Elle s’était réfugiée dans les ruines d’un temple oublié, là où même les prières refusaient de résonner. Ses pas n’avaient pas eu le temps de trouver une pièce fermée. A bout de souffle, elle s’allongea sur le dos et plia ses jambes.

Chaque contraction était un coup de tonnerre dans son ventre, mais ce n’était pas la douleur qui lui arrachait des larmes : c’était la peur de ce qu’elle allait mettre au monde.

Le ciel noir perlé d’étoiles se voila d’une brume rouge. Ses yeux se plissèrent, laissant une goutte de sueur tomber sur sa joue. Au-dessus d’elle, à travers le toit en ruine, elle s’étonna de la voir changer si rapidement. D’une habitude blanche, belle et ronde, brillante, ce soir-là c’est un phare de sang qui éclaira le ciel. Rien ne serait jamais plus pareil.

Le hurlement qui monta en elle n’eut pas le temps de franchir ses lèvres. Il se bloqua dans sa gorge, étranglé par l’effort.

Son corps se cambra malgré elle. Ses mains se crispèrent sur les pierres froides et couvertes de mousse, ses ongles s’y enfoncèrent comme pour s’accrocher au monde. Une nouvelle contraction – plus forte que les précédentes - déchira ses entrailles.

Elle avait cru être prête à tout. Elle s’était trompée.

Ses souffles étaient courts, saccadés. Elle se forçait à ne pas fermer les yeux, à rester consciente. Chaque battement de cœur résonnait dans ses tempes.

Elle avait connu la guerre, la mort, les larmes et le sang. Rien de tout cela n’était comparable à ce moment.

• Pas maintenant... pas ici... murmura-t-elle, plus pour l’enfant que pour elle-même.

Mais le monde ne l’écoutait plus à présent.

Quelque chose arrivait, et quelque chose partait. Elle sentait son esprit, son âme se détacher.

• Tu m’avais promis... d’attendre...

Une promesse, un pacte qu’il n’allait donc pas tenir.

“Je n’ai rien promis ma chère.” fit une voix monotone.

Ses dents se serrèrent et elle hurla une fois de plus. Elle ne savait plus si la douleur venait de son ventre ou de la voix. Tout se mélangeait.

Le monde vacillait, la pierre sous son dos semblait battre au même rythme que son cœur. Une brûlure immense la traversa – une ligne de feu du ventre jusqu’aux cuisses. Elle hurla encore, le cri se brisa dans la nuit.

Puis, le silence.

Un instant figé, suspendu. Le vent s’arrêta. Le ciel, rouge sang, sembla retenir sa propre lumière. Et enfin, un son, faible, guttural, vivant.

Elle ouvrit les yeux et usa de ses dernières forces pour s’assoir. Ses bras tremblaient quand elle souleva l’enfant. Il était là, recouvert de sang et de silence.

Elle posa l’enfant contre sa poitrine, cherchant son souffle, son cœur, une réponse.

Une respiration fragile, à peine perceptible, glissa contre sa peau comme une promesse murmurée dans le chaos. Un frisson étrange traversa le creux de ses mains – ni froid, ni chaud, mais une vibration ancienne, un murmure venu d’ailleurs.

L’enfant ouvrit les yeux. Ils n’étaient pas bleus, ni vert, ni aucune couleur qu’elle avait déjà vu. Un gris profond, presque comme une brume – un regard qui semblait contenir une énigme, un secret plus lourd que la vie elle-même.

Elle voulut sourire, mais ses lèvres restèrent figées. À cet instant précis, quelque chose se scella. Quelque chose qu’elle ne pouvait ni comprendre, ni contrôler. Elle sut, au plus profond d’elle, que ce nouveau souffle changerait le monde – ou le détruirait.

Le temps perdit toute signification, elle glissa hors de la nuit, portée par une présence silencieuse qui emportait tout sur son passage, l’amenant vers une vérité qu’elle ne pouvait encore concevoir.

*

Voici le prologue d'une nouvelle histoire que j'écris en parallèle de "La mage aux moustaches", je sais 2 histoires en même temps c'est pas conseillé, mais je voulais écrire quelque chose de plus sombre. Je publierais les deux à tour de rôle, n'hésitez pas à laisser votre avis