La Chambre qui ne dit rien
Quand la flemme nous gagne — souvent — nous atterrissons toujours au pied de mon lit. Toujours dans ma chambre. Jamais la sienne.
C’est « plus pratique », selon Audrey. Elle habite le village d’à côté. Elle dit que ses parents préfèrent la déposer, et que sa sœur peut la récupérer ensuite. C’est drôle, parce que chez moi c’est l’inverse : ma mère en a vite marre de devoir m’amener à droite et à gauche.
Nos mercredis après-midi ont donc toujours la même destination.
J’aimerais découvrir sa chambre : les motifs de sa housse de couette, ce qu’elle a scotché aux murs — sûrement des groupes de musique, ou ses dessins. Et savoir si elle a une peluche pour dormir, comme moi. Il faut que je lui pose la question. Ou peut-être pas. Je crois que je connais déjà la réponse.
Audrey balance ses pieds dans le vide, allongée de tout son long sur mon lit. Elle pianote sur mon téléphone, mon premier — et dernier — Nokia 3310. Elle va dans les paramètres.
— On pourrait aller chez toi, la prochaine fois ? Je pourrais m’arranger avec ma mère.
Elle arrête de gesticuler.
— Tu sais que ce n’est pas possible.
— Pourquoi ?
— Tiens, regarde. C’est ici qu’on peut changer la sonnerie. Il faut rentrer chaque note, mais comme ça tu pourras avoir la musique d’Inspecteur Gadget.
Elle se redresse, tend mon téléphone, et m’observe avec sérieux. Mes yeux n’arrivent pas à s’ancrer aux siens. Je les fuis, j’esquisse à peine un sourire. Elle ne dit rien. Elle attend. Elle me sonde.
Je connaissais déjà la réponse avant de poser la question.
J’attrape le mobile. Elle ne le lâche pas. Quelques secondes s’obstinent.
Je relève enfin les yeux vers elle. Elle sourit.
— On est mieux ici, chez toi, ma poulette.
Je déglutis. Elle relâche sa prise. Mon bras tombe le long de mon corps. Mon dos se voûte. Elle s’affale à nouveau sur mon lit, les bras écartés.

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