37. Le chat aux huit queues

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18e jour du 9e de l’an XII945

Levira Baskerville avait passé une mauvaise nuit. Elle essayait de comprendre ce qui s’était passé la veille alors qu’elle tentait de prendre contact avec Kem. Elle n’avait pas compris ses mots. Malgré son appel des plus intense, elle n'avait pas réussi à le faire venir jusqu'à elle. Il avait dû se passer quelque chose au Consistorium.

Elle se leva et après une brève toilette s’habilla et sortit du gigantesque manoir qu’était la demeure des Greyfox. Elle traversa la ville jusqu’à la grande place et aperçut la jeune Silva. La jeune fille lui fit un signe de main et la rejoignit.

- Vous z’avez fait vite m’Lady, dit-elle.

- Si même le Consistorium n’a pas pu trouver ces meurtriers en presque trois semaines, je ne pense pas pouvoir me permettre le luxe de perdre mon temps, répondit Levira en riant. Avez-vous réussi à trouver quelqu’un ?

La jeune blonde hocha la tête et la conduisit à un homme dans la quarantaine.

- Voici Jeord Mam’zelle, présenta Silva. Il a vu d’où ont débarqué les ordures qu’ont saccagé not’ ville.

- Miss, grogna le concerné en s’inclinant de mauvaise grâce devant Levira.

Et bien, songea Levira. Il faut croire que mon amitié avec Silva tient du miracle compte tenu de la sympathie que l’on me témoigne.

- S’cusez ce vieux paresseux mam’zelle. Il est déçu d’pas avoir vu la p’tite sauterie du mois, ironisa la jeune fille en jetant un regard noir au quadragénaire.

- Surveille ton langage Silva, sermonna le dénommé Jeord. Si tu veux pas avoir d’ennui plus tard il faudrait que tu apprennes à respecter tes aînés.

- Et on m’a aussi dit qu’remettre un alcoolo à sa place c’est pas plus mal, riposta la jeune fille qui après réflexion de la part de Levira avait une langue plutôt bien pendue.

- Heureusement pour toi que je suis indulgent parce que traiter quelqu'un d'alcoolique sans raison ça pourrait te valoir une bonne correction, soupira l’autre.

- Si tu l’dit, soupira-t-elle à son tour. Figurez-vous Miss, reprit Silva en se tournant vers la duchesse Baskerville, qu’ce vieux avait la tête complètement à l’ouest le soir du massacre. Il n’a malheureusement pas pu prend’ part aux festivités, rajouta la jeune blonde avec ironie.

- Ne viens pas pleurer si ta langue te vaut quelques sermons, répondit l’homme, déclarant forfait devant la petite libertine.

- Enchanté M. Jeord, répondit Levira.

- De même Miss, maugréa à nouveau le quadragénaire.

Enchanté dans la mesure où tu me donneras enfin un indice le vieux. J’en ai assez d’avancer dans le noir…

Heureusement que ce ne fut pas la patiente Licana Silverius qui se tenait devant ce agréable bonhomme, parce que bien que le pays était bien assez dans la mouise cette petite arrogante n'hésiterait pas une seule seconde à déclarer la guerre au duché des Greyfox tout entier.

L’homme la mena à travers la ville, passant devant les charpentes calcinées et les pierres brisées. Ils s’enfoncèrent de plus en plus profond dans les petites ruelles exiguës de la ville. Le trio s’arrêta enfin à l’entrée d’une rue poisseuse où flottait une odeur âcre.

- C’est de là que je les ai vu sortir Miss Baskerville, grogna Jeord.

Levira le remercia et demanda plus de précisions à Silva, peu entrain à continuer la conversation avec ce grincheux qui ne la portait pas dans son cœur.

