Le serpent et le chien : trahison et fidélité

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- Fini ! m'exclamé-je avec un soupir de soulagement.

- Bien, mademoiselle, me félicite Tsad. Maintenant, nous pouvons ranger ces documents dans les archives.

Sur ces mots, il pose une pile de papiers dans mes bras, si haute qu'elle remonte jusqu'à sous mes yeux, puis s'empare du reste des contrats, qu'il répartit entre ses deux mains. Il les fait même tenir sur ses indexs, sous mes yeux ébahis, afin de claquer aisément des doigts. Aussitôt, le bureau recule vers la porte et le tapis s'enroule, révélant une trappe, qui ne tarde pas à s'ouvrir "toute seule", mais je devine que Tsad n'est pas directement responsable de ces déplacements. . . Ce dernier me lance avec un sourire mystérieux :

- Honneur aux demoiselles. . .

Je m'approche précautionneusement de l'ouverture. Elle donne sur un escalier, dont l'autre extrémité est engloutie par les ténèbres. Je lance un regard interrogateur au majordome, qui se contente de me fixer avec la même expression énigmatique. Seulement, il a repris son apparence de jeune brun séduisant et je crois lire une lueur d'amusement dans son regard écarlate, qui me rappelle celle de Lucifer. . .

Je m'engage lentement dans l'escalier, scrutant l'obscurité, en contrebas, afin d'apercevoir ce qu'elle me cache, en vain. Ce n'est qu'au bout de quelques longues secondes que Tsad me dit enfin :

- Nous sommes arrivés.

Je me fige donc. J'entends le domestique prendre une profonde inspiration, puis souffler. Au même moment, une flamme passe à toute vitesse à côté de moi, m'arrachant un sursaut. Elle se divise rapidement pour allumer différentes torches. Ce n'est qu'alors que je constate que nous sommes loin d'être arrivés au bout de cet escalier : il se poursuit, semblant ne pas vouloir se finir. Il est encadré de plusieurs meubles sur lesquels reposent différents parchemins, allant du sol au plafond, qui le suivent aussi dans sa course infinie vers les profondeurs de la Terre. . . J'observe tout cela avec une bouche et des yeux arrondis par l'émerveillement.

- Bienvenue dans les archives universelles du Diable, me souhaite le majordome. Elles partent du centre de la Terre, des documents les plus anciens aux plus récents. Sur la gauche se trouvent les contrats signés avec des démons et, sur la droite, les pactes conclus avec des êtres humains.

- C'est. . . fascinant. . . vraiment. . . Jamais je n'aurais pu imaginer une chose pareille, soufflé-je.

- Monseigneur vous impressionnera toujours, affirme-t-il avec sérieux et amusement mêlés.

- Si je comprends bien, il a au moins autant de fidèles que de parchemins sur la gauche de cet escalier ?

- Oui, enfin, presque.

- C'est-à-dire ?

- Parmi tous les contrats se trouvant sur la gauche, seul un s'est avéré avoir finalement été signé avec un traitre, ce qui explique le durcissement des mesures dont je vous parlais tout à l'heure. Monseigneur a donc au moins autant de fidèles que de parchemins sur la gauche, moins un, mais ce n'est pas la raison de notre venue ici. Je vous laisse ranger les documents que je vous ai confiés, dit-il en s'éloignant pour en faire de même.

Il se dirige vers la droite. Je jette un coup d'oeil au premier document de ma pile et me tourne vers la gauche. En enroulant les parchemins pour les poser un à un sur les étagères vides, je constate qu'un serpent est représenté sur leur dos. Le serpent. . . Les souvenirs d'un lointain cours d'arts plastiques me reviennent en tête. Ce jour-là, notre professeur nous avait expliqué que dans les oeuvres chrétiennes, le serpent représentait la tentation et la trahison, en référence au jour où le Diable en aurait pris la forme pour tromper le premier couple humain et le pousser à manger le fruit défendu, les privant, ainsi que leurs descendants, du Paradis et de l'immortalité, à moins de les mériter dans leur vie post-mortem. . . Je me demande alors si cette anecdote est exacte, car Lucifer m'a fait remarquer que tout ce qu'on racontait sur lui n'était pas forcément vrai. . .

Je fronce les sourcils. Si le serpent représente pour Dieu et les chrétiens la tentation et la trahison, il doit avoir la signification inverse pour leur plus grand ennemi. Cela expliquerait pourquoi il marque les contrats passés avec ses serviteurs de cet animal. Ce serait totalement illogique qu'il frappe ses fidèles du symbole de la trahison. . . Le serpent doit donc représenter pour Lucifer la fidélité, puisque ceux qui trahissent Dieu et les chrétiens le font forcément en se ralliant à sa cause, mais alors. . . Quel est le symbole de la trahison pour mon patron ? Mon regard monte automatiquement vers le plafond, comme si la réponse était inscrite dessus. Si je suis ma logique, je dois commencer par me demander quel est le symbole de la fidélité pour les chrétiens. C'est facile : le chien. J'ai alors un déclic. Je laisse ma pile de documents de côté pour parcourir rapidement le côté gauche de l'escalier, scrutant attentivement tous les parchemins qui m'entourent.

