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L'immense Medera s'élève devant lui. Le soleil éclate en lambeaux radieux sur les vitres brisées de sa citadelle argentée. Le sable balaye sa façade, porté par l'haleine chaude que soufflent les Terres Désolées. Semi transpire. Son chien, Hapy, halète. L'animal a soif. Semi s'empare de sa gourde, boit une gorgée et hydrate son molosse dont la langue s'agite, frénétique, sous la pluie de fraîcheur qui s'abat sur lui. Une caresse sur son poil dru, asséché par le Blanc Désert, et Semi se redresse. Il observe les vestiges centenaires d'une société disparue.

  • Hapy, on y va.

Le chien jappe. Voilà longtemps qu'il attend ce moment. Deux jours depuis la forteresse de Reeva. Cinq depuis Damzaat, la cité-état où son compagnon humain refourguera les reliques qu'il est venu chercher dans ces ruines délaissées. Un dernier coup d'œil au radiamètre : ne pas traîner. Semi remet son masque et avance. Il court. Hapy file devant lui, sa truffe en alerte ; sa race ne craint plus l'exposition aux radiations.

S'ils se débrouillent, bientôt, la viande de saurien sera un lointain souvenir. Semi y croit. Medera inquiète. Elle se dresse aux abords d'un désert de sable blanc que les groupes tribaux appellent Kuvir. À Damzaat, on le nomme Blanc Désert. On ne s'y aventure que pour fuir la terreur du Protectorat ; on devient maraudeur ou charognard si l'on n'est pas dépecé vivant par les bêtes avides de chair humaine. C'est ce qu'on dit. Peu sont revenus pour le raconter. Mais Semi ne craint pas. Il sait, c'est tout, et des légendes, il en a eu son lot. Son trésor, c'est dans le ventre de la citadelle qu'il le trouvera. Il s'en rapproche, saute par dessus les gravats, s'enfonce dans la gueule des monstres de béton et d'acier qui grincent sous le souffle du vent.

Les tours de la citadelle, encastrées les unes dans les autres, menacent toujours de s'effondrer. Les zones résidentielles ont été maintes fois pillées, mais ce bâtiment qui recèle des secrets jalousement gardés a été épargné. Autrefois, on ne pouvait y accéder à cause de la radiation trop élevée. Aujourd'hui, Semi espère être un pionnier. L'élite veut du vrai, de l'authentique, et peut-être même que le pilleur trouvera de l'utile et de l'insolite. S'il ne s'y risque pas, la puanteur et l'étroitesse de Damzaat finira par le consumer. Il en a besoin. Il le veut. Maintenant.

Il se faufile. Hapy contribue. Il déblaie le passage à l'aide de son museau et de puissants coups de pattes. La citadelle reprend vie sous l'écho de leurs pas empressés. C'est l'impatience. Mais cela n'empêche pas d'être attentif. Les oreilles dressées, Hapy guette et Semi scrute. Quelque chose fait comme du bruit. Un rongeur. Quelconque. Semi reprend sa quête. Il fait plus frais ici qu'au dehors. Il ne traîne pas. Pour autant, il découvre. On dirait que d'autres avant lui ont eu la même idée. Encore faudrait-il qu'ils soient malins. Semi, lui, a l'habitude. Il fait ça depuis trop longtemps pour pouvoir se tromper.

C'est un autre vacarme qui l'interpelle. Des cris et le fracas de corps qui se heurtent dans un boucan du diable. Hapy grogne puis aboie avant de foncer vers sa provenance. Semi veut le retenir, mais parfois, ce clebs n'en fait qu'à sa tête. L'humain le poursuit à travers ce dédale chaotique. Il grimpe tandis que la bête donne l'illusion de voler au dessus des marches, et ce n'est qu'au bout de plusieurs étages étonnamment penchés qu'il peut enfin s'arrêter.

Hapy s'est figé devant une pièce dénuée de porte. Son ombre s'écrase sur le sol car le soleil, vif et brûlant, est au plus haut, et ses rayons s'infiltrent par les fenêtres pulvérisées. Dedans, un homme massif s'en prend à un autre, petit et fluet. Ce dernier est projeté contre un mur et manquera sûrement de se relever. Pas étonnant. Ici, quelle loi pourrait empêcher un homme d'en briser un autre pour les raisons qui lui sied ? Semi ne veut pas s'en mêler, mais Hapy grogne encore et menace.

  • Hapy, viens ici ! chuchote Semi.

L'animal est trop excité. Il croit sûrement qu'ils sont là pour les doubler. Si son humain ne repart pas avec un magot, en rentrant, ils mangeront encore cette foutue carne bouillie dans une eau douteuse.

  • Hapy !

La bête charge. L'assaillant l'a remarqué. C'est un autre combat qui s'engage, moins facile et plus dangereux pour la montagne de muscles qui râle sous les crocs du canidé mutant. Un violent coup de genoux dans sa gueule le fait lâcher ; l'homme l'attrape par la peau du cou et le jette à travers la pièce. Semi n'a d'autre choix que d'intervenir pour éviter que son compagnon ne s'abîme davantage.

