Chapitre 30

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Il n’était pas courant d’avoir à se rendre sur la rive droite de Paawis dans le cadre d’une enquête de police. Comme pour le souligner, un soleil d’hiver assez inattendu pointa le bout de son nez alors qu’Ely et Akos s’apprêtaient à traverser le fleuve qui coupait la ville en deux. Il n’était plus possible depuis plusieurs décennies de se rendre directement dans ces quartiers via les transports en commun. La décision avait fait suite à des manifestations monstres durant lesquelles, au-delà des actions violentes, les participants avaient été proches d’envahir des lieux de pouvoir stratégiques. Les représailles opérées par les forces de l’ordre, simultanément précarisées et renforcées par des mesures clientélistes avaient été particulièrement sanglantes. Invoquant la nécessité d’assurer la sécurité de toutes les institutions, un périmètre de sécurité assuré par l’armée avait été mise en place. La traversée du pont principal qui se faisait obligatoirement à pied et sous l’étroite surveillance de l’armée, leur permit de profiter d’un jeu de lumières qui peignait des reflets dorés à la surface des flots. Le quai était bordé d’arbres bien taillées aux branches dénudées qui découpaient dans le contre-jour le ciel azuré.

Au milieu des immeubles qui avaient miraculeusement été conservés dans leur architecture classique d’origine, se dressait l’Institut de la Monnaie. Sa façade néoclassique ornée de colonnes corinthiennes témoignait à la fois d’un patrimoine historique indéniable autant que d’un luxe plutôt indécent.

Une fois l’entrée passée, ils traversèrent une grande cour recouverte d’un gravier impeccablement réparti sur toute la surface.

« C’est encore mieux que l’architecture de l’institut de médecine légale, n’est-ce pas ? fit Akos qui avait remarqué l’expression relativement béate d’Ely.

— C’est surtout moins lugubre et plus somptueux. C’est même un peu trop pour moi. On comprend mieux pourquoi la rive est barricadée à ce point. »

Lorsqu’ils se présentèrent à l’accueil et demandèrent une entrevue avec une personne capable de répondre à leurs questions, les deux réalisèrent combien leur démarche, bien qu’elle ne soit qu’une simple demande de renseignements, était propre à choquer le microcosme qui travaillait au sein de l’institution. Cependant, afin de ne pas ternir son image et puisqu’il s’agissait de la police, l’agent d’accueil s’attela à trouver la personne la plus à même d’y répondre. Et c’est ainsi qu’ils furent introduits dans le bureau d’un certain Marko Werner.

L’homme pour lequel il était évident que son élégance faisait partie intégrante de ses responsabilités, les accueillit avec une obséquiosité qui rivalisait à tout instant avec un mépris certain pour ces interlocuteurs. Si cela provoqua chez Ely, une crispation qu’elle eût bien du mal à contenir, Akos sembla prendre cet élément avec un calme olympien. Il fallait bien comprendre que ce mépris était, pour cet homme, un acte d’une générosité qu’on ne pouvait venir lui reprocher puisqu’il faisait l’effort de ne pas les ignorer. Il lui semblait donc acquis que ces inspecteurs de police devaient lui en être particulièrement reconnaissants.

Akos ne s’embarrassa pas de préambule, sortit le sachet contenant le napoléon et le posa sur le bureau.

« Que pourriez-vous nous dire au sujet de cette pièce ? »

L’homme attrapa le sachet et inspecta l’objet au travers du plastique. Le regard de ce monsieur Werner changea d’expression.

« Extraordinaire. » fit-il.

Il jeta un œil alternativement vers Ely puis Akos et continua :

« Êtes-vous conscients de la valeur de cette pièce ? Elle vaut beaucoup plus que sa valeur faciale. Comment vous l’êtes-vous procurer ?

— Nous ne pouvons répondre à cette question. Cette pièce est une pièce à conviction de l’enquête en cours. En revanche, nous vous serions reconnaissants si vous pouviez nous apporter votre expertise et votre connaissance, pour que nous puissions identifier de manière plus précise ce à quoi nous avons affaire. »

Marko Werner haussa un sourcil qui semblait signifier qu’il avait apprécié la formulation de la question.

« J’espère que vous avez une bonne petite heure à y consacrer car si je pense pouvoir vous donner les grandes lignes, il me faudra sûrement consulter quelques ouvrages. »

Il se leva et invita ses hôtes à le suivre sans leur préciser où il comptait les emmener.