Cette rue était peu fréquentée et ses riverains n’avaient pas vraiment eu le choix quant à la localisation de leurs logements. Tout d’abord parce qu'étant donné les bâtiments serrés, la position de la rue au bas de la ville et les nombreux culs-de-sac, celle-ci était la plus vulnérables face au inondations. Il arrivait même que l’eau atteigne les fenêtre des étages et pour les plus chanceux seulement une porte bloquée. Mais si la plupart des rues situées sur versant de la colline avaient toutes ce petit problème - que même le duc Alphonse Greyfox peinait à résoudre - celle du Salvateur était vraiment celle que personne ne voulait habiter. Selon Silva, c'était parce que Lord Greyfox haïssait ce nom pour on ne savait quelle raison. Mais la principale raison était que parmi tout ces bâtiments étroits et à moitié décrépi se trouvait la demeure d'un alchimiste.

Ah oui…j’oublais à quel point ces charlatans peuvent être ennuyeux, pensa Levira dans une grimace mal assurée.

Repérer la bâtisse n’était pas bien compliqué, d’un, parce qu’une abominable odeur de souffre s’en dégageait mais également parce qu’un autre avait jugé judicieux d’enquêter sur cette maison encastrée. La maison avait elle aussi prit cher pendant l'attaque, une partie du toit était entièrement noir calciné tandis que tous le coté gauche de la bâtisse s’était effondré.

Levira se sépara de Silva et de Jeord le grincheux pour s’avancer vers la demeure de savant fou. Si il y avait un endroit à examiner dans toute cette ville c’était bien celui-ci. Et visiblement elle n’était pas la seule à y avoir pensé…

- Lord Gilbert ?

Le jeune homme aux yeux froids se retourna vers la jeune fille et fit une courte révérence plus formel que respectueuse.

- Lady Baskerville. Que venez-vous faire par ici ?

- Je peux assurément répondre pour la même raison que vous, répondit Levira.

Gilbert Greyfox baissa à nouveau les yeux vers son inspection, enjambant la pierre et le bois brulé.

Si l’on devait définir le degré de folie d’un individu en fonction du niveau capharnaümique de son habitat, alors cet alchimiste devait sûrement être fou à lier. Fioles et tubes à essai se succédaient autant sur les étagères que par terre - quand ceux-ci n’étaient pas brisés en milles morceaux -, des livres de tailles conséquente jonchaient le sol tandis que certains étaient ouverts et superposés sur un énorme plan de travail. Quant au sol et les murs, âmes sensibles s’abstenir, car Levira ne sut même pas si l’on pouvait encore considérer ces choses comme des murs, et non parce que l’un d’eux s’était effondré. En voyant l’état des autres murs la jeune fille au cheveux bleus se dit que la partie en morceau du bâtiment semblait la plus normale de toute. La pierre était gravée - taillées profondément et sauvagement - de symbole en tout genre, des formules cycliques se concentraient autour d’un point, des arabesques suivies disposées dans tous les sens et serrées en véritables pattes de mouches tandis que des papiers et travaux faisaient office de tapisserie. Et si il y avait bien une chose dont même le plus grand des abrutis se serait abstenu, c’était bien de craquer une allumette dans cette pagaille. Les poudres, et les liquides séchés avaient été projetés dans tous les sens, des dizaines d’odeurs fétides s’en échappant. Une seule étincelle dans cette maison et tous le quartier aurait vite rejoint les étoiles.

Levy fut prise d’une pensée, celle de sa tante et de la crise d'épilepsie que celle-ci aurait faite en voyant ce bazar ambulant. Puis elle posa méticuleusement ses petits pieds entre les appareils mathématiques et chimiques, commençant à fouiller les débris, à la recherche d’un indice.

Du sang…non. Un morceau de tissu rouge sang. La minuscule pièce de tissu était coincée dans les gravats. Levira l’arracha d’un coup sec, ne pouvant refouler sa colère. Ils étaient bien passés par là. Ces meurtriers étaient passés par là, et l’alchimiste fou leur avait servi une cachette toute prête. Levy grinça des dents et se remit à fouiller.

- Silva m’a dit pour votre ami.

La jeune fille s’arrêta un instant, la voix du jeune homme en tête.

- Ce n’est pas vraiment ce que devrait dire une duchesse mais la violence est parfois le meilleur des tranquilisant, répondit-elle la voix lourde.

Ça recommençait…Elle n’arrivait pas à soutenir ce regard.

- Il devait compter bien plus que les autres à vos yeux pour penser ainsi.