Il y a de quoi être impressionné. C'est un colosse qui rugit face à lui. Il ne porte ni masque ni lunettes pour se protéger. Son visage buriné, dont les gros yeux cherchent à s'extirper, est taché de sang et peinturé de motifs étranges que Semi n'a pas le temps de déchiffrer. L'homme lui fonce dessus en poussant le cri d'une bête enragée – il en a tout l'air avec ses cheveux qui lui collent à la face et la bave qui coule de sa bouche d'ogre édenté. Semi a tout juste le réflexe d'esquiver. Il cogne mais l'homme est plus fort. Il pare son coup et l'envoie valser au sol d'une seule frappe. Hapy surgit à nouveau, les crocs dehors, et ne lui donne aucun répit, ce qui laisse à Semi une chance de tirer le surin accroché au dos de sa ceinture. Il saute à son tour au moment où Hapy est défait, plongeant sa lame dans l'épaule de l'homme qui hurle avant de le jeter une nouvelle fois au sol. Putain. Ce foutu monstre est coriace. Semi roule alors qu'il s'apprête à l'écraser sous sa bottine. C'est là qu'il aperçoit une barre de fer qui gît non loin de sa main. Il va pour l'attraper mais est saisi par le col avant d'être soulevé comme une vulgaire poupée.

  • Putain mais tu veux pas crever ?! crache-t-il à la face de l'homme qui rit.

Décidément, Semi ne reconnaît pas les marques sur sa figure. Ses grosses mains cherchent à l'étrangler. C'est encore Hapy qui intervient en plantant ses crocs dans les mollets. Semi tombe une nouvelle fois. Il s'empresse de ramasser la barre pour asséner un premier coup dans le jarret. L'homme ploie, Semi réitère, Hapy vise la gorge. Le sang gicle. Les gros yeux s'écarquillent sous la douleur et la main noire de saletés se tend vers le pilleur. Ce n'est pas suffisant pour implorer sa clémence. Semi frappe en plein visage. Une, deux, trois fois. Jusqu'à ce que l'ogre sombre enfin, la bouche ouverte, les yeux révulsés, le crâne réduit en bouillie par la main de ce qui semble être un enfant à côté de lui.

Enfin, se dit Semi. Il lâche la barre de fer et jette un regard alentour. Celui par qui tout a commencé est toujours inconscient, alors il reporte son regard sur le monstre qui gît à ses pieds. Il est temps de reprendre la fouille. Il se penche, récupère son précieux surin et palpe les poches pour en sortir quelques coupons, ainsi qu'un chapelet de billes noires et abîmées. Ça, il le jette. Aucune utilité. Mais les coupons...

Il lève les yeux, un sac traîne dans un coin de la pièce. Si seulement ça pouvait être son jour de chance ! Hapy lèche ses blessures – superficielles – tandis qu'il avance vers l'objet. Et cette fois, c'est le gros lot : des coupons, y'en a pour ce cycle et le suivant ! Il salive déjà sur son prochain repas, s'imagine la douche qu'il prendra après avoir goûté aux plus belles chattes de Damzaat !

  • Hapy ! T'as eu le flair, mon vieux ! Avec tout ça, même le Gouverneur va s'aligner pour sucer ma putain de queue !

Le chien aboie. Semi continue de fouiner. Il trouve un carnet plein de dessins et d'écriture. C'est con qu'il ne sache pas lire. En même temps, par ici, on peut pas dire que ça serve à grand chose. C'est un truc de l'Ancien Monde, ça. Peut-être que ça plaira aux gars du Protectorat... Là, au fond, des barres protéinées. Il en prend une et l'enfourne en deux bouchées. Ça a le goût des vers avec lesquels ils sont fabriqués. Semi les préfère quand ils sont frais. Il trouve aussi de quoi soigner, un couteau, des vêtements, une couverture, encore des gribouillis... Sérieux, qu'est-ce que ça raconte tous ces petits signes ? L'un d'entre eux lui rappelle les marques sur le visage du colosse. Une croix... comme sur le drôle de collier qu'il a trouvé plus tôt...

  • Allez, Hapy. On bouge. On n'a même pas besoin de piller avec tout ça !

Le chien gémit. Il s'approche du mec inconscient et lui renifle la figure.

  • Hapy, allez ! répète l'humain en se redressant.

Mais la bête ne bouge toujours pas.

  • Écoute, s'il sait pas se débrouiller, il crèvera de toute façon. On peut pas sauver tous les péquenots qu'on croise...

Et puis surtout, s'attarder, c'est prendre plus de risques. Ils pourraient se retrouver coincés alors qu'ils ont déjà tout gagné.

  • Hapy !

Le bougre n'en démord pas. Il s'assoit, la langue pendue. Il sait lequel des deux cédera. Dehors, le vent se lève. En général, c'est mauvais signe.

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