« Cette pièce reprend le format de ce qui fut un symbole historique de la France au début du 19ème siècle : le Napoléon. Ce n'est pas seulement une pièce de monnaie, c'est un morceau d'histoire capturé dans un métal précieux. Elle tient son nom de Napoléon Bonaparte qui fut empereur des Français. En 1803, celui-ci décida de réorganiser la monnaie française pour relancer l'économie et renforcer le prestige de la France. C'est ainsi que naquit le Napoléon, une pièce en or d'une valeur de 20 francs de l’époque, arborant le profil de l'empereur sur l'avers et un symbole emblématique au revers. Ces pièces étaient frappées à partir d'or provenant des réserves de la Banque de France et elles sont devenues rapidement un symbole de richesse et de stabilité monétaire. Elles étaient utilisées tant pour les transactions courantes que pour les réserves des banques et des particuliers. Le Napoléon est devenu un témoin privilégié de l’histoire française, traversant les époques, les régimes politiques et les changements monétaires. Il a survécu à bien des tumultes et a su conserver sa valeur et son aura symbolique. Aujourd'hui, il n’a plus cours mais il demeure un objet de collection prisé par les numismates. La Monnaie de Paris, l’institution dont on peut aisément dire qu’elle préfigurait la nôtre, continua d'émettre des pièces commémoratives à l'effigie de ce grand personnage historique, perpétuant ainsi l'héritage et la tradition attachés à cette emblématique pièce d'or. »

Après avoir traversé un certain nombre de vestibules et de salles aux ornementations toutes plus exceptionnelles les unes que les autres, il introduisit ses visiteurs dans une pièce aux murs recouverts d’un tissu rouge à l’aspect qui rappelait le satin. Une minuscule vitrine perdue dans les disproportions de l’endroit, contenait un précieux présentoir où trônait une pièce en tout point identique à celle du sachet.

« La production des pièces de collection, dont le Napoléon, devint très anecdotique. Elle finit par disparaître totalement pendant la sombre période des Guerres Druidiques. Mais à l’avènement de notre République actuelle, lorsque celle-ci créa l’Institut de la Monnaie sur les cendres de l’ancienne, la tradition fut ressuscitée. La première pièce qui fut produite n’est autre que celle-ci. »

Werner se tut et resta si longtemps silencieux qu’Akos et Ely crurent qu’il attendait des acclamations. L’homme semblait avoir apprécié sa prestation théâtrale à un tel point qu’il lui fallait reprendre une contenance moins exaltée avant de poursuivre.

« Les armoiries qui figurent sur chaque face, sont celles de la famille Noxgard dont Lucius, notre tout premier président était issu. Les symboles sont toujours importants dans l’Histoire et le fait de battre monnaie en reprenant la forme du Napoléon en disait plus que de grands discours. »

Akos commençait à saturer sur les envolées lyriques du bonhomme et il prit alors l’initiative d’orienter la discussion.

« Existe-t-il un moyen de tracer ces pièces ? Nous avons remarqué qu’il semblait y avoir une sorte de numéro de série. »

Werner ne cacha pas un certain agacement d’avoir été interrompu ainsi. Mais il reprit très vite son masque pour sauvegarder les apparences, et acquiesça :

« C’est exact, chaque pièce possède un numéro unique et sur tous les documents qui recensent les différents changements de propriétaires, la mention de celui-ci est obligatoire pour éviter que la pièce perde de la valeur.

— Ces informations sont-elles centralisées ? Autrement dit, est-il possible que nous puissions déterminer le dernier propriétaire de cette pièce ?

— Vous ne trouverez pas cette information dans nos archives. L’Institut produit la monnaie mais n’intervient en aucune manière ensuite dans sa circulation, du moins en ce qui concerne les pièces de collection. Cependant, dans la mesure où ces achats-ventes sont bien particuliers, il n’y a qu’un nombre relativement réduit d’acteurs capables d’opérer ces transactions. C’est un peu comme les œuvres d’art, vous voyez ? Pour rendre service, je peux me renseigner et revenir vers vous dès que j’ai l’information. Bien entendu si aucune autre transaction ne s’est faite hors circuit. Les transmissions de patrimoine par exemple. Il faudra voir pour éplucher les actes notariés dans ce cas et là, je crains que ce sera loin de mon champ de compétences.

— Je vous remercie, répondit Akos assez surpris de l’initiative. Je pense qu’avec cela, nous avons déjà de quoi faire. »

Akos fit signe à Ely qu’il comptait mettre fin à l’entretien mais Werner l’interpela :

« Si je puis me permettre, il y a un détail qui me semble judicieux de vous signaler. Je vous le confirmerai par écrit ultérieurement mais il faut savoir que ces pièces font l’objet de certaines rumeurs pour renforcer leur valeur et confirmer leur rareté. Et il y en est une à propos de cette série. »

Akos se retourna légèrement pour indiquer qu’il était intéressé par ce complément.

« Je n’ai pas de souvenir exact de cette rumeur mais il est reporté dans certains livres qu’une grande partie de ces pièces auraient été volées, refondues par un groupuscule terroriste.

— Quel intérêt ? demanda Akos. Si je vous ai suivi, cela reviendrait à ne récupérer que la valeur faciale.

— Je confirme. Mais je ne peux pas vous apporter de réponse pour autant. Cela rentre cette fois-ci plutôt dans votre champ de compétences ou celui des historiens. »

Akos acquiesça une nouvelle fois et prit la direction de la porte. Il l’ouvrit et quand il invita Ely à passer devant, celle-ci lui demanda :

« T’es confiant pour retrouver la sortie, toi ? »

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