Chapitre 25

10 minutes de lecture

C’était la première fois qu’Ely et lui sortaient boire un verre tous les deux ensemble. Les quelques fois où ils s’étaient retrouvés avec les autres collègues, c’était au « P’tit Hall », un pub style irlandais, situé à deux rues du commissariat. L’établissement était connu pour être fréquenté par le personnel policier. Cela constituait facilement un bon tiers de sa clientèle, de la jeune recrue au retraité. Akos se demanda si Ely voulait aller là-bas ou si elle s’attendait à ce qu’il l’emmène ailleurs. Lorsqu’il avait accepté l’invitation, il ne s’était pas posé ces questions et alors qu’ils descendaient les étages pour rejoindre la sortie, celles-ci firent irruption dans sa tête. Il redoutait surtout qu’Ely lui demande de proposer un lieu. C’est pour cette raison qu’une fois sur le trottoir, il lança un « Avance ! Je te rattrape. » en faisant semblant d’avoir à refaire le nœud de sa chaussure. Il observa du coin de l’œil ce qu’Ely allait faire. Mais, étonnée de sa dernière phrase, celle-ci lui répondit :

« On n’est que tous les deux. Je ne vais pas partir toute seule devant ! »

Et elle avait raison. En revanche, sa réponse laissait supposer que si elle n’avait pas trouvé cette proposition ridicule, elle n’aurait pas eu de question sur le choix du lieu.

« Tu n’as pas tort. Juste un réflexe. Je n’aime pas faire attendre. »

Faisant mine d’avoir terminé de renouer son lacet, il se lança donc en direction du pub. A peine avaient-ils fait une vingtaine de mètres qu’Ely stoppa :

« Cela ne te dit pas d’aller ailleurs ? Je n’ai pas trop envie qu’on nous voie et que ça se mette à jaser sur notre compte. Tu comprends ? »

Akos, s’il en avait eu la possibilité, aurait sûrement voulu hurler un bon coup pour évacuer la tension qu’il contenait en lui. Pour lui, le fait de se rendre au pub habituel était justement un moyen de ne pas rendre spécial ce verre. Aller ailleurs voulait dire qu’ils voulaient se soustraire au regard des autres et était selon lui, plus significatif. Cela dit, si Ely le ressentait ainsi, il pouvait se ranger à son avis.

« Si tu veux, fit-il. Tu as une idée en tête ?

— Aucune. Tu n’as pas d’autres adresses dans ton carnet ? » lança Ely en souriant.

Akos se dit qu’il fallait qu’il cesse d’espérer que la vie aille dans son sens. Il se demanda même si pour Ely, ce n’était pas une sorte de jeu sadique de constamment le mettre dans des situations inconfortables. Il réfléchit rapidement et finit par répondre :

« La seule qui me vient à l’esprit tout de suite, c’est celle du bar à côté de chez moi. Mais c’est un bar, tout ce qu’il y a de plus classique. »

Ely parut quelque peu surprise mais elle finit par dire :

« Pourquoi pas, de toute manière, tu n’habites pas très loin, je me trompe ?

— Cinq minutes tout au plus. »

Ils se mirent en route et marchèrent côte à côte en silence.

« La ville n’a pas fait trop d’efforts pour les décorations de Noël, cette année. Tu ne trouves pas ? finit par demander Ely qui cherchait a priori à entamer la discussion en évitant de parler du travail.

— Je n’ai pas vraiment fait attention et de toute manière, si tu veux en voir de belles, ce n’est pas dans mon quartier qu’il faut venir se balader. D’une année sur l’autre, ils ressortent toujours les mêmes trucs moches. Là où c’est un peu mieux, c’est là où tu trouves des magasins et ce sont les commerçants qui s’en chargent. Par pur intérêt cela dit : il faut bien appâter le client.

— C’est pareil vers chez moi et c’est pour ça que des fois, je fais un détour dans les zones commerçantes. Ce n’est pas que je sois une fan, mais déjà qu’en cette période, le soleil se planque…

— Je comprends, fit machinalement Akos.

— Tu dois trouver cela ridicule. »

Akos tourna les yeux vers Ely.

« Pas vraiment. En fait, je trouve ça bien au contraire. »

Ely éclata de rire.

« T’as l’air convaincu quand tu dis ça, ça fait peur !

— Désolé, répondit Akos. Pourtant je suis sérieux. Avec le travail qu’on fait, je trouve cela vraiment bien d’essayer d’égayer son quotidien. Et surtout de penser à le faire. Je ne le fais pas assez à titre personnel.

— On en a déjà parlé. T’es toujours dans ton boulot. Tu ne laisses de place pour rien d’autre. Je ne sais même pas comment tu fais pour ne pas saturer.

