CHAPITRE 3 LA CAGE VERTICALE

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Il allait essayer d'entrer et elle le savait.
Son corps le savait.
L'air lui-même semblait l'annoncer.
Un premier bruit se glissa dans le couloir.

Un toc.
Sec.

Contre une porte à l'autre bout du palier.
Elyna retint son souffle.

Un second toc.
Plus proche.

Puis un frottement — une paume qui effleure un battant, comme pour en sentir la matière.

La femme tremblait tellement que ses dents claquaient sans qu'elle puisse les contrôler.
Elyna posa doucement un doigt sur ses lèvres.

Silence.

Le tueur continuait.
Il ne frappait pas.
Il testait.

Une poignée tournée lentement.
Puis relâchée.
Une autre.
Même rythme.
Même douceur dérangeante.

Le couloir respirait.

Un souffle long.
Régulier.
Celui d'un prédateur qui choisit.

Chaque poignée semblait trier, éliminer, sélectionner.

La sueur glissait entre les omoplates d'Elyna.

Il ne sait pas où tu es.
Ne lui donne rien.

Le couteau glissait dans sa paume humide ; elle resserra sa prise.
Son propre souffle lui paraissait trop bruyant.

Puis un silence.
Un de ceux qui coupent le monde.

La poignée de leur porte bougea.

Comme si quelqu'un posait la main dessus pour en sentir le froid, le grain, la vie derrière.

Elyna se figea.
Chaque muscle tendu jusqu'à brûler.

Pas de pas.
Pas d'ombre sous le seuil.
Pas d'hésitation.

Il écoutait.
Il attendait une erreur.
Un minuscule clac résonna.

La femme laissa échapper un sanglot étouffé contre sa paume.
Dans ce silence-là, il sembla exploser.

La voix arriva.
Juste derrière le bois.
Basse.
Posée.

— ... Je sais que tu es là.

La peau d'Elyna se contracta sur ses os.
Pas pour la phrase.
Pour le ton.

Elle ferma les yeux.

Il bluffe.
Ne fais rien.

La poignée vibra légèrement.
Un frottement à peine perceptible, comme un animal reniflant sous une porte.
Puis une deuxième phrase, encore plus basse :

— Tu crois que je ne t'entends pas ?

La voix rampait sous la porte.
Glissait contre leurs chevilles.
S'insinuait dans la pièce.
Elyna retint même l'air déjà présent dans ses poumons.
Le silence devint une arme.

Puis la poignée se relâcha d’un geste impatient.
Les pas s'éloignèrent.

Il prit l'escalier.

Une marche.
Puis une autre.
Plus rapides qu'avant.
Moins méthodiques.
Il montait.

Elyna inspira un filet d'air qui lui brûla la gorge.

Mais l'horreur ne faisait que commencer.
Au-dessus d'elles, les pas se stabilisèrent.

Une poignée tourna.
Une autre.
Et cette fois... la porte s'ouvrit.

Sans résistance.
Une erreur de voisin.
Une porte pas verrouillée.

Mais pour lui...
C'était parfait.

Un souffle court monta de l'étage, presque satisfait.
Il crut que c'était elle.

Il entra.
D'abord, un déplacement rapide.
Des pas précipités.
Un mouvement nerveux, tendu.
Puis le premier choc.

Sourd.
Violent.
Un bruit de mur percuté.

Un deuxième.
Plus fort.
Comme un corps projeté.

Un meuble raclé brutalement contre le sol.
Un vase éclaté.
Un cri étranglé, bref, coupé net.

La femme dans l'appartement glissa au sol, les mains serrées contre ses oreilles, les larmes aux yeux.
Elyna la retint, une main ferme sur son bras.

Au-dessus, la rage se déchaînait.

Des pas rapides.
Un souffle rauque.
Un choc brutal contre le sol, suffisamment fort pour faire vibrer le plafond.

Un bruit de lutte.
Un dernier impact plus lourd.
Puis le silence.
Pas un silence normal.
Un silence saturé, coupé net.

Il a compris.
Et la rage a pris le relais.

Les pas reprirent.
Plus lourds.
Plus rapides.
Sans réflexion.

Il ne chassait plus.
Il cherchait.
Il déraillait.

Elyna sentit qu'il commençait à faire de vraies erreurs.

Les sirènes retentirent au loin.
D'abord lointaines.
Puis plus proches.

Un flash bleu traversa brièvement la façade par les rideaux.

Là-haut, tout s'arrêta.

Un changement dans l'air.
Dans la tension.
Plus de temps pour lui.
Pas beaucoup pour elle.

Juste agir.

Il venait de comprendre quelque chose et il changeait de plan.

Elyna tourna la tête.

Une sensation glaciale lui longea la colonne, comme si une main invisible lui tirait le dos vers l'intérieur.

Il ne peut plus sortir par l'entrée.
Son unique issue ?
Descendre par les balcons... Il va passer par ici...

Elyna se leva d'un mouvement sec et silencieux, se dirigea vers la salle de bain.
Elle ouvrit un placard.
Ses doigts glissèrent sur plusieurs flacons avant de trouver un déodorant.

Elle le prit.

