CHAPITRE 2 DANS LE VENTRE DE LA VILLE

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La ruelle sentait l'humidité, la rouille et les poubelles.
Un courant d'air glacé glissait contre les murs, revenant par vagues comme un souffle retenu.

Respire. Garde le rythme. Ne lui donne rien.

Elyna se plaqua contre un muret, ses yeux passant méthodiquement d'un détail à l'autre.

Un froissement, presque imperceptible, confirma ce qu'elle savait déjà.
Quelqu'un venait de tourner dans la ruelle.

Elle ne le voyait pas encore, mais elle sentait sa présence.
Une respiration lourde.
Une semelle qui traîne légèrement sur le bitume.

Un rythme de pas trop régulier pour appartenir à quelqu'un de normal.
Elle avança comme si elle n'avait rien perçu.

Le néon fatigué, quelques mètres plus loin, clignota, projetant une lumière blanche et sale qui découpait mal les ombres.

Les murs paraissaient plus étroits qu'ils ne l'étaient réellement.
Elle repéra un renfoncement, un creux dans le mur, presque invisible.

Assez large pour y rentrer.
Assez sombre pour disparaître.

Elle s'y glissa d'un seul mouvement et se plaqua contre la pierre froide.

Une seconde.
Deux.
Trois.

Son souffle était devenu presque inaudible.
Son cœur, lui, frappait juste un peu trop fort.

Les pas apparurent.

Lents.
Réguliers.
Appuyés.

Une manière d'avancer qui ressemblait plus à une traque qu'à une marche.
Un rythme d'animal sûr de sa force.
On ne marchait pas comme ça par hasard.

Elle attrapa du bout des doigts un petit caillou.
Le lança vers un conteneur métallique.

PLOC.

Les pas s'arrêtèrent net.

Une réflexion.
Une hésitation.

Puis ils repartirent... dans la direction opposée.

Exactement où elle voulait qu'il aille.

Elyna surgit hors du renfoncement dès que l'ombre détourna la tête.

Elle longea le mur en silence, la tête légèrement baissée pour ne pas laisser le néon accrocher son visage.

Elle avait à peine fait trois pas que des bruits plus rapides retentirent.

Il revient.

Il avait compris.
Pas tout, mais assez pour ne plus se faire tromper une deuxième fois.

À quelques mètres, un vieux muret.
Pas haut, mais suffisant pour gagner en hauteur et sortir de son champ de vision.

Elle grimpa sans bruit, utilisant un tuyau rouillé comme prise.
Ses doigts glissèrent, mais elle se rattrapa avec précision.

Une fois en haut, elle s'aplatit contre le mur, camouflée par la noirceur.

La silhouette passa en dessous d'elle.
Elle ne vit pas son visage.

Juste sa carrure.
Grande. Massive.
Une respiration animale, presque un grognement retenu.
Il cherchait.

Mais il ne levait pas les yeux.

Primitif.

Il suivait l'odeur du mouvement, pas la logique.
Il avançait comme quelqu'un qui pense qu'il va forcément gagner.

Une rafale de vent fit vibrer un balcon juste au-dessus d'elle.

Son regard glissa sur une fenêtre fendue, fragile, prête à céder.
Elle trouva une pierre sur le rebord.
La pesa dans sa main.

Fais-lui croire que tu es montée.

Elle inspira.
Et lança.

CRASH.

Le verre éclata dans un cri sec, résonnant dans toute la ruelle.
En bas, l'homme releva brusquement la tête.

Un réflexe.
Animal.

Elle ne lui laissa pas le temps de connecter les points.
Elle bascula de l'autre côté du muret et retomba dans une ombre qui l'engloutit complètement.
Puis elle courut.

Pas comme une proie.
Pas comme quelqu'un qui panique.
Comme quelqu'un qui connaît la cadence exacte du danger.
Comme quelqu'un qui a déjà couru pour sa vie.

La ruelle se transforma en tunnel.
Le trottoir en bande grise sous ses semelles.