Pas du tout…Vous seriez même surpris de savoir à quel point vous pouviez parfois me sortir par les yeux !

- Je l’aimais bien.

- Seulement ? fit Gilbert Greyfox surpris.

Si seulement vous vous doutiez de qui je parle, gloussa tristement Levira.

- Il était brave…

- Ça ne doit pas être un noble dans ce cas là, grogna le jeune homme.

Vous l’êtes…sûrement plus que vous le croyiez…

- Plus brave que n’importe qui…

Assez brave pour tenter de sauver une pauvre folle que vous détester.

Levira déroula un parchemin traînant sur le sol, couvert de formules. Elle souhaitait seulement qu’il arrête de lui en parler. Qui plus est savoir qu’ils étaient en train de parler de lui-même rendait la scène particulièrement gênante à tel point que Levira eut envie de rire, malgré la culpabilité qui lui pesait sur le cœur. Une situation qu’elle trouva particulièrement ignoble.

- Désolé pour votre ami.

Levira se mordit la lèvre.

C’est moi qui suis désolée…

Gilbert Greyfox se releva et partit fouiller une autre pièce, laissant une Levira au bord des larmes derrière lui.

La jeune fille inspira un grand coup puis chassa cette pensée de sa tête. Ce n’était guère le moment de s’en vouloir. Elle fouilla entre les parchemins, trop serrés les uns contre les autres pour qu’elle ne puisse voir la lame cachés entre eux. Elle sentit une douleur aiguë lui traverser le doigt et du sang coula sur la lame. Intriguée la jeune fille prit la lame pour constater avec exaspération que l’alchimiste ne gravait pas ses travaux uniquement sur du papier - qui sait, peut-être était-il en rupture de stock, songea-t-elle....

Rappelez-moi de ne jamais entamer la causette avec un alchimiste…

Elle suça l’entaille puis se releva. Pendant tout le reste de la fouille, Levira ne nota que la gravure sur métal n’était qu’un détail passable concernant la folie du « scientifique » qui eut occupé les lieux précédemment, car après avoir éjecté les montagnes de papier remplies de formules et de caractères minuscules, la jeune fille se retrouva…avec encore des formules et des caractères minuscules.

Mais c’est plus de la folie à ce stade là ! C’est de la rage !

Aucun mot ne pouvait être plus exact que celui qu’elle venait d’employer. La table elle aussi avait été tailladée sauvagement en forme cyclique, des cercles, symboles anciens, ratures et schémas avaient été gravée, et pas seulement dessus, mais aussi en dessous, sur les cotés et sur les pieds - et en dessous également.

L’heure défila à grande vitesse, sans que la duchesse où son hôte ne trouvèrent quoi que ce soit.

Tac.

Levira tendit l’oreille. Un petit bruit fugace résonna dans sa tête.

Tac.

Elle se tourna, faisant face à l’une des pièces de la maison dont la porte était grande ouverte. Puis en baissant les yeux elle remarqua deux petits éclats dorés sur le sol. Elle s’approcha et d’une main prudente les ramassa. Ce n’étaient que deux petits morçeaux plats d'or, incurvés et brisés, cependant Levira sentit une étrange sensation à leur contact. Il y avait des résidus d’Energie à l’intérieur.

C’était un instrument No Humano.

La jeune fille garda les deux petits morceaux avec elle, pensant tenir une piste. Maintenant il ne restait plus qu’à résoudre le second point intriguant…

- Qui est là ? demanda-t-elle haut et fort.

Silence. Puis un bruit d’air étouffé parvint à ces oreilles, venant de la pièce d’où provenait les morceaux d'or enchantés. Comme un rire étouffé.

- Qui êtes-vous ?

- Maligne maligne la Baskerville mais pas assez pour savoir qui je suis, ricana une voix.

Levira hoqueta, elle reconnaissait cette voix.

- Qui êtes vous ? répéta-t-elle.

- Ah si ! Plutôt maligne ! J’oublie que vous n’êtes pas sensée reconnaître ma voix !

Levira entra dans la pièce et son coeur bondit lorsqu'elle découvrit les éternelles prunelles inversées de la Chouette enfantine à quelques centimètres seulement de son visage. Elle ne bougea pas, le cœur tambourinant dans sa poitrine.

