3_Milay

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    De retour, à l’aéroport Charles de Gaulle, je m’étais convaincue que tout allait bientôt changer.

    Après les examens, j’étais partie pour deux semaines à Athènes, le moral en berne, me persuadant qu’un peu de soleil me ferait du bien. Je voulais faire un petit break dans la perspective d’un sea, sex and sun mais sans sexe. Marc, mon petit ami venait de me quitter et, en dépit de mes déboires, j’avais encore des exigences sentimentales. Je croyais toujours au prince charmant et faisais partie de ces êtres pour qui faire l’amour ne s’entendait sans amour.

    Bref, je sortais d’une histoire dont la fin fut abrupte et fort regrettable, sans ce préavis qui vous prépare tacitement au pire, cet épilogue propre aux relations aimant se complaire dans la dérive, mais qui, en contrepartie, offre un dédain tout en douceur. Parce que l’un ne savait ce qu’il voulait, ou trop bien sans se l’avouer. Parce que l’autre ne se rendait guère compte qu’il était déjà amoureux du passé.

    C’était hier, il y a cinq mois.

   Comme la plupart de mes congénères, j’aurais pu trouver une quelconque consolation en me réfugiant dans le travail. Mais encore fallait-il en trouver…

                                                                   #

    Marc.

    Un garçon, un homme, un prince. Un minois sur lequel j’avais misé toutes mes illusions de belle au bois dormant...Vraiment affligeant.

    Le conte de fées prit une tournure fâcheuse avec l’irruption d’une rivale - mais en étais-je vraiment une ? - qui finit d’occuper dans son cœur la place m’étant auparavant impartie.

    Nous nous étions connus par le biais d’une fête d’anniversaire d’un copain de fac, l’automne dernier. J’arrivai alors en éclaireur chez Sébastien deux tartes aux pommes surgelées dans les mains. Mon ami m’avait attribué la tâche du dessert. Mais, je n’avais ni l’envie de perdre du temps, ni le désir de décevoir en appliquant une recette de mon cru. Comme je ne pouvais concevoir le plaisir de cuisiner autrement, je me suis rabattu sur la gamme traiteur Monoprix.

    Ainsi, lorsque Seb montra son enthousiasme devant ce que je lui apportai, je ne pus m’empêcher de le lui faire remarquer.

- Oh, fit-il dépité. Si je te l’avais demandé c’est pour que tu le fasses toi-même ma grande…

- Oui, bien sûr, répliquai-je narquois. Une fois sur deux, tu détestes mes créations. J’ai fait le bon choix. Et puis, pense à tes invités. J’aime ce que je fais.

    Eux ? Je n’en suis pas si sûre.

- Tu aurais q u a n d m ê m e pu aller dans une boulangerie…

- Bah ! C’est très bon Monoprix gourmet, je t’assure. J’ai préféré investir un  peu plus sur ton cadeau. C’est mieux non ? Et arrête de râler, la soirée n’a pas commencé.

- C’est vrai, s’excusa-t-il. Merci encore de venir tôt. Il y a tellement de choses à faire.

Nous nous mîmes à discuter de la soirée. L’idée de rater le dîner, première fête qu’il organisait, celle dont il serait le centre d’intérêt, mortifiait Sébastien.

- Champagne, canapés, jus de fruits, sangria…Tu as mis tes tartes au frigo ? Je les préfère fraîches. Isa s’est occupée du gâteau d’anniversaire. Où sont les bougies ? Ah ! Les voilà. Tu peux vérifier la cuisson de l’agneau s’il te plaît ? Milay ? Milay ?

- Oui, oui. Ce n’est pas la peine de te mettre dans tous ces états. Nous ne sommes pas chez les Rothschild. Ce sont tes amis qui seront là, on s’en fiche que ce ne soit pas tout à fait parfait.

- C’est loin de l’être justement. Il est dix-neuf heures et on n’a pas fini de souffler les ballons, coupa Sébastien. Et l’agneau qui peine à cuire…

- Tout va bien, soupirai-je. Allez, repose-toi un peu sinon tu vas te fatiguer avant l’heure. Prends une douche bien fraîche.

    Le pauvre ressemblait à un mort-vivant, les cheveux hirsutes, dans son pyjama en popeline. Il n’avait pas dormi de la nuit. Au risque de le voir à nouveau paniquer, je m’interdisais tout commentaire sur sa mine horrible et le poussai vers la salle de bain. Il allait s’en rendre compte lui-même.

