PROLOGUE

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La ville respirait comme un animal inquiet, suspendue au-dessus d’elle, comme si l’air retenait un secret.
Pas vraiment endormie.
Juste… en attente.

La femme marchait lentement, le manteau sombre flottant derrière elle, attentive aux vibrations plus qu’aux formes.
Elle ne regardait pas autour d’elle.
Elle n’en avait pas besoin.

Elle savait.
Elle avait toujours su reconnaître cette tension précise —
celle qui annonce qu’un système va céder.

Depuis des semaines, elle observait deux familles puissantes se fissurer de l’intérieur.
Deux mastodontes arrogants, chacun convaincu d’être intouchable sur son territoire.

Elle n’avait pas eu à forcer grand-chose.
Il avait suffi de quelques mots soufflés au bon moment.
De quelques vérités déposées là où elles feraient le plus de dégâts.
Rien de plus.

La méfiance avait pris racine.
La certitude avait suivi.
Et la certitude, une fois armée, devient toujours une arme.

Les hommes croient que la force déclenche les guerres.
Elle savait une chose simple :
ils se détruisent très bien tout seuls,
quand on les pousse du bout du doigt.

Elle n’avait pas orchestré une attaque.
Elle avait orchestré une croyance.
Le reste était automatique.

Et au cœur de tout cela, il y avait cet enfant.

La femme l’avait remarqué des mois plus tôt, lors d’une réception à laquelle elle n’aurait jamais dû être invitée.
Un lieu trop brillant.
Trop bruyant.

Un couloir.
Une porte entrouverte.
Et ce regard.

Un petit garçon immobile alors que les autres couraient.
Un enfant qui absorbait tout sans réagir,
qui observait sans être vu.

Un regard qui ne cherchait ni approbation,
ni affection.

Un regard qui comprenait.

Elle savait déjà ce qu’il deviendrait si on le laissait au monde.
Et surtout, ce qu’il pourrait devenir si on ne le laissait pas faire.

Alors ce soir,
elle était venue récupérer
ce qui lui appartenait déjà.

La maison se tenait devant elle, illuminée comme une scène.
Les murs vibraient sous l’impact du chaos intérieur.

Elle resta immobile.

Le vacarme résonnait comme une symphonie qu’elle avait écrite sans jamais toucher un instrument.

Un premier tir.
Puis un cri déchiré.
Un souffle coupé.

Les puissants tombent toujours avec la même musique.

Puis le silence.
Dense.
Parfait.

Elle entra.

Le couloir n’était plus qu’un chemin d’ombres et de fragments.
Un parfum de richesse se mêlait à celui du sang.
Des tableaux arrachés.
Une chaise renversée.
Un collier détaché dans la panique.

Elle traversa l’espace sans ralentir,
absorbant chaque détail comme un témoignage silencieux de son propre mécanisme.

Le chaos avait fait son œuvre.

La pièce principale était un champ d’échos immobiles.

Et lui.

L’enfant se tenait au centre,
dressé comme une petite silhouette oubliée par la catastrophe.

Il ne semblait pas surpris.
Il ne semblait pas chercher à comprendre.

Il regardait les murs.

Comme s’ils avaient été témoins.
Comme s’ils avaient failli.
Comme si c’était eux qui avaient des comptes à rendre.

Elle s’approcha doucement.
Ses talons traversèrent la pièce comme si elle marchait sur un sol parfaitement propre.

L’enfant tourna la tête vers elle.
Lentement.
Sans peur.

Ses yeux étaient trop lucides.
Trop vides.

Pas ceux d’un enfant.
Pas encore ceux d’un adulte.
Mais ceux d’un esprit qui enregistre.
Qui classe.
Qui prend note.

Un frisson presque doux glissa dans sa poitrine.

Un esprit comme celui-ci ne naît pas par hasard.
Il se cueille.
Il se façonne.

Tout reposait là-dessus.

Repérer les potentiels.
Détruire ce qui les rend faibles.
Conserver ce qui les rend précieux.

Elle le regarda comme on observe une surface intacte.

Un miroir.
Un véritable miroir.

Pas un accident.
Pas un hasard.

Un écho.

Elle pencha légèrement la tête,
observa son visage,
sa respiration stable,
le silence qui vivait en lui comme un organe supplémentaire.

Sa voix tomba doucement, comme une constatation.

— Tu ne pleures pas.

L’enfant haussa une épaule, comme si la question était absurde.

— À quoi ça sert ?

La réponse la traversa.
Pas par sa froideur, mais par sa logique.

Un enfant qui ne voit aucune utilité à la douleur est un trésor brut.

Elle l’observa encore :
la posture,
la respiration maîtrisée,
l’absence totale d’instinct de fuite.

Cet enfant n’était pas brisé.
Il était en attente.

Elle tendit la main.
Pas pour consoler.
Pour vérifier.

Il posa la sienne dans cette paume sans hésiter.
Un geste simple.
Inévitable.
Comme s’il s’était préparé toute sa courte vie à ce moment précis.

Elle lui tourna doucement le dos, l’entraînant vers la sortie.
L’enfant suivit sans regarder derrière lui.

Sous ses talons, le verre broyé crissait doucement —
l’écho des vies qu’elle avait défaites pour obtenir cela.

Devant la porte d’entrée, elle s’arrêta.
Le silence retomba autour d’eux, dense, presque sacré.

C’était ici qu’elle parlait.
Là où les conséquences devenaient nettes.

Elle baissa les yeux vers la petite main serrée dans la sienne.

Sa voix était douce, presque maternelle,
mais glaciale dans son intention.

— J’en ai laissé un au chaos.

Ses paupières s’abaissèrent un instant,
comme si elle pesait deux trajectoires possibles :
un enfant abandonné au monde,
un autre ramené vers elle.

Puis elle ajouta,
comme une prière noire :

— Toi… tu grandiras dans ma lumière.

Elle ouvrit la porte.

Et l’enfant la suivit.

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