Jurian Weissnachte sourit de toutes ses dents et recula dans une série de bond, puis s’assit sur son épais manteau de plume blanche à même le sol.

- Aaah…soupira-t-il soulagé. Mes instincts ont pris le dessus, mais vous êtes très différentes de votre amie Silverius !

Licana ?!

- En effet. Vous étiez si stoïque, et pourtant si effrayée face à mes yeux. L’opposé totale de cette chère Miss Licana qui à un instinct de conservation...assez développé ! Ma mâchoire s'en souvient encore !

La Chouette aux yeux inversés rit comme si tout n’était qu’un jeu. Levira quant à elle, jura que toute ces histoires lui donnait la migraine.

- Que faites vous là ? demanda Levira.

- Une petite affaire que j'aimerais beaucoup régler, sourit joyeusement Weissnachte. Juste pour confirmation, nous nous sommes vus il me semble au QG Est de votre duché ? J’ai même récupéré mon bracelet dans votre ombre, Mlle Nightway.

Levira hoqueta.

Comment ?

Une Chouette. C’était la pire personne possible qui pouvait découvrir son secret et compte tenu de l’état intacte de sa ville la jeune fille savait qu’elle allait baigner dans des tas de soupçons. Sa double identité avait été mise au grand jour par la pire personne possible, au pire moment. Maudit soit Licana et sa langue trop pendue !

Mais la Chouette hocha la tête en signe de négation, le sourire aux lèvres.

- Ce n’est point votre amie qui vous a trahie Lady Baskerville mais bien votre Mirage.

Le cœur de Levira commença à s’emballer pour de bon. Comment diable cet homme savait-il pour Kem ?

- Au contraire Miss, continua Jurian, elle m’a même donné beaucoup de fil à retordre. Oh ne vous inquiétez pas nous ne l’avons point torturée ! Pas de cela avec les demoiselles, la rassura-t-il alors que le visage de Levira virait au blanc. Mais puisque votre amie a l’esprit aussi "brouillonné" je n’ai pas eu d’autre choix que de regarder dans l’esprit de votre Mirage. Maudits soient ces rats de Griis, murmura-t-il.

- Vous êtes un Clairvoyant ? demanda Levira soupçonneuse.

- Pas du tout Miss ! Je suis un Passe-Partout ! J’espère que vous me pardonnerez ce passage en force dans votre tête.

- Un Passe-Partout de classe supérieure aurait déjà du mal à passer d’ici au Consistorium à travers une porte, remarqua Levira. Mais votre puissance doit être phénoménale pour réussir à entrer dans ma tête.

- Oui on me le dit souvent, sourit la Chouette avec de grands yeux candides.

Par contre concernant la modestie je doute qu’il ait eu beaucoup de félicitations…

- Ce n’est pas gentil voyons !

- Fouiller dans la tête des gens non plus, rétorqua Levira de plus en plus froide et agressive. Je vous sommerais donc aimablement de cesser immédiatement, cette migraine devient insupportable.

La Chouette se retira de la tête de la jeune duchesse et la fixa.

- Vous avez tout fait pour protéger votre petit secret, au point de menacer un duc. Et pourtant vous ne vous énervez pas, vous êtes là le regard froid et insensible comme si votre secret n’était qu’une cachoterie de gamin. Vous vous en fichez pas mal n’est-ce pas ?

Levira regarda la Chouette. Elle tenait à ce que son secret soit bien gardé et qu’il ne remonte jamais. Seulement, rien n’était pareil depuis cette fameuse nuit du massacre. Son secret lui paraissait minuscule, insignifiant et le fait d’être dévoilé au grand jour ne lui provoquait plus qu’une gêne. Ses yeux rouges devinrent froids et tranchants, vide de toute pitié.

- Qu’êtes vous venu me dire Chouette ?

Jurian Weissnachte frissonna. Puis il sourit.

- Vous avez donc compris que votre secret ne valait rien face à la véritable nature de ce monde.

Le regard de Levira se durcit de plus belle, tandis qu’en celui de Jurian Weissnachte toute lueur d’amusement disparut.

