Chapitre 24

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Akos regarda la pendule : 17h30. Même s’il n’était pas allé au bout du rapport, cela lui avait pris une heure. Il avait désormais besoin de changer d’activité. Il décida d’aller faire un tour dans la salle des scellés. Comme l’avait suggéré Ely, peut-être changer d’angle de vue sur les indices pour les faire parler. Il n’avait aucune idée du comment mais il se faisait confiance pour improviser cela quand ce serait nécessaire. Le premier lot qu’il remonta furent les objets qu’Ely avait trouvés dans les affaires du Druide. Il considéra le carton pendant quelques minutes et dans un élan un peu ridicule, il s’encouragea :

« Allez, on va tenter de faire un peu de magie ! »

Akos enfila les gants stériles et sortit délicatement chaque objet du scellé puis les aligna face à lui : le morceau de bois et les fioles. Si les informations de Freya étaient correctes, il avait devant ses yeux un kit de transcendance. En clair, il s’agissait d’un kit de shoot pour Druide, se dit-il. Cependant, il regarda les différentes photos d’archive, les fioles semblaient considérablement plus petites dans son exemplaire. Il fit défiler les clichés un à un jusqu’à en trouver un où le photographe avait eu l’intelligence de poser une règle graduée à côté des fioles. La différence était flagrante.

Une idée saugrenue lui traversa l’esprit et il se souvint de la réflexion qu’Eliya avait eue dans le tramway. Ce qu’ils avaient considéré comme des indices pour leur enquête pouvaient-ils être non pas des indices mais un moyen qu’avait trouvé le Druide de transmettre un message ? Dans un premier temps, il se trouva ridicule rien qu’à l’idée que cette réflexion puisse lui avoir traversé l’esprit. Puis progressivement, la barrière qu’il s’était lui-même imposé de ne pas franchir, s’amincit jusqu’à disparaître totalement.

Il n’avait aucune idée de la procédure à suivre. Il imagina que pour que cela fonctionne, le Druide avait du miser sur l’intuition du destinataire du message. Il s’empara donc du morceau de bois et le posa devant lui. Ouvrant puis refermant chacune des fioles de la plus claire à la plus sombre, il versa dessus une goutte de chaque. Le bois s’assombrit et comme un buvard, emprisonna le liquide au sein de ses fibres. Lorsque la dernière larme disparut, une mousse difforme et secouée par des spasmes hiératiques commença à croître. Une légère fumerolle se forma sur le dessus et s’épaissit seconde après seconde.

Akos approcha son visage pour renifler la fumée. Inodore, celle-ci sembla dans un premier temps, complètement inoffensive. Puis il ressentit quelques picotements dans son nez, puis brutalement cela se transforma en une irritation plus importante qui remonta au niveau de ses sinus. Il eut la sensation que le flux de sa pensée s’échappait par un trou d’air invisible au-dessus de ses paupières. Alors qu’il anticipait de ressentir cette échappée comme une douleur, il eut la surprise d’éprouver une émotion inédite, une sorte de clarté, une fenêtre venait de s’ouvrir entre lui et son esprit. Aucune de ses sensations n’avait de réalité physique et pourtant il les ressentait comme tel.

Il regarda autour de lui. Il était toujours au même endroit. Il pencha la tête un coup à droite puis à gauche. Rien n’avait changé mais le relief lui semblait plus artificiel que d’habitude. Comme si quelque chose s’était superposée à lui sans qu’il sache réellement quoi. Il tenta de marcher et il marcha sans difficulté. Que devait-il faire ? C’était quoi la suite ? L’effet était-il permanent ou allait-il s’estomper ? Et d’ailleurs quelle était vraiment la nature de cet effet ? Sa perception était modifiée, il en était profondément conscient mais il ignorait en quoi.

Soudain, il entendit la porte de son bureau s’ouvrir derrière lui et une avalanche de voix s’engouffra dans ses oreilles. Il se retourna et tout disparut d’un seul coup. Les sons et sa perception s’évanouirent. Il ferma les yeux puis les rouvrit. Il recommença plusieurs fois de suite.

Il se redressa et se gratta la tête. Il pivota sur lui-même pour regarder le morceau de bois et les fioles. Ils étaient parfaitement alignés comme tout à l’heure. Mais avant qu’il opère sa dernière manipulation. Il plissa les yeux et se rapprocha du plan de travail de son bureau.

