.
Après le départ de son valeureux chevalier, Amélia se dirige vers la salle de bain.
Elle attrape une crème anti-inflammatoire dans l’armoire à pharmacie et l’applique délicatement sur son flanc gauche sur lequel une belle ecchymose a déjà pris forme. De retour dans la cuisine, elle termine sa boisson maintenant froide, puis s’installe sur une chaise. Elle pose la tête entre ses bras, étendue sur la table, et laisse échapper des larmes incontrôlables. Devant Adam, elle faisait la forte mais là... elle n'en peut plus... fatiguée...lasse et surtout seule...
— Émelie… murmure-t-elle entre ses lèvres.
*Footy : Football australien, est un sport collectif opposant deux équipes de dix-huit joueurs dans un stade ovale, chacune cherchant à faire parvenir le ballon entre les poteaux adverses. La philosophie du jeu est proche de celle du rugby, mais à l'inverse exige de parcourir un terrain beaucoup plus étendu — le jeu se pratique donc essentiellement au pied et moins à la main.
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