La siréne

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Pour un mois de mai, il fait une chaleur à en crever. Les invités anglais sont partis faire leur check-in à l’hôtel. Les Français sont restés sur place. Une heure à tuer avant le vin d’honneur.

Je me force à parler avec une certaine Nadège, ancienne collègue. Audrey m’en avait sûrement parlé, mais j’ai oublié. Ce qui me frappe, c’est la façon dont elle parle d’elle. Elle se croit intime.
Elle parle comme si elle avait accès à un endroit où je n’ai jamais mis les pieds.

L’intimité, pour moi, n’est pas un lieu de passage. C’est drôle : je ne l’ai jamais trouvée à mes côtés. Peut-être qu’elle était dans une autre pièce, derrière une cloison, convaincue d’avoir trouvé le cœur d’Audrey. Ou peut-être que c’est moi qui suis restée à l’entrée.

Je me rappelle qu’elle, au moins, n’a pas été invitée à l’EVJF. Cette pensée me suffit à respirer un peu. Je la laisse glorifier leur entente. Luc me serre ma main. Je lui rends un demi-sourire.
Il fait trop chaud.

Audrey apparaît de nulle part. Elle enlace son père, assis à côté d’un homme qui lui ressemble comme deux gouttes d’eau. Je ne l’avais jamais vu. Ça, j’en suis sûre.

Après quelques échanges avec les invités, elle me rejoint enfin.

— Tu viens avec moi, ma poulette ?

Elle attrape mon bras. Je laisse mon sac à la va-vite à mon mari, lance un regard amusé à Nadège, et je la suis.

Toujours.

Mon dos chauffe sous les regards.

Nous marchons jusqu’à un petit parc. Au loin, les autres tentent de tuer le temps sous la chaleur écrasante.

Je marche près de ma sirène du jour. Juste elle et moi. Je me trouve bête d’être émue à ce point.
Je suis prête à tout céder pour qu’elle me regarde une seconde de plus.

Comme lorsque nous étions ados.

C’est sa journée. Et je sais que ce mariage a le goût d’une revanche.

— Alors tu t’es mariée avant moi, finalement.

— Eh ouiiiii !

Elle me donne un coup d’épaule. Elle aime bien étirer les voyelles. Toujours quand elle est grisée.

Je lui laisse la place de la première fois. Avant l’autre. Avant moi. Une place qui ne m’intéresse pas vraiment. Mais elle, si. Je le sais.

Depuis quelques semaines, un désir minuscule me traverse. Que ce mariage, ces enfants à venir, ses rêves à elle… nous ramènent quelque part ensemble.

— Je suis vraiment heureuse que tu sois là aujourd’hui.

— Tu seras toujours ma poulette d’amour.

— Toi aussiiii.

Nous nous enlaçons. Une parenthèse. Rien de fou. Juste ce moment-là — où elle me choisit, un instant.

Puis la parenthèse se referme. C’est elle qui me ramène à la table. J’ai à peine le temps de m’asseoir, de récupérer mon sac sur les genoux de Luc, qu’Audrey contourne la table et tend une main vers Nadège.

— À ton tour, copine de moi !

Nadège s’exécute, sourire vissé. Je reste droite. Trop droite pour être naturelle.

Elles disparaissent. Je sens pourtant le regard de la collègue glisser sur ma peau.

J’ai juste tiré le premier ticket d’une longue liste.

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