Ensemble

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"Elle mérite ce qui lui arrive ! Elle n'avait qu'à réfléchir à deux fois avant de faire du mal à sa soeur !"

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"C'est répugnant !"

Elle est rapidement devenue virale.

"Tu veux dire, elle est répugnante ! Cette fille me dégoûte. . ."

J'ai beau me dire que je ne prêterai plus attention aux commentaires. . .

"Heureusement qu'elle ne vient plus à l'université, je n'aurais pas supporté de la voir plus longtemps !"

. . . je ne peux m'empêcher de regarder les notifications qu'affiche mon téléphone.

"Je plains sa soeur qui doit la supporter tous les jours. . ."

J'ai été élevée dans une société où le regard des autres compte.

"Ses parents ne l'ont toujours pas expulsée de leur maison ? ! Je l'aurais fait depuis longtemps, si j'étais eux, mais heureusement, je n'ai aucun lien avec cette monstruosité !"

Malgré tous les jolis discours que l'on fait à l'encontre du jugement. . .

"J'aimerais mieux mourir que la connaître !"

. . . on ne cesse de juger et d'être jugé. C'est inhérent à la nature humaine, parce que ça en fait partie.

Plongée dans l'obscurité de ma chambre, dont les rideaux sont tirés même en pleine journée, je glisse mon doigt sur l'écran pour faire défiler les posts me concernant. La lueur bleutée produite mon téléphone portable est mon seul éclairage depuis des jours. Je suis sur le point de lire un nouveau commentaire désobligeant à mon égard lorsque des coups contre la porte me font sursauter. Je lâche un hoquet de surprise et me mets à tousser.

La voix soucieuse de maman me provient :

- Malicia ? Qu'est-ce qui t'arrive ? Est-ce que ça va ?

Touchée que quelqu'un se soucie enfin de moi, je tente de lui donner une réponse, mais ne parviens pas à calmer ma quinte de toux. Je vois la poignée s'abaisser, comme si elle voulait ouvrir la porte, mais la voix grave de papa l'interrompt :

- Arrête de perdre ton temps avec elle. Elle cherche probablement juste à attirer un peu d'attention. Si elle avait vraiment besoin de quelque chose, elle aurait su se déplacer comme elle l'a fait pour s'en prendre à sa soeur. . .

Je suis si abasourdie par ce que j'entends que ma toux s'arrête enfin pour me laisser sans voix. Face à ce soudain silence, papa poursuit :

- Tu vois ?

Maman ne répond rien, mais je l'entends emboîter le pas à son mari. Il est parvenu à la convaincre que je jouais la comédie et elle a aussitôt cessé de se soucier de moi. Mes dents se serrent. Je commence à sérieusement me demander ce qui les retient de me chasser d'ici.

Je porte la main à ma gorge. Ma quinte de toux est dûe à la sécheresse de ma muqueuse. Il faut que j'aille boire quelque chose. J'enfile une longue veste, rabats la capuche sur mon visage pour cacher mes cheveux en désordre et masquer mon identité, puis attrape mon téléphone et sors de ma chambre, dont je prends soin de refermer la porte.

Je descends l'escalier sur la pointe des pieds. Les voix de mes parents et de Vanessa me parviennent du salon. Heureusement que je n'ai pas à passer devant pour sortir. Je rejoins l'entrée, enfile mes chaussures et ouvre le battant le plus doucement possible. Une fois que je me suis assurée que personne ne m'a entendue, je sors calmement et referme avec autant de précaution, puis m'éloigne au pas, les mains dans les poches, sans prêter attention à la pluie qui commence lentement à s'abattre sur moi.

Une fois arrivée à l'épicerie la plus proche, je me faufile, tête baissée, entre les clients et attrape une bouteille d'eau. Pendant que je fais la queue, j'ai l'impression que tous les regards sont braqués sur moi. Je rentre la tête dans les épaules pour tenter de mieux me cacher, en vain. Cette désagréable impression persiste, se renforçant de seconde en seconde. Quand mon tour vient, je me contente de montrer mon article à l'épicier, qui m'indique son prix. Je pose précipitamment l'argent sur le comptoir et sors à grandes enjambées. Quand l'homme se met à m'interpeller, je m'enfuis en courant.

Seule. J'ai besoin d'être seule. Je ne supporte plus les gens et leurs regards de jugement si pesants ! Je ne m'arrête de courir que lorsque je trébuche contre le rebord dépassant d'une dalle. Je m'affale de tout mon long sur le sol, où je reste allongée, le temps de reprendre mon souffle. Mes vêtements sont trempés, mais je suis insensible à l'humidité et au froid. C'est à peine si j'ai conscience des tremblements de mon corps.

Je serais peut-être restée allongée là pour toujours, si mon téléphone n'avait pas vibré dans ma poche. Une nouvelle notification ? Je m'assieds à genoux et plonge ma main dans ma poche pour vérifier. Oui. C'est bien une nouvelle notification. Elle m'informe d'un nouveau commentaire me mentionnant. Je clique dessus avec un doigt tremblant, pour découvrir ces mots, venant d'un utilisateur inconnu :

"Ce serait mieux pour tout le monde si elle disparaissait."

Mes yeux verts s'écarquillent.

"Oui." lui répond un autre. "Elle ferait mieux de mourir."

Mon coeur se serre.

"Vu son jeune âge, à moins d'un accident ou d'une maladie, ce n'est pas gagné. . ."

"Espérons qu'un tueur la cible !"

Ma gorge se noue.

"Qui voudrait fournir ne serait-ce qu'un effort pour une aussi misérable créature ?"

Je sens des picotements remonter le long de mon nez, tandis que ma vision se trouble.

"Ha ha ha ! Tu as raison ! Même le plus grand des psychopathes serait dégoûté d'être tâché de son sang. . ."

Une larme coule le long de ma joue.

"Elle n'a qu'à nous débarrasser elle-même de sa répugnante personne. . ."

Oh ! Bien sûr ! Pourquoi ne pas avoir pensé à ça plutôt ? Je n'ai plus rien : ni famille, ni amis, ni avenir, alors. . . Il ne me reste plus qu'à mourir. C'est ce que font les gens sans avenir, non ? À quoi bon continuer à vivre quand on n'a pas de futur ?

C'est cette pensée qui me donne la force de me relever pour me diriger vers le bord du pont que je traversais. Je contemple l'eau qui coule en bas. Ma mort soulagerait tout le monde, surtout moi, qui ai suffisamment souffert comme ça. Je m'appuie sur la rembarde pour me hisser dessus. Il ne me reste plus qu'à me pencher un peu en avant et. . .

"Tu comptes vraiment abandonner aussi facilement ?"

Je me fige et murmure :

- Qu'ai-je à abandonner ? Il ne me reste plus rien. . .

"Tu te trompes. Il te restes encore la vie et. . . ta vengeance."

- Hein ? Ma vengeance ?

"Je conçois que la vie te soit insupportable. Libre à toi de mettre un terme à tes jours si l'envie te dit, par contre. . . Il est hors de question de partir en laissant celle qui t'a trahie profiter de tout ce qu'elle t'a volé. Tu ne peux peut-être pas récupérer tout ce qu'elle t'a arraché, mais tu peux t'arranger pour qu'elle n'en jouisse pas."

- Tu as raison. Une telle injustice est intolérable !

Je descends de la rembarde et reprends le chemin de la maison. Je n'ai plus aucun avenir, alors, souhâtes, je vais mourir, mais je ne le ferai pas seule.

- Nous sommes nées ensemble, Vanessa, alors il est naturel. . . que nous mourrions ensemble. . .

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