    Deux heures plus tard, la fête battait son plein.

    Sur le canapé, à ma droite, je repérai depuis quelques minutes un homme qui ne cessait de me fixer à la dérobée. Son insistance me gêna, occultant presque la part de flatterie que j’en tirai. Cette sensation aigre-douce fut mon premier contact avec Marc et son regard ténébreux.

    En me levant, je lui marchai opportunément sur le pied. Il réprima un cri de douleur.

- Excuse-moi. Je n’ai pas fait exprès…

- Heureusement ! fit-il en riant. Ce n’est rien, ton talon aiguille s’est juste enfoncé dans mon cœur.

- Dis donc, comment tu me parles, raillai-je un peu refroidie. J’imagine que tu ne l’as pas trouvé tout seul, c’est de qui ?

- Mais de moi, de moi, répliqua-t-il sans se démonter. Tu aimes ?

- La tirade phare, je présume. Celle réservée à tes conquêtes potentielles…

- Pas tout le temps si cela peut te rassurer, avoua-t-il d’un air complice.

- Oui, oui… Tu viens à peine de me rencontrer. Permets-moi d’en douter.

- Tu fais quoi du coup de foudre ? Dois-je conclure que ce n’est pas réciproque?

    Malgré moi, sa verve et sa séduction de camelote commencèrent à faire de l’effet. J’entrepris donc de me dérider un peu et de jouer le jeu.

- Tu sais, il ne faut pas tout prendre pour argent comptant, lui confiai-je.

    Il n’eut pas le temps de répliquer. Isa tinta son verre et réclama le silence.

- Notre Séb a vingt-cinq ans aujourd’hui. Nous lui remercions pour cette fête qui frise la perfection dit-elle en se tournant vers lui, dédiant un clin d’œil appuyé à l’assistance. « Bon anniversaire, de la part de tous tes amis. Nous te souhaitons une vie pleine de bonheur ! »

    La chanson de circonstance fut joyeusement entonnée et chacun offrit son cadeau. Comme j’avais donné le mien à mon arrivée, un coffret DVD de Tarantino.

Cette anticipation me permit de contempler à loisir la palette d’expressions s’apposant tour à tour sur le visage de Sébastien à mesure qu’il découvrait ses présents, allant du sourire figé à la réception d’un livre sur la sagesse tibétaine, au rire crispé devant une tirelire en forme de mandarine. Un cadeau obtint cependant la palme du vainqueur, lui arrachant une prouesse d’acteur. Le caniche en céramique assorti à sa crotte. Le désenchantement amena Sébastien, doté d’un minimum de savoir-vivre, à travestir celui-ci d’une pluie d’exclamations jubilatoires. Ceux qui le connaissaient un peu mieux purent toutefois noter, dans cet épanchement inopiné, une voix un tantinet saisie par l’agacement. Son destinateur, un ami d’enfance, tint ce semblant d’émoi pour une marque de reconnaissance et, tout à son contentement, donna sa fausse modestie en spectacle.

- Ce n’est pas la peine de te mettre dans cet état. Bon, j’ai eu toutes les difficultés en me procurant ce petit bijou. Finalement, je l’ai commandé en Belgique. Mais, franchement, ce n’est rien, mon vieux…

- Si, si, c’est un beau cadeau, fit Sébastien atterré. Tu n’aurais pas dû, ça t’a coûté cher j’en suis sûr… La céramique est de très bonne qualité, on dirait presque de la porcelaine…

-Ne t’inquiète pas pour cela, l’essentiel est que ça te plaise, répondit l’autre attendri par la sollicitude de son ami. Je ne devrais pas te le dire, mais je l’ai eu en promo. Depuis le temps que tu voulais un chien… Là, vraiment, tu l’as sans les contraintes.

    Sébastien acquiesça de la tête. Tout était dit.

    Marc, lui, s’était joint à un groupe et opta pour un cadeau collectif, une carte-cadeau valable dans un grand magasin de luxe parisien. Alors que Sébastien finit de déchirer le papier qui enveloppait la carte, je pouvais lire, cette fois avec soulagement, sur la figure de mon ami, des signes réels de reconnaissance. Une gaîté qui se manifestait discrètement par un tic précis, un pincement des lèvres escorté d’yeux brillants. Évidemment, ces derniers paraissaient encore plus scintillants à cause du sanglot versé en l’honneur du caniche en céramique.

