Ch 36 - Les secousses

7 minutes de lecture

Résumé du chapitre précédent

Amélia, encore secouée par l’agression d’Éthan, est submergée par la peur, la colère et la culpabilité. Sur Terra, Émelie ressent à son tour des émotions intenses et incontrôlables qui ne viennent pas d'elle. Les deux femmes sont attirées par une mystérieuse sphère lumineuse qui lévite au centre de leurs salons respectifs. Justin est projeté en arrière lorsqu’Émelie le touche.

Pour ce chapitre, j’ai eu un peu de mal à gérer les points de vue… Ils ont peut-être été un peu mélangés. N’hésitez pas à me faire des remarques. Merci :-)

Chapitre 36

Monde1 et 2: Terre et Terra

Ho… ma tête…

  Une douleur sourde pulse derrière les tempes de Justin. Un grésillement diffus emplit ses oreilles, semblable à une vieille radio en quête de fréquence. Le son fluctue, se rapproche, s’éloigne…

  Il entrouvre les yeux, se redresse avec peine, une main sur son crâne endolori.

  — Aïe… c’était quoi ce truc ? … Émelie, ça va ?

  Sa voix est rauque, encore engluée de confusion. Mais à peine que ses sens lui reviennent, la scène qui se déroule juste devant lui, le fige.

  Au centre du salon, Émelie se tient debout, de dos, parfaitement immobile. Tout autour d’elle, un halo de lumière irisée ondule et se contracte comme une respiration. Son bras est tendu devant elle, l’index posé sur un point lumineux qui palpite doucement.

  Justin se redresse d’un bond, surpris par ce qui est en train de se passer. Son regard glisse sur le visage de son amie... Elle sourit. Un éclat pur, presque irréel, qui tranche violemment avec l’expression brisée qu’elle affichait encore quelques minutes plus tôt.

  Puis il la voit.

  En face d’elle, de l’autre côté de ce centre lumineux, tel un miroir, face à Émelie, se tient une femme… identique. Même posture. Même visage. Même regard.

  Un frisson lui remonte l’échine.

Serait-ce… Amélia ?

***

  Là, face à face, le visage d’Amélia s’illumine de bonheur.

  — Amélia ?

  — Émelie ?

  S’exclament-elles en même temps, leurs voix tremblantes d’émotion.

  Le portail scintille entre elles, ses contours luminescents s’étirent peu à peu pour atteindre une taille humaine. Dans une étrange synchronie, leurs index toujours en contacts, les mains se rapprochent, jusqu’à ce que tous leurs doigts se nouent naturellement. Un frisson parcourt la poitrine d’Amélia.

  L’ouverture, désormais plus grande qu’elle, semble l’inviter à franchir le seuil. Tout ce qu’elle ressentait pour Éthan s’efface en un instant. La peur, la colère, la culpabilité, tout…

  Il n’y a plus qu’un désir qui prédomine : rejoindre son alter ego. Elle sourit, incapable de résister à l’envie de s’avancer.

  À quelques centimètres du portail, elle plonge son regard dans celui d’Émelie. L’inquiétude se lit sur le visage de cette dernière. Leurs pupilles se cherchent, se comprennent. Émelie fronce les sourcils, le doute est palpable. Elle hoche doucement la tête, comme pour dire : « Es-tu sûre ? ». Amélia répond par un léger mouvement, la rassurant, telle une promesse silencieuse pour affirmer que tout ira bien.

  Elle baisse les yeux, observe son pied effleurer la frontière du portail. Une brise s’en échappe, mais aucune sensation étrange ne la traverse. Rien. Pas de picotement, pas de frisson. Encouragée, Émelie recule d’un pas, ouvrant le passage pour son double.

  Pas à pas, Amélia franchit la lumière scintillante. Lorsqu’elle dépasse le seuil, elle se sent envahie par un sentiment de complétude. Le monde d’Émelie l’accueille enfin, et, dans ce silence vibrant, tout leur univers semble se rejoindre.

