CHAPITRE 5 LES YEUX DANS LE DOSSIER

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L'odeur de désinfectant s'accrochait encore à la peau d'Elyna, comme si l'hôpital avait laissé une couche invisible sur ses vêtements.
Son bras bandé tirait à chaque mouvement, sa joue la picotait encore, et ses mains gardaient une légère odeur de déodorant brûlé.

Elle aurait dû rester en observation.
Mais on ne lui avait permis que vingt minutes.

Juste assez pour vérifier qu'il n'y avait :
— ni fracture,
— ni contusion interne,
— ni inhalation dangereuse.

Puis les policiers avaient coupé court.

« L'interrogatoire doit se faire maintenant. On n'a pas le temps. »

On l'avait escortée jusqu'au commissariat, sans lui laisser le temps de reprendre son souffle.

La pièce était glaciale.
Un néon bourdonnait au-dessus de sa tête, un bruit sec et régulier, comme un battement mécanique.
Elyna s'assit, dos droit.
Son bandage tira discrètement — elle serra les dents, imperceptiblement.

La porte s'ouvrit.

L'inspectrice Mara Lavigne entra en première.
Ses yeux trahissaient la fatigue : profondes cernes, traits tirés.
Il n'y avait ni maquillage, ni effort d'apparence.
Juste l'urgence.

Son partenaire suivit.
Massif, épaules larges, mâchoire crispée.
Une énergie lourde, presque silencieuse.

— Elyna... Merci d'être venue malgré votre état, dit Lavigne.

— Je vais bien.

C'était faux.
Mais dit avec une maîtrise presque trop nette.
Un calme crispé, comme si son corps fonctionnait uniquement par réflexes de survie.

Lavigne ne releva pas.
Elle posa un dossier épais sur la table.
Le métal vibra.

— On va être directes.

Elle ouvrit les premières pages.
Deux photos glissèrent.

Elyna se redressa légèrement.
Une tension ancrée dans la colonne vertébrale.

Le premier : un jeune homme, la vingtaine sûrement.
Visage découvert sur plusieurs scènes.
Regard dur.
Traits nerveux.

Le second...

Lavigne posa la main dessus avant même qu'Elyna ne puisse l'observer.

— Celui-là... on ne sait pas grand-chose.

Elle tourna la photo :
une silhouette masculine, grande, épaules droites.
Le visage entièrement caché sous un chapeau ou une capuche.

— Il porte systématiquement quelque chose pour masquer son visage. Chapeau, masque, capuche... On ne sait pas s'il le fait par habitude ou par calcul.

Le policier ajouta :

— On sait juste que c'est un homme. Par la carrure. La démarche. La posture.

Elyna observa la photo.
L'image ne montrait rien.
Juste une présence.
Un vide construit.
Une silhouette sans identité.

— Le jeune, dit Lavigne en désignant la première photo... Mark.
C'est probablement lui qui vous a poursuivie dans l'immeuble.

Elle se tourna vers la silhouette masquée.

— Et lui... Leary.
Celui qui reste en retrait.

Elyna déglutit.

— « En retrait » ?

— Dans plusieurs dossiers, répondit Lavigne, on retrouve deux rôles distincts.
Un qui agit.
Un qui observe.

Le policier posa son index sur l'image du jeune.

— Mark... parle beaucoup.
Il crie, interpelle, provoque.
C'est grâce à lui que plusieurs victimes ont murmuré un prénom.

Lavigne prit une inspiration.

— Ces prénoms, Mark et Leary... ne sont pas réels. Pas de papiers, pas de dossiers, pas de traces administratives.
Mais ils reviennent dans plusieurs affaires.
Souvent soufflés par des victimes à l'agonie.

Le cœur d'Elyna accéléra d'un battement.
Pas plus.
Juste un choc interne, maîtrisé.

— Ils suivent leurs cibles avant d’agir.
Assez pour connaître leurs habitudes.
Assez pour savoir quand personne ne les attend.

Elyna baissa légèrement les yeux.

— C'est pour ça... qu'il n'a pas cru à mon faux appel.

Sa voix était basse.
Un frémissement glissa dans sa gorge.

— Il savait que personne... ne m'attendait.

Le policier souffla par le nez.
Une réaction lourde.

— Ça collerait, oui.

Lavigne referma doucement son dossier.
Puis elle ressortit une photo imprimée.

— On a eu une image de la soirée.

Elle la poussa vers Elyna.

On y voyait :
une ruelle.
Une vitrine.
Et dans le reflet...
une silhouette masculine, manteau long, visage entièrement masqué ou dans l'ombre.

Impossible à identifier.

— On ne peut pas affirmer que c'est lui, dit Lavigne.
Mais ce genre de silhouette...
On l'a déjà observée dans d'autres affaires.

Elle rangea lentement la photo.

— Elyna... dans les autres dossiers, aucune victime n'a survécu assez longtemps pour raconter ce qu'elle avait vécu.
Certaines ont parlé quelques minutes aux urgences... mais jamais assez pour donner une description.

Le policier croisa les bras.

— Vous êtes la première à échapper à leur schéma.
La première variable.
Et... on ne sait pas ce que ça déclenche chez des gens comme eux.

Il insista sur le dernier mot.
Comme si « eux » ne désignait pas des hommes, mais un type de prédateur particulier.

Un frisson remonta la colonne d'Elyna.
Elle redressa légèrement le menton.
Un réflexe de protection.
Un verrou mental.

Mais sa main bonne trembla, juste une fois, avant qu'elle ne la replie sur sa cuisse pour la cacher.

Lavigne le remarqua.
Ses lèvres se pincèrent.

— On va vous placer sous protection immédiate.
C'est la première fois qu'un de leurs... actes... se termine de cette manière.
On ne peut pas prévoir ce que ça implique.

Elyna acquiesça.
Non pas par confiance.
Par lucidité.
Par nécessité.

Elle se leva.
Ses jambes étaient stables... mais trop tendues.
La tension musculaire d'un corps qui a décidé de tenir coûte que coûte.

Elle suivit les policiers dans le couloir, silencieuse.
Le néon bourdonnait encore.
Chaque pas réveillait une douleur sourde dans sa côte, sans qu'elle ne laisse rien paraître.

L'interrogatoire venait de s'achever pour la police.

Pas pour elle.

Et dans le froid métallique du commissariat, une évidence, muette et terrifiante, s'imposa :

Elle venait de sortir vivante d'un scénario où personne, jamais, n'était revenu.
Et personne, ni elle, ni la police n'avait la moindre idée de ce que cela avait déclenché dans l'ombre.

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