Chapitre 14

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« Chéri ? »

Akos releva la tête pour repérer l’endroit d’où était venue la question. La porte qu’il avait laissée légèrement entrebâillée s’ouvrit. Eliya passa une tête à l’intérieur du bureau. Voyant qu’Akos restait silencieux, elle entra. Plissant les yeux, d’un air amusé et suspicieux, elle demanda :

« Qui est donc notre mystérieuse amoureuse ?

— Depuis quand écoutes-tu à la porte ? finit par répondre Akos, d’un air passablement contrarié.

— Depuis rien du tout, j’ai juste entendu ça au moment où je voulais frapper pour te faire un petit coucou, répliqua Ely en prenant un air renfrogné.

— Tant mieux. »

Akos n’avait aucun moyen de savoir si Ely lui disait la vérité mais cela lui suffit pour le soulager.

« C’est juste une vieille connaissance qui me sert à débrouiller certaines choses que je ne comprends pas.

— Elle m’a l’air bien familière pour une vieille connaissance… » fit Ely en appuyant bien sur le qualificatif.

Akos ne savait pas trop comment se sortir de ce qu’il considérait comme un quiproquo.

« J’ai failli l’arrêter, il y a quelques années. Elle me rend quelques services à l’occasion. Je suis obligé de me coltiner son sens de l’humour qui laisse à désirer. »

Ely fronça les sourcils.

« Failli l’arrêter ? Tu laisses des criminels en liberté, toi ? »

Akos n’avait pas envie de s’étendre sur le sujet mais avec l’insistance d’Ely, il se sentit obligé d’avancer une explication, fusse-t-elle bancale.

« J’ai un peu de mal à la considérer comme une vraie criminelle si tu préfères. Ce qu’elle fait n’est pas toujours légal mais pour autant, j’ai du mal à le considérer comme illégitime, si tu veux.

— Oh, c’est une justicière masquée ? » lança Ely.

Akos tourna la tête vers elle et soutint son regard. Il n’arrivait pas à savoir si elle avait dit cela sur le ton de la plaisanterie ou si c’était une vraie question avec tout ce que cela sous-entendait. Akos se sentait comme un gamin pris la main dans le pot de confiture et il n’aimait pas ça. D’ordinaire, il aurait envoyé tout balader mais avec Ely en face, la situation était très différente. Il ne voulait pas s’embrouiller avec elle et surtout pas au sujet de Lys.

« Je ne l’ai jamais rencontrée, même pas sûr que ce soit une fille en vrai, finit-il par laisser échapper.

— Oh ! » fit Ely en écarquillant les yeux.

Akos se rendit compte qu’il s’enfonçait et se frappa le front.

« Laisse tomber. » soupira-t-il.

Ely resta silencieuse quelques instants, cligna des paupières ce qui signifiait chez elle qu’elle était en pleine cogitation intensive, puis au bout d’une minute, elle sembla se détendre comme si elle avait décidé d’oublier ce qui venait de se passer.

« Je me suis mêlée aux habitants de la rue Khalfon, aujourd’hui. Je n’ai pas mis longtemps à comprendre qu’ils savaient très bien qui était notre bonhomme. En revanche, ils ont un rapport très ambivalent vis-à-vis de lui. Cela donne à la fois l’impression qu’ils le craignent et qu’ils en attendent beaucoup de lui. De ce côté-là d’ailleurs, c’est un peu la foire à la brocante, ils ont tous leurs desiderata respectifs. Comme si notre gars, c’était Jésus, si tu vois ce que je veux dire.

— Jésus ?

— Bah oui, le mec qui faisait des miracles avant. Je me souviens plus vraiment des détails mais ça m’a fait penser à cela.

— Ok mais, du coup, le mec, il faisait quoi concrètement pour eux ?

— C’est là que ça coince, en vrai, dans tout ce qu’ils m’ont raconté, c’est plutôt eux qui lui rendaient service.

— T’as un exemple ?