***

  Debout, légèrement en retrait, Justin contemple la scène, captivé. En face l’une de l’autre, les deux jeunes femmes partagent une tasse de thé, mais ce n’est pas ce détail qui retient son attention. Son regard ne peut se détacher de l’éclat invisible qui les relie. Les auras d’Émelie et d’Amélia se frôlent, se fondent, s’entrelacent dans une danse aérienne d’une grâce infinie. Elles se lovent l’une autour de l’autre, semblables à deux courants de lumière qui cherchent à s’unir, à se reconnaître, à s’imprégner de l’essence de l’autre.

Je n’arrive pas à croire ce que je vois, c'est comme si les deux auras veulaient fusionner.

  Cela ne fait que quelques minutes qu’elles sont ensemble, et pourtant Justin a l’impression d’assister aux retrouvailles de deux jumelles séparées depuis des années. Elles rient, échangent des mots légers et intimes, glissent d’un sujet à l’autre avec une aisance déconcertante. L’excitation et l’émerveillement de cette rencontre semblent nourrir un lien invisible, presque tangible dans l’air qui les entoure.

  Une douleur lancinante à l’arrière de sa tête le ramène à la réalité. Il frotte sa bosse et découvre un filet de sang. Profitant de l’instant, il se rend à la salle de bain pour rafraîchir sa plaie. Une fois terminé, en sortant, il aperçoit dans la chambre d’Émelie une imprimante équipée d’une fonction de numérisation. L’idée jaillit : photocopier la page promise à son double, afin d’être certain qu’elle arrive entière à destination. Il extrait le feuillet de sa poche et lance la reproduction. Quelques secondes plus tard, un exemplaire au format A4 se matérialise.

  

**  De retour au salon, il retrouve les deux jeunes femmes plongées dans l’euphorie de se voir, de se parler, de se toucher.

  Il se racle la gorge pour rappeler sa présence, mais sans succès : elles demeurent complètement absorbées l’une par l’autre.

  — Hum… hum… Émelie ?

  Comme tirée d’un rêve, Émelie sursaute en entendant son prénom.

  — Oh, oui, pardon… Amélia, je te présente mon meilleur ami, Justin.

  Justin cherche une réaction dans les yeux d’Amélia, espérant qu’elle reconnaisse quelques traits de son visage. Il sait que le fait d’être aujourd’hui perçu comme un homme pourrait rendre plus difficile toute ressemblance.

  Alors qu’Amélia, après l’avoir salué distraitement, s’apprête déjà à continuer sa conversation avec Émelie, il l’interpelle de nouveau :

  — Amélia ?

  Le regard noisette de l’alter ego d’Émelie croise celui de Justin, et il en est presque déstabilisé.

  — Oui ?

  — Je me demandais… dans votre monde, pensez-vous qu’il puisse y avoir une femme portant mes traits ? Tout comme vous et Émelie ?

  Justin prend un risque calculé. Il a promis de remettre cette page à son double. Et Amélia est son seul lien vers Justine.

  — Elle travaillerait depuis peu dans votre entreprise, précise-t-il.

  Amélia le scrute, intriguée, puis ses yeux s’écarquillent.

  — En effet… votre visage me dit quelque chose. Oh ! Mais oui ! Vous ressemblez énormément à la nouvelle assistante de direction d’Éthan : Justine !

  C’est bien elle…

  Sans perdre de temps, Justin plonge la main dans sa poche et en sort une feuille A4 pliée en quatre.

  — Je voudrais vous remettre ce papier.

  Amélia le saisit, ouvre et lit rapidement les inscriptions.

  — Qu’est-ce que c’est ? demande-t-elle.

  — Je suis désolé, ce serait trop long à expliquer. Pourriez-vous transmettre cette feuille à Justine ? Elle en a besoin, et c’est assez urgent.

  — Je veux bien, mais je ne la verrai pas avant plusieurs jours… Elle est en Australie en ce moment. Elle m’a dit qu’elle vous contacterait.