- Je suppose que vous n’avez donc aucun problème à ce que votre ami nous rejoigne ?

- Aucune, répondit Levira du tac au tac.

Celle-ci se retourna vers la porte, contemplant la silhouette obscure de Gilbert Greyfox entrant dans la pièce.

- Vous m’aviez donc remarquer ? fit-il quelque peu surpris.

- Vous n’aviez pas vraiment l’air de souhaiter vous cacher, fit remarquer Levira.

- J’imagine que cela doit être la moindre des choses pour une Chapardeuse.

La jeune fille ne releva pas la pique et se concentra sur l’homme aux pupilles inversées.

- Bon maintenant que tous le monde est réunit nous pouvons donc commencer.

- Fais vite Chouette, menaça Gilbert visiblement aussi ouvert à la plaisanterie que la jeune fille.

- Bien bien. Ma requête est très simple : je veux collaborer avec vous.

Si Gilbert fit les gros yeux face à cette demande plutôt incongrue, Levira, en parfaite comédienne n’en montra rien malgré sa surprise.

- En quel honneur ?

- Afin de mettre la main sur ces assassins pyromanes de la Tragédie de Gjavyr.

Levira sentit une tension venant de la part de son voisin et constata que celui-ci serrait le poing si fort qu’il risquait de se saigner la paume. Quant à elle, le rouge lui monta au nez. La colère revint, mais elle n’en montra rien, conservant son masque de marbre.

- Vous avez une piste ? interrogea Gil.

- Disons que nous avions une piste.

- Plus maintenant, pourquoi ?

- Nous avions environ mille prisonniers, en grande partie de Liphia et d’Argo. Mais ça c’était avant que certaines vermines conservatrices qui sont sur les hauts sièges ne décident de tous les éliminer en un seul coup. Résultat tous ceux qui auraient pu nous fournir des informations pourrissent maintenant dans la Geôle.

- L’Arène n'aurait jamais pu supporter mille prisonnier supplémentaires, dit Levy. Ça aurait pu marcher à court terme mais non à long terme, je peux comprendre cette décision.

- Ce qui me dérange, reprit Gil, c’est que l'Inquisition se soit laissée faire.

- L’Inquisition est dans le même état que moi, soupira Jurian. Mais elle n’a rien fait pour empêcher cette erreur, tout ça parce que l’ordre venait d’en haut. Je ne suis qu’une Chouette et…

- Vous avez besoin de quelqu'un d’un rang égal à ceux qui ont donné cet ordre afin de pouvoir fouiner de votre coté, compléta Gilbert Greyfox.

- Et on peut dire que la chance me sourit, me voilà avec non pas une mais deux alliés.

- Et qu’est-ce qui vous fait croire que nous accepterons ? défia Levira.

- Refuserez vous ?

Levira resta silencieuse. Bien sûr que non.

- Lord Gilbert, demanda-t-elle. Peut-être allez vous trouver cette demande un peu osée mais accepteriez vous d’être mon cavalier pour cette valse un peu particulière ? dit-elle dans un petit sourire aussi faux qu’adorable.

Le jeune homme la regarda quelque peu perplexe, puis il reprit son air agressif qu’il tenait sûrement de son père.

- Épargnez moi votre sourire Baskerville. Réussir à me prendre une danse ne vous rend pas invincible.

La jeune fille fut surprise. Le langage des fleurs, l'attachement envers sa cité, maintenant voilà que Gilbert Greyfox accordait enfin une danse à quelqu’un et le tout en humour. Décidément, cet homme aux iris d’argent devenait de plus en plus agréable à ses yeux.

Me voilà dotée d’un drôle de cavalier, songea-t-elle à moitié hilare.

- Chouette ! appela Gilbert. Qu’est-ce que tu attends de nous exactement ?

- Bon, sourit le concerné tout en gardant son sérieux. Maintenant que tout cela est réglé je me dois de refaire les présentations.

Il enfila son manteau aux plumes grises argent et se courba vers l’avant une main sur le cœur l’autre tendue vers la gauche.