Je me rends rapidement compte que si l'escalier descend bien jusqu'aux profondeurs de la Terre, je risque d'en avoir pour une vingtaine de jours de recherche, sans compter le temps de repos, mais ça en vaut la peine et, puis, avec un peu de chance, le contrat que je recherche ne remonte pas à si longtemps que ça. . .

*

J'ignore depuis combien de temps je marche. Mes pieds me font mal, mais je suis bien décidée à ne pas baisser les bras. Je ne m'arrêterai que lorsque je m'écoulerai de fatigue et je reprendrai aussitôt que je me serai suffisamment reposée, jusqu'à le trouver. Plus on descend dans les profondeurs de la Terre, plus il faut chaud et plus les meubles où sont entrposés les contrats sont hauts. Mes pieds, épuisés et endoloris, finissent par me lâcher. Je tombe à quatre pattes en lâchant un petit gémissement de douleur, qui se confond dans un soupir. Je suis essoufflée et les battements de mon coeur résonnent dans ma poitrine. Il serait peut-être temps de remonter dans ma chambre pour me reposer. Je grimace en pensant aux escaliers que je vais devoir remonter, puis redescendre le lendemain, puis je me souviens que Lucifer m'a donné la possibilité de me téléporter à ma guise dans le cadre de mon travail. Je ne me suis pas encore habituée à ce nouveau pouvoir, si bien que je garde encore mes vieux réflexes d'humaine ordinaire. Un sourire amusé se dessine sur mon visage, tandis que j'essuie la sueur sur mon front d'un revers de manche et c'est là que je le vois. . .

Au sommet d'un des meubles se trouve un parchemin, qui, au lieu d'être marqué d'un serpent comme tous ses semblables, est orné d'un chien, assis et tirant la langue en penchant la tête sur le côté. Un large sourire de triomphe illumine mon visage et je parviens à trouver la force de me relever pour escalader les étagères jusqu'à ce dernier. Comme elles sont peu espacées, elles font presque office d'échelle et j'arrive à destination sans grande difficulté. Je m'empare alors du document en m'exclamant :

- Je te tiens !

Contrairement à ce que l'on pourrait penser, cette phrase est plus destinée à Lucifer qu'au papier, mais qu'importe. Tout ce que je veux pour le moment, c'est découvrir son contenu. Je redescends donc rapidement et m'adosse à l'un des meubles pour dérouler le parchemin. Le contrat aurait été signé avec un certain Joshua Yuda. Je hausse un sourcil. Un non hébreu pour un ex-serviteur du Diable ? Il serait entré à son service en jurant de se dévouer à lui corps et âme en reconnaissance du soir où il lui a sauvé la vie, ainsi qu'à sa famille. . . Celle-ci est présentée dans les moindres détails juste en dessous des clauses du contrat : Salomé, son épouse, ainsi que leurs deux filles, Mi'hal et Sarah, des jumelles. . .

J'ignore pourquoi, mais à cet instant précis, le souvenir du soir où Lucifer a emporté Mia frappe ma mémoire de plein fouet. Je me remémore ses paroles, dites dans un sourire sadique, et ça me donne la certitude que ces deux petites sont encore en vie et je crois savoir où. . .

Tous les éléments se connectent dans ma tête en une fraction de seconde. Les battements de mon coeur s'intensifient et ma respiration s'agite davantage. La tête me tourne, j'ai presque l'impression que je vais m'évanouir, mais ce n'est pas le moment. Je dois absolument en parler aux jumelles, voir si ces noms et toutes ces informations leur disent quelque chose, afin de confirmer ma théorie.

Je me redresse donc tant bien que mal, en serrant le parchemin contre mon coeur. Un tourbillon de flammes m'entoure et, lorsqu'il se dissipe, je me retrouve dans le grand hall d'entrée. Il est totalement désert. Elles sont peut-être dans ma chambre, en train de procéder au rangement de celle-ci. Je me précipite dans l'escalier pour partir à leur recherche, mais alors que je traverse le couloir en courant, je me cogne brutalement à un virage. Une main se pose sur ma taille et l'autre vient enserrer mon poignet, tandis que le document m'échappe, roulant un peu plus loin sur le sol.

- Quelle est la cause d'une telle précipitation ? me demande une voix que je ne peux que reconnaître.

Je détache mon regard du contrat pour découvrir Lucifer penché sur moi. Sa longue queue de cheval argentée passe sur son épaule pour glisser le long de son torse. Il me fixe d'un air interrogateur. Je sens une boule se former dans mon estomac et ma gorge se nouer, alors que les battements de mon coeur s'accélèrent et que mes joues prennent subitement feu. J'ai l'impression d'être habitée par deux sentiments contradictoires, mais je n'ai pas le temps de réfléchir à ce que je ressens. Je dois absolument parler aux jumelles sans que Lucifer ne se rende compte de. . .

Au même moment, le regard du démon se pose sur le parchemin tombé à terre et s'écarquille instantanément. Son air jusque-là calme se durcit et son emprise sur moi se resserre, m'arrachant un gémissement de douleur.

J'ignore ce qui me passe par la tête et je ne prends même pas le temps de m'en soucier : je laisse échapper une flamme de ma main, utilisant ainsi pour la première fois cette faculté contre celui qui m'en a dotée. Ce dernier laisse échapper un grognement mêlant surprise, douleur, frustration et rage. Je profite de son étonnement face à ma réaction innattendue pour me dégager de son emprise, ramasser le parchemin et fuir aussi loin que possible.

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