— Ouais, que des trucs très bizarres. Y en a un qui lui a ramené la carte électronique d’une machine qu’ils utilisent dans son usine. Un autre, une bonbonne d’eau, du genre, celle qu’on a à l’étage, tu vois ? Que des choses dans le genre…

— T’as pu établir un lien ?

— Pas vraiment. Cela m’a plutôt donné l’impression que le gars cherchait quelque chose sans avoir d’idée exacte où ça se trouvait, ou bien qu’il rassemblait les pièces d’un truc à assembler. Mais si je te fais la liste, je pense que tu seras aussi perplexe que moi. Cela fait un peu savant fou ou sorcier des temps modernes, si tu vois ce que je veux dire. »

Akos acquiesça.

« De mon côté, on a eu la visite de la Sécurité Intérieure.

— C’est vrai ? Tu sais ce qu’ils viennent faire dans l’histoire ?

— La version officielle, c’est juste parce que l’affaire concerne un Druide et qu’ils voient là-dedans un risque pour la stabilité du pays.

— Ils sont au parfum qu’il est mort, non ? »

Akos ne put s’empêcher de sourire.

« J’ai fait la même remarque.

— Officieusement ?

— Officieusement, rien du tout. Ils veulent nous aider parce qu’ils ont accès à des données qu’on n’a pas. On va même avoir quelqu’un qui va intégrer l’équipe pour l’enquête.

— Ah bon, Mason a validé ça ?

— Accroche-toi bien, l’idée vient de lui. »

Les yeux et la bouche d’Eliya s’arrondirent.

« Cela t’en bouche un coin ? La directrice de la section 23 a pratiquement eu la même réaction que toi et ça n’avait pas l’air de la motiver des masses. Mais bon, il fallait faire bonne figure. Du coup, elle a accepté. »

Eliya fit quelques pas dans le bureau puis pivota sur elle-même pour refaire face à Akos :

« Et toi, tu penses quoi de tout ça ?

— Je pense que la section 23 en sait plus qu’elle ne dit. J’ai quelques éléments qui me permettent de sérieusement y penser.

— Madame Chéri ? » fit sournoisement Ely.

Akos secoua la tête. C’est ce qu’il aimait chez Ely. Elle avait des sursauts d’impertinence qui montraient qu’elle ne se laissait pas endormir et qu’elle ne perdait pas une miette d’information qu’elle collectait.

« Ouais. Et cela en plus de l’entrevue que j’ai eue avec Walmsley, la directrice de la section 23. C’est pour cela que l’idée de Mason, même si je suis sûr à mille pour cent qu’il ne l’a pas voulu, est loin d’être bête. Je ne sais pas qui ils vont nous envoyer mais à moins que Walmsley nous envoie quelqu’un qui ne connait pas du tout son sujet, il sera toujours possible d’essayer de le piéger pour qu’il nous en dise plus que sa supérieure. Soit dit en passant, celle-ci est vraiment redoutable alors, un conseil, fais gaffe si tu la croises. Crois-moi, elle a de la bouteille et sait manœuvrer en douceur pour obtenir ce qu’elle veut. »

Ely mima un frisson avec un sourire. Akos regarda sa montre.

« Tu devrais rentrer, tu as bien taffé aujourd’hui et en plus, t’as dû te coucher tard pour envoyer ton rapport hier soir. Faut que tu sois en forme demain. On va devoir interroger les toubibs de la Résurrection. C’est pas toi qui me parlais de Jésus tout à l’heure ? »

Ely étouffa un gloussement.

« Et toi ?

— Je vais pas tarder non plus. Je termine de lire les deux rapports que les collègues ont fait hier quand ils sont arrivés sur les lieux et je me tire.

— Bonne soirée ! » fit Ely en sortant du bureau.

« Bonne nuit et fais de beaux rêves… » murmura Akos en s’asseyant de nouveau et en prenant le tas de feuilles qu’il comptait lire.

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