- Mon nom est Jurian Weissnachte, Chouette de l’Inquisition au service de ses Excellences, les sept Ducs de Crya et de l’espadon. Puisse notre collaboration pour le jugement des infâmes meurtrier du Grand Recueil porter ses fruits.

Vas-t-il enfin cracher le morceau ou doit-on attendre que le soleil se lève à l’Ouest pour qu’il le fasse ? pensa Levira à bout de patience.

- Gilbert Greyfox, second rejeton du traître de Crya et seigneur de ceux qui mettent moins de dix minutes pour se présenter enchanté parlez.

Si les pupilles inversées de Jurian Weissnachte lui donnait naturellement un air quelques peu benêt, la tête qu’il tira face à la réplique du jeune Greyfox n’avait littéralement pas de prix, tout comme cette même réplique que Levira se promit de noter quelque part alors qu’elle peinait à retenir son rire.

- Hum…Tout d’abord pas d’inquiétude je ne vais pas vous demander d'espionner directement tous les hauts placés.

- Alors qu’est-ce que vous voulez ?

Le jeune homme passa la main dans sa poche et en tira un objet qui en un geste vola à travers la pièce. Levira l’attrapa au vol. C’était une demi sphère brillante avec en son centre un trou semblable à une serrure. La partie « plate » était garnie de petits engrenage immobile ainsi que d’une étrange énergie magique.

La Chouette pointa l’instrument du doigt et Levira constata que ses yeux s’étaient faits beaucoup plus sombre et menaçants.

- Je veux que vous alliez dire deux mots à celui qui se trouvera derrière la porte de cette serrure, dit-il, sombre et étrangement furieux.

- Qui donc se trouve derrière cette porte ? demanda la jeune fille aux cheveux bleus feignant de ne pas remarquer ce changement.

- Quelqu’un qui contrairement à moi, pourra sûrement vous donner toutes les réponses à vos questions…du moins la plupart…

Sûrement ? Du moins la plupart ? Quelqu’un ?

Levira sentit alors que cette affaire était loin, - très - loin d’être réglée.

- Une personne que vous ne portez pas vraiment dans votre cœur apparemment, dit Gilbert.

La Chouette resta silencieuse.

Puis soudain, un déclic sonna dans la tête de Levira.

- À qui avez pris cette…« clef » ?

Nouveau silence…mais cette fois-ci un peu plus tendu…

- Rassurez-moi messire Weissnachte…

Je ne sais pas pourquoi mais je sens que cette affaire va être encore plus ardue qu'apprendre la politesse à Licana…

- …vous connaissez cette personne n’est-ce pas ?

Le concerné ne répondit pas. Quant à Gilbert Greyfox…il était aussi exaspéré que Levira mais lui, il le montrait clairement. Celui-ci se massait le front, les yeux clos et la lèvre pincée.

Puis la Chouette se décida enfin à parler.

- Je ne l’ai jamais vraiment vu, en tout cas j’imagine que je ne l’ai jamais vu. Mais je sais à qui vous aurez à faire, j’ai déjà eu l'occasion d’assister si l’on peut dire, à ses actions. Et ça suffit pour justifier mon manque d'amour envers lui.

- Vous pouvez simplement dire que vous ne pouvez pas le sentir, ça ira plus vite et ça soulage.

- Aucun mot n’a encore été inventé pour décrire l’affection que je lui porte, répliqua l’homme au iris inversées.

Sur ce coup là, inutile d’être Clairvoyant pour le remarquer.

- Dans ce cas peut-être pourriez vous nous dire à qui nous allons avoir à faire messire Weissnachte ? demanda poliment la jeune fille aux yeux écarlates.

Jurian Weihnachte n’en démordit pas, cependant il se détendit. Puis quelques secondes plus tard il reprit son sourire enfantin.

- Je ne vois pas vraiment l'intérêt de vous donner son nom étant donné que vous ne l’avez sûrement jamais rencontré.

- Vous oubliez mon rang, riposta Levira. Obtenir des informations sera aussi aisée que pour vous de vous rendre d’ici à Raesch en une demi-seconde.

- Je serai prêt à vous abandonner mon titre de Chouette si vous parveniez à trouver ne serait-ce qu’une seule information correcte, dit simplement la Chouette.