— Je n’ai pas toujours été comme ça. »

Ely accéléra quelques secondes pour le devancer et se plaçant délibérément sur sa route, lui lança :

« Là, il va falloir que tu m’en dises plus. »

Akos s’arrêta et la regarda en souriant :

« Tu espères me faire parler alors qu’on n’a encore rien bu ?

— Je n’ai peur de rien et je suis tenace !

— Je n’en doute pas. Mais je te propose d’attendre la première bière tout de même. »

Ely tendit la main vers Akos mimant qu’elle prenait le pari, et ils traversèrent ensuite la rue pour atteindre le bar qui se trouvait à l’angle. Ely prit la première tournée et se mit en tête de deviner comment Akos était devenu enquêteur.

« Si tu es rentré à l’école de police, c’est bien que tu avais une idée de ce que tu voulais faire, non ?

— J’avais surtout besoin de me trouver un métier qui puisse payer mon loyer. Et si possible dans lequel j’ai quelques compétences pour ne pas stagner.

— Tu ne vas pas me dire qu’inspecteur n’est pas une vocation chez toi !

— Je vais te surprendre mais non.

— T’aurais voulu faire quoi alors ?

— Je n’y ai jamais trop réfléchi.

— Je ne comprends pas.

— Disons que j’avais d’autres préoccupations à l’époque et ça n’avait rien à voir avec le travail. »

Ely fronça les sourcils. Akos commanda une seconde tournée. Il n’était pas certain de développer même si Ely aurait du mal à l’accepter. Celle-ci sembla le deviner et entreprit de raconter ce qui l’avait menée dans la police.

« Moi non plus, ce n’est pas ma vocation. J’ai juste eu l’opportunité de me lancer à un moment où j’en avais marre de me galérer.

— Pourtant quand tu t’y mets, tu es vraiment douée.

— Cela, c’est parce que tu veux être gentil avec moi, mais je suis loin de ton niveau.

— C’est juste que j’ai quelques années d’avance sur toi, fit Akos. Mais honnêtement ?

— Le truc, c’est peut-être aussi que quand je décide de faire une chose, j’aime la faire bien. Mais cela n’a rien à voir avec une vocation ou une passion. Je veux réussir ce que j’entreprends. Ou en tout cas, je ne veux pas avoir l’impression d’échouer parce que je n’y ai pas mis l’engagement que j’estime nécessaire. Tu vois ? »

Akos hocha la tête. Il comprenait parfaitement et il comprenait aussi très bien pourquoi de tous ses collègues, elle était celle avec qui il lui était très facile de travailler.

Les tournées s’enchaînèrent et ils échangèrent sur mille sujets. Ils auraient pu continuer encore longtemps mais il leur fallut bientôt se résoudre à rentrer se coucher. Ely était passablement pompette et Akos qui ne l’était pas moins, s’inquiéta si elle allait être capable de rentrer. Il lui proposa de la raccompagner. Il s’aperçut ce faisant qu’il n’avait aucune idée d’où elle habitait. Ely commença par protester mais une fois sortie du bar, elle dût reconnaître qu’elle n’y arriverait pas. Akos envisagea de lui payer un taxi mais à cette heure-là, il estima que ce n’était pas une solution sûre à moins de l’accompagner.

« T’es fou ! Tu ne vas pas payer l’aller-retour ! C’est moi qui t’ai invité ! »

Akos se retint de lui dire qu’en la circonstance, c’était le cadet de ses soucis. Ils restèrent alors une dizaine de minutes sur le trottoir silencieusement. Akos commençait à avoir la migraine et il voyait aussi qu’Ely n’allait pas tarder à être malade. Alors il la prit fermement par la main et la força à le suivre.

« Mais qu’est-ce que tu fais ? » fit Ely.

Une vingtaine de mètres plus loin, Akos s’arrêta devant la porte d’une résidence.

« Allez, vas-y, monte. Tu vas te poser dans le canapé un moment et on verra après quand ça ira mieux. »

Ely regarda Akos plutôt surprise de la tournure que prenaient les évènements.

« Allez, il n’y a aucun piège. »

*

Akos amena Ely dans son salon et la fit s’allonger sur le canapé. Il fila dans la salle de bain chercher un seau et il le déposa devant elle.

« Juste au cas où. » lui dit-il.

Ely quoiqu’elle fût sûrement à la fois contrariée et honteuse de la situation, le remercia.

« Je ne suis pas mieux que toi, je pense que je vais prendre la même précaution. »

Et joignant le geste à la parole, il retourna chercher la bassine qui lui servait d’ordinaire à laver son linge. Il s’effondra sur le côté opposé du canapé et ferma les yeux. Ils restèrent ainsi pendant de longues minutes en silence, jusqu’à ce que l’un après l’autre, ils finissent par s’endormir.