La porte s’ouvrit derrière lui et la voix d’Ely s’éleva :

« Tu fais quelque chose ce soir ? J’ai envie d’aller boire un verre. Tu m’accompagnes ? »

Akos mit quelques secondes avant de répondre.

« Pourquoi pas, oui.

— Que faisais-tu ? demanda Ely en voyant la boîte de scellés.

— Une expérience.

— Et elle a été concluante ? »

Akos hésita. Il n’était pas certain de savoir ce qu’il venait de vivre et de pouvoir le décrire. Il n’était pas sûr non plus de vouloir réitérer l’expérience, ce qu’Ely voudrait s’il lui en faisait part. Il avait besoin de recul pour comprendre la portée de ce qu’il venait de découvrir mais d’ores-et-déjà, quelque chose lui apparaissait illogique. Si ce qu’il venait de vivre était bien ce qu’il pensait, cela voulait-il dire que l’Astripine dont Ely lui avait affirmé que personne n’avait réussi à synthétiser, était accessible aux humains ? Quelle pouvait-être l’implication d’une telle découverte ?

« Joli kit de magie, hein ? fit Ely. Dommage que le grimoire n’ait pas été livré avec. Rien à voir. J’ai effectué des recherches sur notre napoléon et figure-toi que je sais maintenant pourquoi l’emblème me disait quelque chose ! Et je te confirme aussi une chose, tu as vraiment une mémoire de dingue ! Ce sont les armoiries des Noxgard.

— Il y a un lien avec Lucius Noxgard ? Si ma mémoire est bonne, c’était le premier régent de notre République.

— Bien sûr, c’est la même famille. Ils font partie des fondateurs de Renaissance.

— Et comment se fait-il que leur emblème figure sur un napoléon ?

— Si j’ai bien compris, c’est une demande privée mais cela a été produit par l’Institut de la Monnaie de Paawis en 3097.

— Un an après la fin de la guerre ?

— C’est ça.

— Ce devait être pour commémorer ça, non ?

— Bah c’est ce que j’ai pensé aussi.

— Mais ?...

— Il en a été produit trente mille. »

Akos fit mine d’essayer de se déboucher l’oreille.

« C’est énorme, ça fait plus de cent cinquante millions de dols au bas mot !

— Au sortir de la guerre, c’est sûr que c’était une coquette somme. Mais bon, qu’il y ait des familles riches n’est pas un problème en soi. Le truc qui me posait un problème, c’était qu’une institution publique réponde à une commande privée qui m’a fait tiquer. L’économie n’est pas ma tasse de thé mais dans mon esprit, l’émission de la monnaie ça fait partie des trucs régaliens. Je suis allée fouiller et bon, a priori, c’est autorisé et ce n’est pas récent. Mais. Je te le donne en mille. La loi et le décret qui ont instauré cette possibilité datent de trois semaines avant le lancement de la fabrication de ces pièces ! »

Akos plissa les yeux.

« Rassure-moi. Il y a une trace de la transaction ? Enfin un dossier qui atteste de l’origine des fonds ? »

Eliya fit un petit saut en l’air comme si elle avait remporté une victoire.

« Les grands esprits se rencontrent ! Je me suis posé la même question. L’avantage pour ce genre d’information quand c’est aussi ancien, c’est que tu trouves cela dans les archives publiques.

— Et donc ?

— Je n’ai rien trouvé en dehors de la ligne dans la comptabilité.

— Tu es allée plus loin ?

— Non pas encore. J’aurais dû ?

— Non. Mais il va falloir qu’on regarde cela de près. Mais il va falloir que cela passe sous les radars.

— Je ne comprends pas. Tu veux regarder quoi ? »

Akos se mit à rire gentiment.

« Ah oui, excuse-moi. Tu n’es pas dans ma tête. Si ce que tu me dis est vrai et que rien a changé depuis, cela veut dire qu’il existe au sein même de nos institutions, un circuit qui permet de blanchir de l’argent légalement. Si c’est le cas et que les sommes sont du même acabit qu’à l’époque, je peux te garantir que toute demande d’information autour de ces transactions fera clignoter pas mal de voyants chez ceux à qui cela profite.

— Tu crois vraiment que c’est possible ?

— Je ne sais pas te dire. Mais c’est une piste sérieuse, dit Akos. Allez, je vais ranger les scellés et on y va ? »

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