Gilbert tiqua. Contrairement à Levira, celui-ci semblait en savoir beaucoup plus sur les Chouette qu’elle.

- Vous êtes donc si sûr de vous, dit-il soupçonneux. Votre homme est-il un fantôme ?

- Malheureusement les spectres n’ont pas pu le supporter bien longtemps, plaisanta aigrement la Chouette en retour. Il se peut même qu’ils l’aient banni à jamais de leur communauté.

- Et il n’y a pas seulement le fait de traquer ces assassins en rouge je me trompe Chouette ?

Le concerné le regarda avec un regard méfiant et irrité.

- Tu comprendras une fois devant cet animal contre-nature Greyfox. Je ne serais pas surpris qu’il dise que le loup et le renard ont le même goût.

Les deux nobles regardèrent les pupilles blanche de leur allié, remplies de fureur et de frustration. Mais il y avait autre chose, ils le sentaient tout les deux….pas dans les pupilles…mais derrière Jurian Weissnachte…

La Chouette sursauta, conscient de la présence tandis que Gil réagit instantanément, tirant son Rapace de sa poche et le pointant vers l’ombre.

Weissnachte tira sa rapière de son fourreau et balaya l’ombre. Mais celle-ci ne rencontra que le vide et juste avant que la silhouette encapuchonnée ne se faufile dans le dos de la Chouette, Levira vit clairement celle-ci voler…à tir d’ailes majestueuses…

Un oiseau ?!

La Chouette ne comprit pas le comment du pourquoi. Une seule certitude l’obséda. Le coup de poignard allait faire très mal.

Et ce fut la cas.

La silhouette planta sa dague dans le flanc de la Chouette, vive, rapide, sec. Puis dans la seconde suivante elle évita les tirs de Gilbert et passa la mur en morceau de la bâtisse en ruine.

Levira vit le jeune homme se jeter dehors à la poursuite de l’agresseur tandis qu’elle resta, voulant secourir la Chouette blessée. Deux coups de feu retentirent.

Mais elle avait disparu. Sa main disparut dans son ombre. Il était retourné de là où il venait.

La jeune fille accourut alors dehors où elle trouva Gilbert Greyfox, le canon de son Rapace fumant. Mais pas d’agresseur.

- Où est-il, pressa Levira le cœur battant à cent à l’heure.

- Disparu, répondit froidement Gilbert furibond.

Il pointa une masse de son revolver. Une tunique pourpre, vide.

- Rouge…rouge…

Le jeune homme aux yeux de fer acquiesça d’un signe de tête. Son poing tremblait. Quant à Levira, elle sentit les yeux lui piquer.

Quand…Ne nous laisserez-vous donc aucun répit ?

Elle s’approcha du tissu à la couleur sanglante. Quelle couleur répugnante…puis elle vit quelque chose.

Une plume rougeoyante.

- Lord Gilbert ! Lord Gilbert !

Les deux jeunes gens se retournèrent, pour voir accourir deux enfants terrifiés.

- Qu’y a-t-il ? demanda Gilbert Greyfox d’une voix étrangement douce et prévenante alors qu’il s’agenouilla à leur hauteur.

- Un chat à huit queues ! Les assassins ont maudit not’ville ! Nous allons tous mourir !

Les deux marmots étaient en larmes et visiblement terrorisés. Il y avait de quoi.

- Personne ne touchera à un seul cheveu d’un des habitants de notre cité, déclara le jeune duc, la voix ferme et glaciale de colère. Je te le promet sur ma vie.

Levira observa les deux enfants. Les grands mains de leur seigneur semblaient leur donner une étrange énergie, comme si ce simple contact les protègerait jusqu'à leur mort, dans leur lit à un âge avancé.

Un chat à qui il ne restera qu’une seule vie ira hanter le lieu de sa haine et lorsque celle-ci prendra fin et que sa neuvième queue lui poussera…ce lieu sombrera dans les ténèbres et les souffrances éternelles…

Levira regarda la plume.

Pour une fois que ça nous arrange il n'aurait pas pu nous le chopper cet oiseau de malheur…saleté de matou.

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