2_Cécile

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    C’était une scène banale.

    Je flânais avec mon frère, dans le quartier du Châtelet. Ce fut alors qu’il apparut, elle à ses côtés, main dans la main. Marc avait serré la mienne, me chuchotant : « fixe-le bien dans les yeux, surtout ne flanche pas ! Il est aussi tétanisé que toi. » Je regardai résolument devant, me tins aussi droit que pouvaient mes jambes, m’appuyant sur celui-ci qui servait de béquille.

    En face, je perçus un visage immobile, légèrement cramoisi. J’osai croire que ce n’était pas dû au ciel d’airain qui nous plombait le crâne, un de ces jours au soleil implacable, brûlant jusqu’à lécher avidement une boule de glace lâchée sur le trottoir en quelques secondes.

    A l’idée de le gifler, me vint soudain celle de le marquer plus profondément, plus subtilement sans que l’autre le sache ni n’en souffre. Car, à dire vrai, les deux méchants de l’histoire, c’était lui et moi… Je sautai donc dans le cou de Marc et fit mine de lui mordiller l’oreille. Celui-ci comprit mon dessein et compléta ainsi l’illusion par une exclamation théâtrale    : « Attend d’être chez nous ma chérie ! Tu risques de commettre un attentat à la pudeur. »

    Alors que le couple passait à notre hauteur, j’entrevis le regard interrogateur, peut-être désabusé de celui que j’aimais peser sur moi. J’en oubliai alors ma propre amertume et me pris de pitié pour sa compagne

    Depuis, à mes heures sombres, où le souhait de le revoir se révélait impétueux, j’essayais de me remémorer ce moment, l’instant qui me fit formellement comprendre mon statut de maîtresse : une voleuse d’homme.

    Une période de colère succéda aux pleurs et à la culpabilité. Il fallait qu’il paie. Si ce n’était lui ce serait celle à laquelle il tenait le plus. Hormis sa femme.

    Sa fille.

    Marc souhaitait que j’aille mieux. Il aurait assurément l’occasion de le prouver. Je lui fis part de mon projet et m’attendis, de prime abord, à ce qu’il refusa. Ce ne fut pas le cas. Il accepta de séduire, certes de mauvaise grâce, Milay, celle dont mon ex s’était servi pour refroidir mes ardeurs de vie de famille, de femme rangée. 

    Milay représentait le canal cathartique par lequel passerait ma vengeance. Evidemment, Marc, le cher frère dévoué, ne manqua pas de signifier que cette dernière, la pauvre, n’avait rien demandé. Ce à quoi je répondis d’une sentence téléphonée que toutes les relations, bilatérales soient-elles, comportaient des dommages collatéraux.

- Et puis cette Milay je ne la connais pas, je ne l’ai jamais rencontrée… 

objecta-t-il faiblement, après que j’eus relaté ce que j’espérai en termes de coopération.

- Oui, mais enfin, je ne t’ai rien dit à propos de lui non plus. Tu as commencé un travail que je n’ai pas demandé. C’est la moindre des choses de le finir, m’énervai-je.

    Il n’osa me contredire. Je n’étais pas d’humeur à supporter son sermon.

    Je sentais que Marc tentait de reculer, mais c’était trop tard, la machine était en marche. Il voulait m’épauler, me relever, il devait en assumer les conséquences. J’avais horreur des paroles lancées à tout vent, histoire de donner bonne conscience à leur auteur. Mais que s’imaginait-il donc ?

- Tu me tiens au courant, lançai-je en fermant la porte derrière lui.

    C’était un soir d’anniversaire, où au crépuscule de la trentaine, je portai le deuil d’une jeunesse bâclée.

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