*

Le lendemain fut difficile et douloureux. Ely se réveilla vers sept heures, un peu avant Akos et mit quelques secondes à se rappeler pourquoi et comment elle s’était retrouvée là. Elle se redressa et commença à se masser le dessus des paupières.

« Il y a une boîte à pharmacie dans la salle de bain, indiqua Akos tout en gardant les yeux fermés. Tu veux que je te ramène quelque chose ?

— Laisse, je vais y aller. Il y a un miroir aussi ? Il va falloir que je regarde l’étendue des dégâts. » répondit Ely en tentant vaguement de cacher son visage avec ses mains.

Elle entendit Akos étouffer un rire.

« Cette soirée est la pire des idées que j’ai eue dans la longue liste de mes mauvaises idées.

— C’est juste la fin qui a un peu déconné mais au final, on ne s’en tire pas trop mal, je trouve. »

Ely dodelina de la tête, visiblement pas très convaincue de l’affirmation. Elle se leva et chercha la direction de la fameuse salle de bain. Elle découvrait en même temps l’appartement d’Akos. Elle ne s’était jamais vraiment imaginée à quoi il pourrait ressembler. La personnalité de son collègue n’appelait pas ce genre de réflexion et ses premières impressions le confirmèrent. L’ordre discret du lieu s’accordait parfaitement à la décoration absente et l’agencement pratique du mobilier. Elle trottina jusqu’à la salle de bain. Elle fut un peu surprise d’être obligée de chercher un interrupteur pour la lumière. Elle jeta un œil dans le miroir et remit du mieux qu’elle pouvait ses cheveux en ordre. Elle se permit d’ouvrir quelques tiroirs dans l’espoir un peu vain d’y trouver une brosse à cheveux. Dans sa recherche, elle tomba sur un lot entamé de brosses à dents.

« Je peux te piquer de quoi me laver les dents ?

— Fais comme chez toi, tu peux même utiliser la douche au besoin, il y a des affaires de toilettes propres dans le meuble qui doit être derrière toi, si tu veux. »

Ely se retourna et sourit. Le côté pragmatique d’Akos était un vrai don du ciel ce matin, et très loin de ce qu’elle avait pu connaître par le passé en d’autres lieux et circonstances. Elle ferma la porte et prit quelques minutes pour se débarbouiller.

Lorsqu’elle revint dans le salon, les cheveux encore humides, avec deux cachets d’aspirine, Akos s’était levé. Il avait posé deux verres d’eau et deux gros mugs sur la table basse. Une odeur agréable de café en train de couler flottait dans l’air. Ely esquissa un sourire.

« Merci encore pour hier soir, d’avoir insisté pour que je n’essaie pas de rentrer toute seule. Je crois que le taxi aurait très vite regretté sa course. C’est sympa de m’avoir laissé dormir ici. »

Ely se gratta l’arrière de la nuque et puis rajouta :

« Cela aurait été parfait si tu avais eu un sèche-cheveux. »

Akos la regarda, amusé par la dernière remarque.

« Je prends une aspirine et un café puis je file faire un aller-retour chez moi. Il faut que je me change.

— Je me doute, fit Akos. Fais à ton idée. De mon côté, je vais avoir besoin d’une bonne et longue douche pour évacuer ma gueule de bois. Alors ne m’attends pas, file dès que tu le sens. On se rejoint au commissariat. »

Il disparut dans la salle de bain. Ely était un peu troublée par la manière de faire de son collègue. Il semblait gérer la situation comme si elle était pratiquement banale. Elle ne pouvait s’empêcher d’en ressentir une certaine gêne sur laquelle elle n’arrivait pas à mettre un nom. Elle avala une aspirine et se servit un café. Elle n’osa pas trop se balader dans l’appartement mais elle ne put retenir sa curiosité en allant regarder les quelques cadres posés sur le meuble du salon. Il y avait là quelques photos dont deux retinrent son attention. La première était celle d’une très jeune femme aux cheveux auburn, à la silhouette presqu’adolescente qui faisait une grimace au photographe, assise sur un muret avec en arrière-plan une vieille maison en pierre. Sur la seconde, deux gamines blondes de trois ou quatre ans, sûrement des sœurs, les regards tournés vers l’objectif, semblaient avoir interrompu une chamaillerie pour prendre place sur une balancoire au portique à la peinture écaillée. Sans que ce soit véritablement apparent, la photo semblait avoir prise au même endroit que la première. De qui s’agissait-il ?

Ely termina sa tasse et secoua la tête. De quoi se mêlait-elle ? Elle déposa la tasse, lança un « J’y vais » au travers de la porte de la salle de bain et sortit.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire PelchMelba ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0