- Merci les gars, se contenta de commenter sobrement Sébastien.

    Après ce moment d’anthologie, Marc vint me rejoindre sur le canapé et nous reprîmes notre conversation.

- Gente dame, que dites-vous de ma proposition, regarder désormais dans la même direction?

    Assurément, celui-là possédait toute la panoplie des clichés. Je tentai de donner le change, en sortant des propos du même acabit, insipides et amusants, me rappelant ces récitations qu’on ânonnait en chœur, souvent avec entrain, comme une récréation en pleine classe. Manque de talent ou d’expérience, j’arrivai cependant péniblement à la hauteur de mon rival. Je n’avais pas les compétences requises.

    Au bout d’un moment, commençant à me lasser, je ponctuai laconiquement les paroles de mon interlocuteur par des Ah et des OK qui, pour peu qu’on y mette la bonne tonalité, passait pour un signe d’intérêt et d’écoute. Nous passâmes ainsi le reste de la nuit en aparté, lui à m’abreuver de sentences sucrées, moi, à les siroter parcimonieusement.

    Jusque vers deux heures du matin, où le séjour se dégarnit et l’ambiance s’essoufflait sensiblement en dépit de la volonté d’Isa à s’acharner sur le micro du karaoké, massacrant la pauvre Mylène Farmer. Marc m’avertit qu’il allait prendre congé. Sans réfléchir, je décidai de le suivre et prétextai la fatigue à mon tour, lui proposant de prendre le métro ensemble. Nous allâmes saluer Sébastien et lui réitérâmes nos vœux. Celui-ci fronça les sourcils en nous voyant partir en même temps. Il ne posa toutefois, aucune question. Ce dont je lui sus gré. En effet, roi des commérages, mon ami faisait et défaisait les rumeurs de notre cercle de copains. A l’affût du moindre ragot, il devenait alors un impitoyable et redoutable détective dès que l’occasion se présentait.

    Marc me ramena chez moi. Dans le métro, à part une petite vieille qui louchait souvent sur le chien de son voisin, la rame était déserte. Il devait faire froid car je remarquai les poils de mon bras se hérisser. 

    Je soupirai d’aise. Ce fut ainsi que, d’un accord tacite, décelé au travers d’une main consentante, tout acquise à sa cause, il ne la lâcha plus jusque devant le portail de la maison. Nous nous regardâmes longtemps dans l’obscurité, sans bouger, ne sachant trop que faire, par peur de rompre le charme. Il s’approcha et déposa un timide baiser sur ma joue. Ce geste romantique et attendrissant impliqua de faire tomber les ultimes barrières, bien pantelantes, que j’avais semblait-il, dressées entre nous. Marc se détacha doucement de moi et me fixa de nouveau avant de demander s’il pouvait prendre mon numéro. Je ne me fis pas prier et, le cœur battant, je le lui citai en prenant garde de bien observer ce qu’il pianotait sur l’écran de son téléphone. Il ne manquait plus qu’il se trompât.

    Cette nuit-là, je rentrai chez moi comblée. Ce n’était pas mon anniversaire et pourtant je reçu le plus beau des cadeaux : cette histoire d’amour à laquelle jene m’étais point attendue. Je l’accueillis à bras ouverts et me promettait d’en prendre soin comme du souvenir de ce premier baiser que je reçus d’un garçon de huit ans, dans la pénombre d’une cabane, sous un soleil couchant d’été.

    Avec le recul, je fus consternée, comme tant d’autres avant moi, de l’aberration dans laquelle je m’étais complu. Malgré les indices évidents de serial lover que Marc affichait, je m’étais bornée à y percevoir une légèreté, une connivence propre à ce qui fut et demeurait en fin de compte une chimère triste et banale.

    En allant me coucher, je vis sur l’écran de mon portable que Sébastien m’avait envoyé un SMS : « Tiens-toi sur tes gardes ma grande. Ce type ne m’inspire pas confiance. Ne t’emballe pas! »

    Trop tard, j’embrassai cette nouvelle relation avec fougue ; une exaltation qui me rendit hermétique à tout ce qui ressembla de près ou de loin à un conseil raisonnable et raisonné.

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