Strip or not strip

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La Cima road déroule son asphalte sous les phares du monstre à six roues. On longe la voie ferrée sur des miles et des miles, lorsque Les Yeux bleus pile en plein milieu de la route. Elle sort du van en courant et disparaît dans le noir. Je me dis que le lézard n’est pas passé et qu’une envie pressante veut l’éjecter, mais je l’entends gueuler mon prénom.
– Marsh, hey Marsh, viens voir ça !
Je sors à mon tour. Elle est plantée sur le bas-côté et regarde passer un convoi ferroviaire. On le distingue plus au bruit qu’à la vue, mais sa longueur est impressionnante.
– J’ai jamais vu un train aussi long, dit-elle en rigolant. T’as vu ça ? Au moins cent wagons !
Sa joie me fait sourire. C’est normal qu’un ange n’ait jamais vu un truc pareil.
On est resté un moment à le regarder passer puis disparaître. L’air doux du désert est agréable. J’ai pas sommeil et Les Yeux Bleus me semble requinquée par les quelques heures de repos de tout à l’heure. Je lui dis :
– Tu veux voir un truc encore plus incroyable ?
– Je te vois venir, Marsh.
– Bah, l’autre ! Reprends le volant, je te guide.
Vingt minutes plus tard, on se gare sur un petit parking.
– On est où ? me demande Les Yeux Bleus.
– Tu verras. Prends ta peau d’ours, je m’occupe de porter le matelas.
– Tu crois que tu vas me faire pieuter dans le désert ? Tu rêves ! Et je ne te connais pas. Qui me dit que tu vas pas m’assommer et me laisser pourrir dans la poussière ?
– Personne. Tu fais comme tu veux, mais moi j’y vais.
Je descends du monstre et m’enfonce sur la piste. Je n’ai pas fait dix mètres que j'entends :
– Attends-moi, merde.

Un peu plus loin, je m’éloigne de la piste et dépose le matelas au sol. Des arbres fantomatiques nous entourent, elle a peur et se colle contre moi.
– Stresse pas, dis-je, ils sont inoffensifs. Vas-y, allonge-toi.
Elle s’efface sous le plaid pour ne laisser réapparaître son visage que quelques minutes plus tard. Moi, je suis allongé les bras derrière la tête et je parle doucement.
– Qu’est-ce que tu fais, Marsh ?
– Je parle aux arbres. Regarde, ils me répondent en bougeant sous le léger souffle du vent.
– Ils sont bizarres ces arbres. C’est quoi ?
– Des Joshua Tree. Et tu vois les étoiles au-dessus d’eux ?
– Oui, dit-elle doucement. C’est magnifique. On dirait qu’ils ont des mains et qu’ils balayent les nuages pour ne laisser qu’un ciel parfait.
– Mmm
Elle s’est endormie comme ça, tout contre moi. Moi aussi.

À LV, on y est le lendemain matin. On a roulé sans rien dire, encore dans nos bulles. Le van garé, on a descendu le Strip à pied.
Si la démesure a un nom, c’est forcément Las Vegas. Ici, rien ne respire l’authentique, tout est à vendre ou à jeter. Ici, rien n’est fait pour que tu gagnes. D’ailleurs, la ville ne s’est construite que sur les losers.
Les Yeux bleus paraît perdue au milieu de cette folie, je la comprends. Tout n’est que gâchis, faux semblant, faux miroirs. Mais on s’en fout, j’ai un mega-paquet de thunes à cramer, alors on entre au Bellagio, et tant qu’il me reste un dollar, on va jouer, et gros.

J’échange des jetons et je m’assieds à une table de poker qui affiche 5000 dollars mini de mise.
Les Yeux bleus va se promener dans la salle pour griller quelques bandits manchots, lorsqu’elle revient, elle tient un sac plein de pièces, alors que moi je pleure mes jetons. Mais sa présence change la donne. Je remporte une mise, puis deux, encore une. Les mecs autour de la table me regardent par en dessous, en particulier un type aux dents d’or. Un sourire carnassier qu’il a le gars, un sourire aux ratiches qui valent 10000 dollars chacune. Au bout d’un moment, il ne reste que nous deux, et Les Yeux bleus. Les dents du dude rayent la feutrine, il est sous pression. Il balance tout ce qu’il a sur la table et me fait un fuck. Je le suis. Il abat son jeu. Carré aux neuf. Il se marre, se penche pour ramasser le pognon quand je lui fais signe non avec un doigt. Sa tronche se décompose, se liquéfie, s’évapore. Une par une je retourne mes cartes. 10 de cœur. Valet de cœur. Dame de cœur. Roi de cœur. As de cœur. Une quinte flush royale.
Mon ange, je te dis.

Tout à coup, c’est le branle bas de combat. Le responsable des tables déboule accompagné du big boss. Le vide se fait autour d’eux, puis autour de nous. Je ne sais pas comment, je me retrouve avec sa paluche dans la mienne, alors qu’il nous entraîne dans les couloirs de l’hôtel. Il cause, il cause tant que je ne comprends rien, et on se retrouve dans son bureau.
– Holy shit guys, you broke the bank ! qu’il baragouine le boss.
Les Yeux bleus ouvre ses grands yeux bleus. Elle comprend que dalle. Je lui traduis en direct.
– Il dit qu’on a fait sauter la banque… que demain matin on aura notre chèque… que c’est la première fois que ça arrive… qu’il n’en revient pas… qu’on est ses invités pour le reste de la journée et la nuit dans sa plus belle suite au sommet du building.

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