  Amélia arque un sourcil, puis acquiesce et glisse la page dans la poche arrière de son jean. Comme si l’intervention de Justin n’avait été qu’un simple interlude, elle reprend aussitôt sa conversation avec Émelie.

  Les pupilles pétillant de bonheur, Amélia éclate de rire, tandis qu’Émelie, plus réservée, esquisse un sourire et pose sur son double un regard empreint de tendresse.

  — Je n’en reviens pas que tu sois ici. Tu es là ! Assise juste en face de moi ! murmure Émelie.

  Elle prend ensuite les deux mains d’Amélia, se rapproche d’elle et, les yeux remplis de larmes, elle continue :

  — Tu es si réelle !

  — Mais je le suis Émelie, répond avec douceur Amélia.

  Un sentiment d’audace envahit la meilleure amie de Justin, lui donnant l’envie de toucher le visage d’Amélia, de suivre du doigt les contours de ses sourcils, de caresser la courbe de son nez. Elle scrute chaque détail de cette jeune femme, surprise par cette réalité si frappante. C’est surnaturel ! Pourtant, Amélia est là, en chair et en os, lui parlant et lui souriant.

  Son cœur se gonfle, laissant Émelie, pour la toute première fois de sa vie, entière. C’est si différent de ce qu’elle a pu vivre avant tout cela. La rencontre du père de ses enfants, son mariage, et même la naissance de ses filles, semble, en cet instant précis, si loin.

  — J’ai l’impression d’être enfin Moi, se dit Émelie.

  Absorbées par leur découverte, elles en ont oublié le thé qui, à présent, s’est refroidi. Émelie propose alors de remettre de l’eau chaude. Juste au moment où elle s’apprête à la verser dans le mug de son double, elle remarque que la surface du liquide vibre.

  Elle ne s’en préoccupe que brièvement, pensant que cela provient d’un mouvement qu’elle a pu faire en prenant la théière sur la table. Mais lorsqu’elle remplit la tasse, elle observe avec stupéfaction la petite cuillère s’animer. Un léger tintement se produit en heurtant les parois en céramique.

  Le tremblement s’étend, agitant les chaises, puis la pièce entière. Verres, livres et autres objets tombent au sol.

  Amélia, Émelie et Justin bondissent sur leurs pieds, échangeant des regards paniqués.

  — Que… que se passe-t-il ?! souffle Émelie.

  — Je crois… je crois qu’il est temps de vous séparer !!! hurle Justin, la peur dans la voix.

  — Non ! s’écrie Amélia, le visage bouleversé. Je ne veux pas partir… pas déjà…

  Le sol tremble violemment. Les deux jeunes femmes s’accrochent l’une à l’autre, leurs larmes se mêlant. Leurs bras se serrent comme pour défier l’univers lui-même.

  Justin, recroquevillé sur le canapé, crie par-dessus le fracas :

  — Plus vous êtes proches, plus ça s’intensifie ! Vite, dépêchez-vous !

  Le portail tourbillonne, ses contours se rétractent dangereusement.

  Les yeux embués, Émelie murmure :

  — J’aimerais tant que tu restes… mais il faut que tu rentres chez toi…

  Amélia secoue la tête, les doigts d’Émelie toujours noués aux siens.

  « Non ! Je ne veux pas ! » crie-t-elle intérieurement, si fort qu’Émelie entend ses pensées.

  Sans bouger les lèvres, Émelie répond : « On se reverra. Ne t’inquiète pas. »

  Leurs mains s’accrochent encore, mais déjà la moitié du corps d’Amélia est happée par le portail. Leurs regards se fixent une dernière fois, brûlant de douleur et d’amour.

  Puis, dans un ultime éclat, Amélia disparaît complètement dans son monde.

  Les secousses cessent aussitôt. Le silence retombe, brutal, oppressant.

  Justin reste figé, tremblant. Émelie, les yeux noyés de larmes, contemple le vide laissé par Amélia.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Wendie P. Churt ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0