Elle déboucha dans une rue éclairée.
Trop éclairée.
Elle se stoppa net.

Elle sentit — réellement sentit — un regard dans son dos.
Une fenêtre à l'étage.
À peine une silhouette.

Un simple mouvement d'ombre.

Mais elle sut.
Il l'avait vue.

Un frisson électrique traversa sa colonne.

C'est fini de jouer.

Elle se remit à courir.
Pas désordonnée.
Une course nette, précise, chaque pas une décision consciente.

Derrière elle, pas de course.
Pas de hurlement.
Juste un pas lourd.
Une marche assurée.
Un prédateur certain de déjà tenir sa proie.

La rue semblait interminable.
Les lampadaires défilaient comme des barres de lumière tordues par la vitesse.

Ses yeux scrutaient.
Cherchaient.
Évaluaient.

Un immeuble.
Vieux.
Façade terne.
Interphone abîmé.
Insuffisant pour protéger quelqu'un vraiment... mais suffisant pour gagner quelques secondes.

Elle traversa en glissant presque, le bitume humide manquant de la faire chuter.
Sa main martela les boutons.

— Ouvrez ! S'il vous plaît ! Ouvrez !

Les fenêtres s'allumaient une à une.
Des silhouettes apparaissaient.

Une voix :
— C'est quoi ce bordel ?!
Une autre :
— Putain, il est quelle heure ?!

Elle appuyait encore.
Encore.
Encore.

— Je vous en supplie, ouvrez !

La serrure céda.

La porte s'ouvrit brusquement :
Un homme en débardeur, la cinquantaine, grognon et à moitié endormi, était là.

— C'est encore un…

Elle ne lui laissa pas finir.
Elle se faufila à l'intérieur, le bousculant à moitié.

Il resta figé, complètement dépassé.
Une main encore sur la porte.
Les yeux remontant l'escalier où elle disparaissait déjà.

Il ne ferma pas.
Il ne réagit pas.
Il chercha juste à comprendre.

Une erreur.

De quelques secondes seulement.
Puis il se retourna.
Et se retrouva face à lui.

Une silhouette avançait depuis le trottoir.
Calme.

Pas en courant.
Juste en marchant.
Mais trop près.
Beaucoup trop près.

— Hé... vous êtes qu… ?

Il n'eut pas le temps d'achever.

Une main referma la porte.
Une lame jaillit.
Un geste net.
Froid.
Répété mille fois.
Un souffle étranglé.

Le gargouillis de quelqu'un qui n'a pas compris.

Le corps s'effondra dans l'entrée, les yeux encore écarquillés.
Le sang coula déjà le long de son peignoir.

Le tueur franchit le seuil sans ralentir.
Comme si l'homme n'avait jamais existé.

Il est entré.

Le sang d’Elyna se figea une fraction de seconde.
Pas de peur.
Pas de cri.

Juste cette certitude brutale :
ce n’était plus une fuite.
Quelqu’un venait de mourir pour qu’elle gagne du temps.

Elle monta.

Un étage.
Deux.

Ses poumons brûlaient, mais elle n'écoutait que les pas derrière elle.

Lents.

Réguliers.
Assurés.

Il savait qu'elle ne pouvait pas aller loin.

Elle tambourina.

— Ouvrez ! Ouvrez, je vous en supplie !

Une porte s'ouvrit au troisième.
Une femme, robe de chambre, yeux écarquillés.

— Qu'est-ce que...

Elyna entra et verrouilla, sans demander la permission.

— Appelez la police. Maintenant.

La femme tremblait en cherchant son téléphone.

Elyna attrapa un petit couteau dans un tiroir, le glissa dans la main de la femme.

— S'il entre, vous plantez. Pas d'hésitation.

Puis elle fouilla un autre tiroir, trouva un deuxième couteau, et se posta derrière la porte.

Son souffle se calma.
Ses doigts se crispèrent autour de la poignée.

Le silence, derrière la porte, n'était plus un silence.
C'était une attente.

Elle savait qu'elle n'avait plus beaucoup de temps.

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