Dans un tiroir, elle trouva un briquet.
Deux objets.
Un plan.

Son cœur cognait fort, pas vite : un marteau contre ses côtes.

Elle revint dans le salon plongé dans la pénombre.
La femme était recroquevillée contre la porte de sa chambre, ses sanglots tremblants dans sa gorge.

— Reste là. Ne bouge pas.

Pas un ordre agressif.
Un ordre vital.

Elyna se glissa derrière le comptoir de la cuisine, accroupie, le regard fixe sur le balcon.

Un silence dense tomba.
Électrique.
Prêt à mordre.

Dehors, un frottement.
Le métal du garde-corps gémit.
Un appui lourd.
Un grincement étouffé.
Quelqu'un se hissait.

Elle serra la bombe.

Il arrive.

Un pied apparut.
Puis un deuxième.

Le poids du corps bascula sur le balcon.
Un souffle rauque, presque animal, suivit.

Il était là.
Juste derrière la vitre.

— HEY ! VOUS LÀ ! ARRÊTEZ !

La voix d'un policier éclata dans la cour arrière.

Un faisceau de lampe traversa la nuit.
Le tueur se figea.
Il se plaqua contre le mur, hors du halo.

— Descendez ! Les mains en l'air !

Aucun son.
Aucun mouvement.

Le faisceau remonta, redescendit.
Passa près de sa botte.
Puis s'éloigna.

Dans la fenêtre de silence qui suivit, il tourna la tête.

Et le vit.

Dans l'interstice entre les rideaux, une fente mince, une lueur pâle éclaira les contours du visage d'Elyna.

Accroupie.
Prête.
Tendue.

Leurs regards se croisèrent.
Un frisson tranchant remonta la colonne d'Elyna.

Il esquissa un sourire.

Infime.
Tordu.

Il posa sa main sur le cadre de la vitre.
Laissa ses doigts glisser sur le verre embué.
Puis il entra.

Il avança d'un pas.

Lourd.
Désorienté.
Mais déterminé.

Sa botte glissa légèrement sur le parquet.
Un bruit doux, insupportable.

La lame traîna sur le plan de travail.
Un raclement métallique.

Elle serra les dents.

Il approcha.
Frôla un verre.
Le tintement résonna dans un silence saturé.

Derrière, la femme étouffa un sanglot.
Les dents cliquetaient.

Le tueur tourna la tête, comme s'il avait entendu quelque chose... puis revint.

Sa silhouette se découpait dans la pénombre.
Seul le reflet du couteau la trahissait.

Il approcha du comptoir, posa sa main sur l'angle.
Il se pencha.

Son souffle passa au-dessus du bois.
La lame apparut.

Un éclat.
Une trajectoire.
Il allait frapper.

Elyna prit une profonde respiration.

Puis surgit.

Bombe en avant.
Briquet allumé.

La flamme explosa.

Il hurla.
Recula.
Ses mains claquèrent contre son visage brûlé.

Le couteau frappa le vide.
Un souffle brûlant frôla le bras d'Elyna.
Une coupure fine entailla sa peau.

Elle ignora la douleur.
Elle déclencha un second jet.

Moins puissant.
Moins précis.

Il heurta le mur.
Renversa un cadre.
Chercha l'air en aveugle.

Elle attrapa une poêle.
Son poignet douloureux manqua de lâcher, mais elle tint bon.

Il chargea, maladroit.

Elle frappa encore.

La poêle percuta sa tempe.

Il vacilla.
Ses yeux roulèrent.

Un coup partit, désordonné.
Il lui attrapa le poignet.

Un craquement.
Une douleur blanche.

Pas cassé.
Pas fêlé.
Mais assez pour lui arracher l’air des poumons.

Elle plia les genoux et frappa dans l’abdomen.

Il tomba à genoux.
Lentement.

Comme un homme vidé.
Pas vaincu.

Il tenta de lever son couteau.
Sa main trembla.
Puis il la regarda.

Elle connaissait ce regard.

Ce n’était pas de la peur.

C’était une promesse.

— Troisième étage !
— On y est !

Il tourna la tête.
Un instinct de survie aveugle.

Il chancela vers le balcon.
Faucha une chaise.
Heurta la vitre.

Il passa le rebord.
Glissa.
Ses doigts brûlés lâchèrent le métal.

Il disparut.

Un bruit sourd remonta de la cour arrière.
Un boum étouffé.

Des sacs.
Du plastique.
Quelque chose qui amortissait la chute.

Puis un second bruit :
son corps heurtant le sol en roulant.

Un halètement.
Un grognement.

Il se releva difficilement, une main sur son visage brûlé, l’autre contre le mur pour ne pas s’écrouler.
Il boitait.
Saignait.
Respirait mal.

La ruelle était vide.

Il disparut dans l’obscurité.

Les policiers entrèrent dans l’appartement quelques secondes trop tard.

La femme s’effondra en sanglots.

Elyna resta immobile, haletante, la poêle encore dans la main, son poignet pulsant de douleur.

Et dans le silence qui suivit, quelque chose se posa dans son ventre.

Ce n'était pas une victoire.
Ce n'était pas juste une survie.
C'était une désignation.

Il venait de choisir sa proie.

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