5_Milay

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 Je mettais Marc sur un piédestal, tout ce qui venait de lui était légitime. Je n’y  entrevoyais que la preuve de son inclination là où mes amis décelaient du mépris. Il en était ainsi du jour où nous nous étions donné le double de nos clés. Ce fut, pour ma part, la démonstration d’une confiance et d’un attachement inconditionnels. Par la suite, je trouvais contrariant qu’il ne vînt jamais chemoi, ou si rarement. Mais je mis cela sur le compte de mon côté désordonné…

Au fil des semaines, je réalisai que cette volonté de m’accueillir constamment chez lui et pas autrement était une façon de disposer entièrement de moi. Après tout pourquoi pas ? Qui n’aurait fantasmé d’un amoureux transi au point de ne jamais pouvoir se passer de soi ?

Hélas, entièrement supposait jusque dans les tâches domestiques. Celles qui peuvent passer pour des petites marques d’attention avant qu’elles ne meuvent en corvées routinières : les courses que je payais lorsque monsieur vaquait à ses occupations d’une importance primordiale, ou le passage au lavomatique auquel je subvenais également. Ou encore la préparation du dîner en l’attendant chez lui. Ce qui relevait du sacrifice pour une étudiante au budget serré.

En retour, j’avais bien sûr droit à ce que je nommerais aujourd’hui des paillettes… Et des paillettes, je n’en avais même pas de quoi m’éblouir.

Or, le mal avait sévi. J’étais gravement atteinte si bien que la faiblesse me poussa à tout accepter : Restos, petits bibelots en tout genre, soirées entre amis déjantés, cinéma en amoureux en hommage à Batman, Spiderman et autres Supermen dont j’adorais surtout l’ambiance obscure et intimiste des salles, laissant le choix tyrannique et l’appréciation des films à Marc. On pourrait me taxer de déformer la réalité a posteriori, mais la raison d’être d’un événement ne se trouve-t-elle pas dans la puissance du souvenir qui le porte?

Je tenais absolument à la présence de Marc dans ma vie que je négligeai la mienne. J’allais constamment vers lui. Et, souvent, je me faisais rabrouer. Gentiment mais fermement. Ce petit manège eut malheureusement raison de moi et renforça un sentiment d’abandon qui se caractérisait par le besoin obsessionnel de se raccrocher à ce qui peut l’être. Une attitude augurant le point de non-retour.

Je ne reconnaissais plus la fille altière et digne que je me plaisais à décrire mentalement lorsqu’il me fallait occuper l’esprit. La moindre absence prolongée était compensée par ce que je nommais mes SMS in love, envoyés par tonnes à l’occasion. Lorsque Marc n’était pas là, je n’étais plus moi-même. Il devenait ma raison de vivre, de me lever le matin.

Forte de cette certitude, je voulais officialiser d’une manière ou d’une autre notre histoire, accessoirement par une visite aux parents. Face à mon entêtement, mon petit ami m’endormait par ses sentences grandiloquentes sorties tout droit d’une série B, me disant : « l’amour, le nôtre, avec un grand A se suffit à lui-même. Pourquoi vouloir tout compliquer ? »

Marc m’avait donc passé les clés de son deux-pièces, au troisième étage d’un immeuble haussmannien, dans un quartier du 6ème, offrant une vue 

imprenable de la tour Eiffel. Bref, un beau c o c o n eu égard à mon minuscule studio de l’époque, mitoyenne de la maison familiale. M’ayant donné les siennes, il m’avait incitée à faire de même. « Afin de nous prouver notre confiance mutuelle » affirmait-il. Plutôt pour étourdir ma vigilance et ma jalousie.

Dans un premier temps, nous nous prévînmes lorsque l’un voulait rendre visite 

à l’autre, moi en l’occurrence. Peu à peu, parce que nous nous 

connaissions mieux, également par commodité de sa part, et parce que j’adorais faire des surprises, j’arrivais à l’improviste à toute heure de la nuit comme du jour, sans restriction. Mes visites se soldaient, pour la moitié d’entre elles par un échec, le maître des lieux ayant été appelé autre part. Mais pouvais-je le reprocher décemment à Marc ? Son temps semblait précieux, le mien forcément moins pour le gaspiller ainsi sans compter.

D’ailleurs, je m’en accommodais et m’en plaignais rarement. Tout allait pour le meilleur des mondes, je n’étais pas malheureuse. Une impression accrue par la sensation d’une liberté progressive depuis que je vivais hors du toit parental, certes réconfortant et paisible, mais oppressant à mesure que je prenais de l’âge.


Il me semblait, parfois, partager un sentiment d’éternité et de toute puissance avec l’homme qui symbolisait cette étape enivrante de ma vie. Emportée par mes propres ressentis, je ne pris guère la peine de voir ce qui se passait en dehors. Je ne savais si Marc était véritablement sur la même longueur d’onde que moi. Avait-il seulement éprouvé les mêmes affects aussi prégnants ? Je ne m’étais guère posé la question. Je n’en trouvais pas l’intérêt. Pas à ce moment-là. Insouciante, j’étais persuadée que ces choses-là ne pouvaient être vécues qu’à deux.

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